« Grandir dans le Bien à aimer et non pas dans les biens à posséder » : c’est le titre de la méditation de Mgr Francesco Follo, sur les lectures de dimanche prochain, 4 août 2019 (XVIII dimanche du Temps Ordinaire – Année C – Ecc 1,2 ; 2,21-23 ; Ps 94 ; Col 3,1-5. 9-11 ; Lc 12,13-21).
« Nous sommes trop attachés à la terre et aux biens de ce monde. Le fait de les posséder semble leur donner plus de sécurité et de tranquillité. Lentement, nous nous rendons compte que ce n’est pas du tout le cas. Une maladie grave suffit et on se rend compte que posséder et avoir ne nous donne pas la santé, ni n’allonge nos vies », souligne l’observateur permanent du Saint-Siège à l’Unesco de Paris.
La vraie richesse : Le Christ, le véritable bien.
1) Se donner.
Le message essentiel de l’Évangile d’aujourd’hui est si clair que, en réalité, il n’a pas besoin d’une longue explication : “Faites attention et tenez-vous à l’écart de toute avidité, car la vie d’un homme ne dépend pas de ses biens”. Mais, comme le Pape François nous le demande, il est utile de réfléchir sur le thème de la richesse et de l’attachement aux choses du monde, à notre existence sur la terre où nous sommes de passage. En effet, notre vie terrestre est un pèlerinage qui est par nature un voyage qui, pour être bien fait, doit être vécu avec un détachement croissant des choses, des biens de la terre.
L’être humain veut toujours davantage, parce qu’il est l’image de Dieu, qui est davantage: il est infini. Mais Dieu n’est pas plus parce qu’il a plus, mais parce qu’il donne plus, jusqu’au point de se donner lui-même, parce que Dieu est amour et vie. Si Dieu faisait comme nous et gardait ce qui est à lui et nous le refusait, personne ne vivrait plus, il n’y aurait plus rien dans le monde. Tout est possible parce que le plus de Dieu est de donner plus. L’un n’est pas ce qu’il a, mais ce qu’il donne.
Du point de vue de l’éternité, les biens du ciel sont ceux qui comptent vraiment. Malheureusement, nous sommes trop attachés à la terre et aux biens de ce monde. Le fait de les posséder semble leur donner plus de sécurité et de tranquillité. Lentement, nous nous rendons compte que ce n’est pas du tout le cas. Une maladie grave suffit et on se rend compte que posséder et avoir ne nous donne pas la santé, ni n’allonge nos vies. Nous tous, face au mal, nous sommes égaux et souffrons de la même manière, riches et pauvres, forts et faibles.
Au terme de toute évaluation morale, philosophique et religieuse, on arrive à la considération, sage et intelligente, réaliste et adhérente à la vie qui nous pousse à vivre, à lutter pour ne pas succomber, ce que nous trouvons résumé dans le beau récit de la première lecture de ce jour, tiré du Qohelet : “Vanité des vanités, vanité des vanités : tout est vanité. Ceux qui ont travaillé avec sagesse, avec science et avec succès devront alors laisser leur part à un autre qui n’a pas du tout lutté. Cela aussi est vanité et un grand mal. En fait, quel profit l’homme tire-t-il de tout son dur labeur et des soucis de son cœur, avec lesquels il lutte sous le soleil ? Tous ses jours ne sont que douleur et désagréments douloureux ; même la nuit, son cœur ne se repose pas. Ça aussi, c’est de la vanité !”.
Ce livre de l’Ancien Testament nous exhorte à comprendre que la vie ne consiste pas en ce que nous avons, l’Evangile (troisième lecture d’aujourd’hui) nous fait comprendre que Dieu est Père : au-delà de la vie et des moyens pour vivre, Il se donne à nous, ses enfants. Celui qui ne le reconnaît pas. perd son identité et la cherche non pas dans ce qu’il est, mais dans ce qu’il possède. Les biens qu’il accumule deviennent mauvais : ils ne sont plus des moyens, mais la fin de sa vie. Ce sont des idoles auxquelles il se sacrifie et sacrifie les autres : au lieu de créer la communion avec le Père et avec ses frères et sœurs, ils se séparent de Lui et des autres. Ceux qui accumulent des biens, vivent mal eux et vivent mal ses enfants : qu’ils héritent pour se disputer… pour l’héritage.
2) Biens accumulés et non des biens.
Revenons brièvement à la première lecture de la liturgie romaine, dans laquelle l’auteur sacré identifie, en particulier, trois formes de vanité : la stérilité de l’effort de l’homme, la fragilité des objectifs atteints, les nombreuses anomalies et injustices dont la vie est pleine. Dans le passage de l’Évangile, Jésus parle du riche qui est sûr et content de sa richesse et à qui on dit : « Insensé, cette nuit-là, tu vas mourir » (cf. Lc 12,20). Ce spéculateur n’était donc pas si intelligent : il n’avait pas bien « investi ». Le Rédempteur ne se limite pas à constater la vanité, l’inconsistance et la précarité des biens matériels. Je ne crois pas que le Messie ait simplement l’intention de désenchanter l’homme, en le libérant de la fascination de la possession. Le Christ indique, plus profondément, la véritable voie de la libération : « Ainsi en est-il de celui qui thésaurise pour lui-même, au lieu de s’enrichir en vue de Dieu. » (id. 12,21). C’est donc le « pour lui-même » qui est mauvais et qui doit être substitué par une autre orientation (« en vue de Dieu »).
Mais qu’est-ce que cela signifie concrètement ? Je crois que l’explication se trouve dans les versets suivants, que malheureusement la liturgie ne rapporte pas. On peut voir trois enseignements dans ces versets. S’enrichir en vue de Dieu signifie, par exemple, ne pas tomber dans la tentation du souci, de l’anxiété, comme si tout dépendait de nous. S’enrichir en vue de Dieu signifie tout subordonner – le travail, les biens, la vie même – au Royaume de Dieu. S’enrichir en vue de Dieu signifie enfin « faire l’aumône ». Le « en vue de Dieu » se concrétise dans le « pour les autres » (v.33). S’enrichir « pour soi-même » rend prisonnier de la vanité. Au contraire, la richesse donnée, la fraternité, l’amour sont des valeurs qui ne diminuent pas.
Parmi tous les saints dont l’Église est riche, j’en cite deux :
Le premier est Saint Jean-Marie Vianney, connu aussi comme le Saint Curé d’Ars.
Je le cite parce que c’est aujourd’hui la mémoire liturgique de cet humble et pauvre curé de campagne. À son époque, Ars était un petit village de 200 habitants. C’était un véritable fils de Saint François d’Assise, dont il fut le disciple dans le tiers-ordre franciscain. Riche du Bien, il donnait les biens qu’il avait aux autres. Pauvre pour lui-même, il vécut dans un détachement total des biens de ce monde et son cœur vraiment libre était largement ouvert à toutes les misères matérielles et spirituelles qui affluaient vers lui. « Mon secret, disait-il, est très simple : Tout donner et ne rien garder ». Désintéressé, il était d’autant plus prévenant envers les pauvres, surtout ceux de sa paroisse, auxquels il manifestait une extrême délicatesse, les traitant « avec une véritable tendresse, avec beaucoup d’égards, il faudrait dire avec respect ». Il recommandait de ne jamais manquer d’égard envers les pauvres, parce que ce manque retombait sur Dieu ; et quand les miséreux frappaient à sa porte, il était heureux de pouvoir leur dire, en les accueillant avec bonté : « Je suis pauvre comme vous, aujourd’hui, je suis un des vôtres ! ». À la fin de sa vie, il aimait répéter : « Je suis très content : je n’ai plus rien et le Bon Dieu peut m’appeler quand il voudra ». Pour lui, les pauvres étaient aussi les pauvres pécheurs, qui venaient à lui de toute la France et il leur donnait l’aumône du pardon de Dieu et de la paix du cœur.
Le second est Saint Hommebon Tucenghi, patron de mon diocèse de Crémone. Tout en m’excusant pour cette veine d’esprit de clocher, il me tient à cœur de dire que c’est un saint pertinent pour notre thème de ce jour, parce que l’Église lui a donné dès le début le titre de « Père des pauvres », « consolateur des affligés », « homme de paix et pacificateur », « homme bon de nom et de fait ». On pourrait m’objecter que c’est un saint médiéval, éloigné dans le temps. Mais je le propose parce qu’il est vraiment significatif. Ce saint crémonais est le premier et unique fidèle laïc, commerçant, marié, qui ait été canonisé au Moyen-âge. Vers la fin du XIIe siècle, il n’était pas facile à un laïc marié et immergé dans les affaires terrestres, n’appartenant pas à une famille royale ou noble, d’être proclamé saint et cela s’est passé moins de deux ans après sa mort survenue le 13 novembre 1197.
Mais Saint Hommebon (= Homme bon) Tucenghi avait vraiment fait honneur à son nom. Homme intelligent, il s’était montré particulièrement habile en affaires, en acquérant richesses et prestige à une période où le commerce des tissus était à Crémone l’une des principales activités qui en firent une ville riche. À l’époque des Communes, où l’argent et le marché avaient tendance (comme aujourd’hui) à constituer le centre de la vie citadine, Hommobon allia justice et charité et fit de l’aumône le signe du partage. C’est de la contemplation assidue du Crucifix qu’il apprit à témoigner, avec spontanéité, de la valeur de la vie comme un don.
Sa sainteté découlait de son regard sur le Christ, qui lui fit comprendre que l’argent qu’il gagnait ne lui appartenait pas, mais qu’il revenait de droit aux pauvres, en particulier aux enfants indigents de la ville.
Il transforma son logement en « maison d’accueil » et se consacra à la sépulture des défunts abandonnés. Sa générosité était si proverbiale qu’à Crémone, lorsqu’une demande est considérée comme trop excessive, on a l’habitude de dire : « C’est que je n’ai pas la bourse de Saint Hommebon », parce que, selon la tradition, la bourse de ce saint marchand ne se vidait jamais et lui-même ne se lassait pas de faire l’aumône.
Il est mort saintement à l’église, au chant du Gloria in excelsis Deo, alors qu’il assistait à la célébration de la messe, comme chaque jour.
3) La Transfiguration
Une brève allusion à cette belle fête de la Transfiguration qui, comme chaque année, est célébrée le 6 août, dans quelques jours.
La Transfiguration du Christ est connue. Sur le visage transfiguré de Jésus, qui était monté sur le Thabor avec Pierre et Jacques, brilla un rayon de la lumière divine qu’il conservait dans son cœur. Cette même lumière éclatera sur le visage du Christ le jour de la résurrection. En ce sens, la Transfiguration apparaît comme une anticipation du mystère pascal. La Transfiguration nous invite à ouvrir les yeux de notre cœur sur le mystère de la lumière de Dieu présente dans toute l’histoire du salut. Il ne nous reste qu’à contempler le Seigneur comme il est, avec les yeux de la foi, comme nous y invite l’encyclique Lumen fidei du pape François. Pauvres yeux de la foi qui regardent le Christ pauvre en Croix pour regarder comme lui le Père et le monde (cf. Lumen fidei, 56).
Notre transfiguration est un don et un devoir. Sur ce plan, nous avons l’exemple des vierges consacrées qui, par leur vie, sont appelées à être des témoins particuliers de la présence de Dieu, qui est lumière et qui donne la lumière.
Ainsi, celui qui est vierge demeure le témoin d’une présence divine.
Les vierges se sont engagées à vivre la participation au mystère du Christ, dans leur corps comme dans leur esprit. Il en découle que, véritablement, la personne vierge est une apparition constante de la présence divine transfigurante dans le monde. C’est de là que naît la nécessité de l’existence des vierges consacrées. Nous ne pouvons pas, nous, opposer le ciel de demain à la terre d’aujourd’hui ; le monde est un seulement, il n’y a pas deux mondes. Le monde est un seulement, mais pour nous qui ne vivons pas encore notre transfiguration humaine, le monde divin demeure caché, nous y croyons mais il demeure caché. Mais les vierges, d’une certaine manière, le révèlent et, dans leur pauvreté de vie, elles sont « riches » de Dieu : « C’est en toi qu’elles possèdent tout, parce que c’est toi qu’elles préfèrent à tout » (Rituel de la consécration des vierges, n. 24 : à la fin de la prière solennelle de consécration). La pauvreté du Christ a été fondamentale, continue et voulue : « Sur son corps nu en Croix, les signes de son amour étaient très visibles, lisibles pour tous » ((cf. Primo Mazzolari, La Via Crucis del Povero [Le Chemin de croix du pauvre], Rome 1977, p. 143). Et nous pouvons nous enrichir de cet amour si nous nous faisons pauvres et si nous le mendions, comme en témoignent pour nous les vierges consacrées.
Lecture quasiment patristique
L’hommage de Benoît XVI à la pauvreté de Saint François
« C’était en avril 1207, dans l’Italie gorgée de soleil. C’était le mois où Saint François d’Assise avait été déshérité et répudié par son père. Il n’avait plus rien, même le vêtement qu’il portait n’était pas le sien ; et pourtant, il possédait quelque chose que personne ne pouvait lui enlever, à savoir l’amour de Dieu à qui il pouvait maintenant dire « Père » d’une manière tout à fait nouvelle. Et il savait que c’était bien plus que de posséder le monde entier. Aussi son cœur était-il rempli d’une grande joie et il parcourait les bois de l’Ombrie en chantant.
C’est précisément ce jour-là, alors que Saint François passait près de Gubbio, qu’à l’improviste, deux brigands bondirent des buissons, prêts à l’attaquer ; surpris par son aspect si surprenant, ils lui demandèrent : Et toi, qui es-tu ? Il répondit : « Je suis le héraut du grand roi ».
François d’Assise n’était pas un prêtre, au contraire il est resté diacre toute sa vie ; mais ce qu’il a dit à ce moment est pourtant une description profonde de ce qu’est et ce que doit être un prêtre : le héraut du grand roi, de Dieu, l’annonciateur et le prédicateur de la seigneurie de Dieu qui doit s’étendre dans le cœur de tous les hommes et dans le monde entier.
Le héraut ne parcourra pas toujours la grande route en chantant ; parfois oui, certainement, parce que le Bon Dieu donne sans cesse à tout prêtre des moments où, dans l’étonnement et dans la joie, il reconnaît la grande tâche que Dieu lui a confiée. Mais contre ce héraut se lèvent aussi toujours les brigands, pour ainsi dire, auxquels cette annonce ne plaît pas : ce sont en premier lieu les indifférents, qui n’ont jamais de temps pour Dieu, ceux à qui, justement au moment où Dieu les appelle, vient à l’esprit qu’en réalité, ils ont autre chose à faire, qu’ils ont tellement de travail à régler ; et puis il y a ceux qui disent qu’il ne faudrait pas construire des églises, mais d’abord des maisons, et qui, si l’on construit des cinémas et toutes sortes de lieux de divertissement, s’en trouvent très bien » (Opera Omnia, Joseph Ratzinger, vol 12).
Traduction d’Hélène Ginabat
Mgr Francesco Follo, 17 déc. 2018 © Mgr Francesco Follo
Lectures de dimanche : la vraie richesse
Grandir dans le Bien à aimer et non pas dans les biens à posséder