« L’Orient et l’Occident ne sont pas des unités indépendantes, auto-suffisantes et qui s’expliquent par elles-mêmes », a affirmé le patriarche oecuménique de Constantinople, Bartholomée. « Il n’est pas possible de les percevoir comme séparés, puisqu’ils ont un passé commun, ils proviennent d’une tradition commune qui a été progressivement déformée et lacérée ». C’est pourquoi, a-t-il poursuivi, « le souvenir du patrimoine chrétien commun et la compréhension de la tragédie de la division sont un élan constant pour poursuivre l’effort en vue du rétablissement de l’unité perdue ».
Une délégation du Saint-Siège était présente au Phanar pour la fête de saint André, le 30 novembre 2019, appelée aussi la Fête du Trône de l’Église de Constantinople, suivant la tradition bien établie selon laquelle a lieu un échange de délégations entre le Vatican et Constantinople pour leurs fêtes patronales respectives. Le patriarche oecuménique Bartholomée a prononcé un discours, traduit en italien dans L’Osservatore Romano du 5 décembre.
Le patriarche s’est félicité de cette présence, signe du « lien de paix et d’amour qui nous garde dans l’unité de l’Esprit » et « symbole de notre fort désir commun de rétablissement de la communion entre nos Églises soeurs ». Il a souligné en particulier le rôle de « l’oecuménisme juridique », « dimension importante du dialogue d’amour et de vérité » et a rappelé à ce propos une déclaration du pape François selon laquelle le dialogue théologique actuel « se basant sur le patrimoine canonique commun du premier millénaire […] cherche précisément une compréhension commune de la primauté et de la synodalité, et de leurs interrelations, au service de l’unité de l’Église ».
Voici notre traduction du discours du patriarche Bartholomée à partir de celle publiée dans le quotidien du Vatican, en italien.
HG
Discours prononcé par le patriarche oecuménique Bartholomée
Éminence, frère aimé dans le Christ, cardinal Kurt Koch, président du Conseil pontifical pour la promotion de l’unité des chrétiens, et honorables membres de la délégation officielle de l’Église de l’Ancienne Rome, nous vous accueillons avec une grande joie au siège apostolique du patriarcat oecuménique, au Phanar, à l’occasion de la Fête du Trône de l’Église de Constantinople, commémoration annuelle du saint et glorieux apôtre André, le premier appelé. Votre présence ici, aujourd’hui, selon la longue tradition bénie de l’échange de délégations à l’occasion des fêtes du Trône de nos Églises respectives, manifeste le lien de paix et d’amour qui nous garde dans l’unité de l’Esprit (cf. Éph 4,3), et c’est un symbole de notre fort désir commun de rétablissement de la communion entre nos Églises soeurs. Comme l’avait justement observé le métropolite Meliton de Chalcédoine, d’heureuse mémoire, l’un des pionniers de l’institution de cette belle tradition de notre commémoration commune des frères et fondateurs de nos Églises, les apôtres André et Pierre, ce n’est pas « une action statique de répétition, mais une fondation toujours nouvelle, un progrès dynamique et une pénétration du mystère de l’Église, qui avance progressivement vers la fin des temps », une rencontre bénie « qui intègre et éclaire notre dialogue théologique comme les autres expressions de nos relations fraternelles », donnant la prééminence à la « dimension divine de tout notre engagement pour l’unité » (Chalcédoine, Athènes, 1999, 435).
Au cours de la divine liturgie que nous venons de célébrer, nous avons entendu la péricope de l’Évangile selon Jean, le théologien, sur la vocation des saints apôtres André le Protoclet et son frère Pierre le Coryphée: André rencontra « d’abord Simon, son propre frère, et lui dit : “Nous avons trouvé le Messie” – ce qui veut dire : Christ. André amena son frère à Jésus. Jésus posa son regard sur lui et dit : “Tu es Simon, fils de Jean ; tu t’appelleras Kèphas” – ce qui veut dire : Pierre ». Cette étroite relation entre les deux frères selon la chair est un prototype des relations spirituelles entre nos deux Églises soeurs et une invitation au témoignage chrétien commun dans le monde, ainsi qu’à la proclamation de l’Évangile « jusqu’aux extrémités de la terre » (Actes, 1,8).
Comme l’a souligné le père Georges Florovsky – que l’on a appelé « le doyen de la théologie orthodoxe » au XXe siècle, dont le patriarcat oecuménique a honoré le quarantième anniversaire de son endormissement dans le Seigneur en organisant, à Istanbul, une conférence théologique internationale de trois jours intitulée « L’héritage théologique de l’archiprêtre Georges Florovsky » (1-3 décembre 2019) – tous les chrétiens appartiennent au même espace spirituel. L’Orient et l’Occident ne sont pas des unités indépendantes, auto-suffisantes et qui s’expliquent par elles-mêmes. Il n’est pas possible de les percevoir comme séparés, puisqu’ils ont un passé commun, ils proviennent d’une tradition commune qui a été progressivemen déformée et lacérée. Selon le père Florovsky, « la tragédie de la division est le problème le plus grand et le plus fondamental de l’histoire chrétienne » (Patristic Theology and the Ethos of the Orthodox Church, in Topics of Ecclesiastical History, Thessaloniki, 1979, 34). Le souvenir du patrimoine chrétien commun et la compréhension de la tragédie de la division sont un élan constant pour poursuivre l’effort en vue du rétablissement de l’unité perdue.
Au cours des dernières décennies, sur le chemin vers la coupe commune, nos Églises ont cultivé le dialogue d’amour et le dialogue de vérité. Le premier est constitué par tous ces gestes qui nous ont rapprochés depuis l’étreinte échangée en 1964 à Jérusalem entre le pape Paul VI et le patriarche oecuménique Athénagoras, de vénérable mémoire. Le second est constitué par les organes de dialogue théologique, qui nous permettent d’examiner les traditions communes sur lesquelles construire notre avenir de communion, étudiant avec honnêteté et respectant les questions qui bloquent nos Églises, dans la certitude inébranlable que, sans une solide base théologique dans la vie ecclésiastique, rien ne prospère. C’est pourquoi nous sommes heureux d’apprendre que la Commission mixte internationale pour le dialogue théologique entre nos Églises, qui est désormais à l’oeuvre depuis presque quarante ans, a accompli des progrès sur un document important concernant le thème : Primauté et synodalité dans le second millénaire et aujourd’hui. Au cours de la rencontre du comité de coordination qui a eu lieu dans l’hospitalier monastère de Bose, une ébauche revue de ce document a été examinée, en préparation de la rencontre plénière de cette Commission pour le dialogue théologique.
Aujourd’hui, une dimension importante du dialogue d’amour et de vérité est l’ « oecuménisme juridique », à savoir l’application pratique des canons et des autres instruments normatifs de nos Églises en tant qu’ils sont indissociables de notre recherche d’un accord au niveau de la doctrine, rejoint à travers le débat théologique qui, jusqu’ici, a été l’aspect principal et dominant dans notre dialogue. En ce qui concerne l’importance du droit canonique pour le progrès du dialogue théologique entre nos Églises soeurs, la Déclaration commune de Ravenne affirme : « Pour qu’il y ait la pleine communion ecclésiale, il doit y avoir, parmi nos Églises, la reconnaissance mutuelle des législations canoniques dans leurs légitimes diversités » (n.16). Comme nous avons eu l’occasion de le souligner en septembre dernier à Rome, dans notre discours au 24e Congrès international de la société pour le droit des Églises orientales, les canons ne doivent pas être « traités simplement comme des « frontières » qui définissent les « limites de l’Église » », toujours selon la fameuse phrase de Georges Florovsky (The Limits of the Church, in The Patristic Witness of Georges Florovsky – Essential Theological Writings, Brandon Gallaher and Paul Ladouceur ed., London, T&T Clark, 2019, 247-256, in 256). Nous avons souligné que la tradition canonique commune du premier millénaire sert « de structure théorique et pratique pour intégrer notre dialogue de vérité et d’amour institué il y a très longtemps, notre engagement à dire “la vérité dans la charité” (Éphésiens 4,15) ».
Quelques jours après ce discours, notre frère le pape François, que nous avons eu l’heureuse occasion de rencontrer et d’embrasser à nouveau au Vatican, s’est dit d’accord avec notre position, soulignant que le dialogue théologique entre les deux Églises soeurs a « une dimension aussi canonique, dans la mesure où l’ecclésiologie s’exprime dans les institutions et dans le droit des Églises. Il est donc clair que le droit canonique est non seulement une aide pour le dialogue oecuménique, mais il en est aussi une dimension essentielle ». Et le pape a rappelé que notre dialogue théologique actuel « se basant sur le patrimoine canonique commun du premier millénaire […] cherche précisément une compréhension commune de la primauté et de la synodalité, et de leurs interrelations, au service de l’unité de l’Église ».
Le dialogue de vérité dans le « lien de l’amour » est enrichi, compris et renforcé aussi par l’ « oecuménisme des saints ». Comme vous l’avez dit, Éminence bienaimée, cher Cardinal Kurt Koch, « l’oecuménisme des saints est une excellente opportunité de dialogue entre les Églises […]. Ceci est très important parce que la vénération des reliques peut aider à impliquer les fidèles dans l’engagement pour le dialogue. En effet, il est beau que les chefs des Églises se rencontrent, mais il est très important que le peuple des croyants le fasse aussi ».
C’est pour cette raison que nous avons éprouvé une profonde émotion lorsqu’en juin dernier, à la fête patronale de l’Église de Rome, nous avons appris que Sa Sainteté, notre frère le pape François, nous donnait quelques fragments des reliques sacrées du saint apôtre Pierre. Dans ce signe oecuménique prophétique, nous parvenons à percevoir différentes significations profondes. L’arrivée des reliques du saint apôtre Pierre au siège du patriarcat oecuménique à Constantinople a été en soi une bénédiction, puisque saint Pierre est une figure centrale du christianisme en tant qu’apôtre de la confession, témoin de la résurrection et signe d’espérance pour tous les chrétiens.
Ce don de notre frère le pape François est un nouveau jalon sur la voie du rapprochement. Comme l’a écrit Sa Sainteté dans une lettre fraternelle qu’il nous a adressée, son profond désir était que « quelques fragments des reliques de l’apôtre Pierre soient » mis « à côté des reliques de l’apôtre André, qui est vénéré comme patron céleste de l’Église de Constantinople ». Le fait que les frères Pierre et André soient de nouveau réunis à travers la présence de leurs saintes reliques nous encourage à continuer avec encore plus d’emphase et d’espérance sur notre chemin vers l’unité désirée.
Éminence, chers frères, nous vous remercions de tout coeur pour votre visite et votre contribution à notre bonne bataille commune. S’il vous plaît, apportez nos cordiales salutations fraternelles et nos plus sincères remerciements à Sa Sainteté le pape François. Que le Dieu tout-puissant et miséricordieux, à travers les prières des saints frères apôtres Pierre et André, bénisse et soutienne nos efforts communs pour rétablir la communion entre nos deux Églises soeurs.
© Traduction de Zenit, Hélène Ginabat
Méditation du patriarche Bartholomée, Assise, capture CTV
"Le patrimoine chrétien commun" de l'Orient et de l'Occident, par le patriarche Bartholomée
« Il n’est pas possible de les percevoir comme séparés »