« Le salut : don et lutte » : c’est le titre de la méditation de Mgr Francesco Follo sur les lectures de dimanche prochain, 25 août 2019 (XXIe Dimanche du Temps Ordinaire – Année C : Is 66, 18-21; Ps 116; He 12, 5-7.11-13; Lc 13, 22-30).
« Jésus invite à accueillir la puissance salvatrice de Dieu en s’engageant de toutes ses forces dans le bon combat de la foi, en passant à travers Lui qui est la Porte, accès au cœur du Père. », écrit l’observateur permanent du Saint-Siège à l’Unesco à Paris. Il précise que ceux qui « ont conscience d’être vraiment pauvres » « font des efforts, ils luttent pour sortir de l’indigence en mendiant la miséricorde ».
La lecture spirituelle est le sermon de saint Bernard de Clairvaux sur le Cantique des cantiques, qui était proposé dans l’Office des Lectures de ce mardi 20 août, fête de saint Bernard.
Le salut : don et lutte
1) Comment se sauver.
Si nous lisons avec attention le récit de l’Evangile de ce dimanche, nous remarquons qu’à ceux qui lui demandent : « Combien sont-t-ils ceux qui se sauvent ? », Jésus ne répond pas si ceux qui se sauvent seront peu ou très nombreux, mais il dit ce qu’il faut faire pour ne pas être exclu du salut. En effet le Christ répond ainsi : « Efforcez-vous d’entrer par la porte étroite, car, je vous le déclare, beaucoup chercheront à entrer et n’y parviendront pas » (Lc 13, 24).
La question qu’ils lui posent vise une attention abstraite sur les autres, la réponse du Sauveur vise concrètement la vie de ceux qui l’interrogent, parce que le vrai problème, concret, n’est pas de savoir si les autres se sauvent, mais de connaitre comment nous pouvons nous sauver. Enfin, le Sauveur achève sa réponse par des propos surprenants : « Quand vous verrez Abraham, Isaac et Jacob, et tous les prophètes dans le royaume de Dieu, et que vous-mêmes, vous serez jetés dehors. Alors on viendra de l’orient et de l’occident, du nord et du midi, prendre place au festin dans le royaume de Dieu. Oui, il y a des derniers qui seront premiers, et des premiers qui seront derniers » (Lc 13, 28 – 30).
Cette dernière phrase affirme avec force et clarté que l’annonce de l’Evangile apporte avec elle le bouleversement des critères «normaux» d’évaluation. Beaucoup de ceux qui pensaient être admis au festin du salut, seront exclus. D’autres (comme par exemple les païens, les pécheurs, ceux qui sont loin) viendront du monde entier et seront admis dans la maison en fête du Père céleste.
Les critères de Dieu sont différents des nos pensées. Jésus le rappelle en s’adressant aux hommes de son temps « terrestre » et à nous. C’est comme s’il nous disait : « Ne perdez pas de temps avec des questions secondaires. Ne jugez pas les autres (Seront-ils admis ? Seront-ils exclus ? ). Occupez-vous de vous-mêmes car vous êtes tous des pécheurs ».
Donc, nous pécheurs, efforçons-nous d’entrer par la porte étroite, qui est étroite « non pas parce qu’elle est oppressive, mais parce qu’elle nous demande de rétrécir et de contenir notre orgueil et notre peur, pour nous ouvrir avec un cœur humble et confiant au Christ, en nous reconnaissant pécheurs, nécessiteux de son pardon » (Pape François).
On arrive à cette porte d’orient, d’occident, du nord, du sud, du monde entier, de toutes les directions: ce sont les quatre directions indiquées par la Croix. Tous et toutes entrent par elle parce que le salut est exactement la Croix, l’amour crucifié, la miséricorde de Dieu. Nous sommes justes parce que avons demandé pardon avec humilité et douleur.
Voilà la raison pour laquelle les derniers sont les premiers et les premiers sont les derniers. Une fois que les premiers savent qu’ils sont les derniers, eux aussi sont les premiers, mais s’ils croient être les premiers, ils sont les derniers, mais s’ils sont les derniers, alors c’est bien. Donc, en bref, le Christ nous dit que le problème du salut est le seul vrai problème, et que le salut est l’amour et la grâce qu’Il a pour chacun de nous, et que nous devons commencer à nous exercer entre nous.
Enfin, le Seigneur veut souligner que le salut n’est pas un problème de nombre parce que c’est une œuvre de Dieu qui veut que nous soyons tous sauvés [1] et que nous accédions tous à la connaissance de la vérité. C’est pourquoi, à la question : « Seigneur, n’y aura-t-il que peu de gens à être sauvés? » (Lc 13,23), le Messie répond avec un impératif « Efforcez-vous ! » (Encore mieux : Luttez! [2]).
2) La lutte pour le salut.
La lutte dont le Sauveur parle est – à la lumière de la bonne nouvelle (l’Evangile) – la lutte contre l’autosuffisance, contre la richesse du cœur qui est luxure de la chair, luxure des yeux et l’orgueil de la vie.
Jésus invite à accueillir la puissance salvatrice de Dieu en s’engageant de toutes ses forces dans le bon combat de la foi, en passant à travers Lui qui est la Porte, l’accès au cœur du Père.
Ceux qui entrent par cette porte sont les pauvres d’esprit, ceux qui ont une pleine et douloureuse conscience de leur pauvreté spirituelle, de l’imperfection de leur âme et du peu de bien qui est en tous les êtres humains. Seulement les pauvres qui ont conscience d’être vraiment pauvres, souffrent de cette indigence ; ils font des efforts, ils luttent pour sortir de l’indigence en mendiant la miséricorde.
Par exemple, les apôtres en sont témoins : il leur a été beaucoup pardonné, parce qu’ils eurent foi en lui, sauf à quelques moments ; ils s’efforcèrent de l’aimer comme il voulait être aimé ; en effet, après avoir abandonné l’Amour au jardin du Gethsémani, ils ne l’oublièrent plus et ils conservèrent la mémoire de ses paroles et de sa vie pour l’éternité.
Nous sommes actuellement au temps favorable où la Porte du Salut est ouverte. C’est en effet le moment pendant lequel le Père nous invite à la conversion, à travers la prédication apostolique. La sagesse consiste à accueillir cette invitation qui implique:
– la lutte pour la persévérance : « Vous n’avez pas encore résisté jusqu’ au sang, dans votre lutte contre le péché » (He 12,4)
– l’effort de fidélité dans la vie de chaque jour : « Très bien, bon et fidèle serviteur, tu as été fidèle pour peu de choses, je t’en confierai beaucoup, entre dans la joie de ton maître » (Mt 25,21).
– l’accueil fidèle de la Parole : « mais tous ceux qui l’ont reçu, ceux qui croient en son nom, il leur a donné le pouvoir de devenir enfants de Dieu. Ils ne sont pas nés de la chair et du sang, ni d’une volonté charnelle, ni d’une volonté d’homme, ils sont nés de Dieu ». (Jean 1,12-13).
3) L’ascèse de communion [3].
La lutte à laquelle le Christ nous invite peut aussi être appelée « ascèse »[4]. C’est pourquoi, on parle également d’exercice ascétique. Toutefois, il faut tenir compte du fait que l’ascèse n’est ni une gymnastique ni une lutte qui piétine les autres, mais soi-même.
Les méthodes ascétiques sont certes différentes. A mon avis, c’est avant tout une modalité qui a pour but principal la communion avec Dieu. C’est avant tout un chemin, un pèlerinage qui est appelé « ascétique » parce qu’il implique un exercice, une tension constante, énergique vers le haut, vécue dans l’étonnement, impliquant sa propre vie dans le désir de la sainteté à travers une « règle » d’ascèse personnelle, de communion vécue et de charité. Par exemple, Jean Climaque (qui a vécu entre le 6e et le 7e siècle), soutient dans son livre « L’échelle du Paradis » que le chrétien de ce monde est un étranger de passage qui tend vers la cité de Dieu, en avançant dans le désert rempli de dangers et sans consolations, comme le firent les hébreux, pèlerins dans le désert pour atteindre le Mont Sinaï, là où Dieu leur donna la loi pour l’alliance de communion.
« L’ascèse réside vraiment en ceci : que la demande de la présence du Christ en chaque situation de la vie devienne familière en nous, malgré tout et en tous les cas: une demande au Christ, une présence qui sauve. Pour nous, nous devons marcher sans arrêter de demander [5] » et de garder vivant l’étonnement d’être aimé.
La personne humaine est en voyage [6] parce qu’elle est à l’extérieur de sa maison (comme le fils prodigue) et sa maison est pratiquement injoignable avec ses seules forces. Elle peut être guérie par la grâce. L’ascèse est seulement une conséquence de cette grâce que le Père donne avec son pardon.
Il faut certainement tenir compte du fait que l’effort spirituel et la vie ascétique sont facilités en suivant une personne qui a autorité, et par une immanence dans la communauté de l’Eglise.
Nous pensons aux Vierges consacrées qui vivent la vie du Christ et sont appelées à être l’exemple vivant de la parole de Dieu. Elles sont invitées à s’en rapprocher constamment. Alimentées par la parole qui est écoutée, accueillie, contemplée, célébrée quotidiennement, vécue comme un impératif de vie, elles célèbrent la Trinité, sont signes de fraternité et servent la charité. (cf. Rituel de Consécration des Vierges, préliminaires, II, 2 : Sous l’impulsion de l’Esprit Saint, les vierges consacrées vouent à Dieu leur chasteté pour un plus grand amour du Christ et une plus grande disponibilité à tous. Elles s’adonnent en effet à la prière, à la pénitence, au service de leurs frères et au travail apostolique, suivant leur état et leurs charismes respectifs.)
Le Bienheureux Jean-Paul II cite Saint Paul pour affirmer que « le devoir de la vie consacrée est de travailler dans chaque partie de la terre pour consolider et dilater le règne du Christ en portant partout l’annonce de l’Evangile » (Vita Consecrata, 78 ; cf. Lumen gentium, 44).
Le christianisme n’est pas un ensemble de règles à exécuter, mais un Amour à suivre humblement, comme nous le rappelle l’Evangile selon le rite ambrosien d’aujourd’hui : « En vérité je vous le dis : si vous ne changez pas pour devenir comme les petits enfants, vous n’entrerez pas dans le Royaume des cieux » (Mt 18,3). Mais que signifie devenir enfants si l’on ne devient pas humble? se demandait St Bernard de Clairvaux.
Mais pour vivre l’amour et se sauver, il faut s’efforcer d’entrer dans la vie avec humilité, et, avoir « le culte des affections domestiques », comme l’enseignait le Card. John H.Newman, c’est à dire l’amour des parents et des amis, ce qui est « le fondement d’un amour chrétien plus étendu, élargi ».
Les affections domestiques vécues dans une communauté concrète avec les autres sont une école qui demande des actes de don et d’abnégation (donc d’ascèse). Ils rendent l’amour fort et persévérant.
Lecture Patristique
Sermon de saint Bernard de Clairvaux sur le Cantique des Cantiques
L’amour comme ascèse
« L’amour se suffit à lui-même, il plaît par lui-même et pour lui-même. Il est à lui-même son mérite, il est à lui-même sa récompense. L’amour ne cherche hors de lui-même ni sa raison d’être ni son fruit : son fruit, c’est l’amour même. J’aime parce que j’aime. J’aime pour aimer.
Quelle grande chose que l’amour, si du moins il remonte à son principe, s’il retourne à son origine, s’il reflue vers sa source pour y puiser un continuel jaillissement ! De tous les mouvements de l’âme, de ses sentiments et de ses affections, l’amour est le seul qui permette à la créature de répondre à son Créateur, sinon d’égal à égal, du moins dans une réciprocité de ressemblance. Car, lorsque Dieu aime, il ne veut rien d’autre que d’être aimé. Il n’aime que pour qu’on l’aime, sachant que ceux qui l’aimeront trouveront dans cet amour même la plénitude de la joie.
L’amour de l’Époux, ou plutôt l’amour qu’est l’Époux, n’attend qu’un amour réciproque et la fidélité. Qu’il soit donc permis à celle qu’il chérit de l’aimer en retour. Comment l’épouse pourrait-elle ne pas aimer, elle qui est l’épouse de l’Amour ? Comment l’Amour ne serait-il pas aimé ?
Elle a donc raison de renoncer à tous ses autres mouvements intérieurs, pour s’adonner seulement et tout entière à l’amour, puisqu’elle a la possibilité de répondre à l’amour même par un amour de réciprocité. Car elle pourra bien se répandre tout entière dans son amour, que grâce au regard du flot éternel d’amour qui jaillit de la source même ? Les eaux ne sourdent pas avec la même profusion de celle qui aime et de l’Amour, de l’âme et du Verbe, de l’épouse et de l’Époux, du Créateur et de la créature: la différence n’est pas moins grande qu’entre l’être assoiffé et la source.
Alors quoi ? Faudra-t-il pour autant que périsse et disparaisse complètement chez l’épouse le souhait de voir s’accomplir ses noces ? Le désir qu’expriment ses soupirs, la force de son amour, son attente pleine de confiance ; seront-ils réduits à rien, parce qu’elle ne peut égaler à la course un géant, et qu’elle ne peut rivaliser de douceur avec le miel, de tendresse avec l’agneau, de blancheur avec le lis, de rayonnement avec le soleil, d’amour avec celui qui est l’amour en personne ? Non, car même si la créature aime moins, en raison de ses limites, pourvu qu’elle aime de tout son être, il ne manque rien à son amour, puisqu’il constitue un tout. C’est pourquoi aimer de la sorte équivaut à un mariage, car une affection si forte ne saurait recevoir une réponse de moindre affection, dans cet accord réciproque des deux époux qui fait la solidité et la perfection du mariage. À moins qu’on ne mette en doute que l’amour du Verbe précède et dépasse celui de l’épouse. »
[1] – Cf., par exemple, Jn 3,16-21, 6, 26-70; Mt 19, 14-29; Rm 10, 5-21; Eph 2. 1-10; Tim 2, 1-8.
[2] – Littéralement, Jésus dit : « luttez pour entrer dans la porte étroite ». En fait, dans le texte grec, il est écrit : »agonisez », c’est-à-dire : « luttez », d’où le mot « agonie ». Par ailleurs, Jésus va à Jérusalem vers sa passion, son agonie.
[3] « Ascèse de communion » est une expression et le titre d’un livre de Don Divo Barsotti.
[4] du latin « ascesis » qui dérive du grec ἄσκησις dérivation de ἀσκέω c’est à dire « exercer ». La définition que l’on donne est : « exercice » ou « pratique » spirituelle et physique, composée de prières, méditations et diverses activités, même physiques, afin d’aller vers la perfection intérieure, afin de se détacher du monde matériel pour accéder au ciel. Le jugement de la réalité, sans préconcepts aliénants, irraisonnables demande « un détachement de soi » (cfr Lc 17,33). C’est un travail assez dur qui, dans la tradition religieuse, s’appelle ascèse, et qui peut être réalisé uniquement avec la conviction que Dieu Amour est notre destin.
[5] Luigi Giussani, Alla ricerca del volto umano. Milano 1995, p.92.
[6] Ysabel de Andia, La Voie et le voyageur, Essai d’anthropologie de la vie spirituelle, Paris, Editions du Cerf, 2012, pages 1024. La « Voie et le voyageur » est un essai d’anthropologie qui présente l’homme dans sa marche vers Dieu, de la terre au ciel. « Etranger et voyageur sur la terre » (Héb 11,13), il suit la voie de Dieu qui se révèle dans le Christ, « Voie, Vérité et Vie » (Jn 14,6)
Mgr Francesco Follo, 17 déc. 2018 © Mgr Francesco Follo
Le salut : don et lutte, par Mgr Follo
Dieu nous sauve en venant à notre rencontre