Le pape François à Naples © Vatican Media

"La théologie ne peut pas se faire dans une ambiance de peur", avertit le pape à Naples (traduction 2/2)

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Il plaide pour la « liberté théologique »

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« Une théologie du discernement, de la miséricorde et de l’accueil, qui se met en dialogue avec la société, les cultures et les religions » : c’est ce qu’a souhaité le pape François en visitant la Faculté pontificale de Théologie de l’Italie méridionale à Naples, le 21 juin 2019. « La théologie ne peut pas se faire dans une ambiance de peur », a-t-il averti.
Le pape s’y est rendu à l’occasion de la Rencontre « La théologie après Veritatis gaudium dans le contexte de la Méditerranée » (20-21 juin 2019). Il a plaidé spécialement pour la « liberté théologique » : « Sans la possibilité d’expérimenter de nouvelles voies, l’on ne crée rien de nouveau, et on ne laisse pas de place à la nouveauté de l’Esprit du Ressuscité. »
Il s’agit de garder le « trésor » des « grandes synthèses théologiques du passé », mais de « chercher de nouvelles voies » afin de permettre « aux femmes et aux hommes de notre temps d’écouter “dans leur langue” une réflexion chrétienne qui réponde à leur recherche de sens et de vie pleine ».
« Faire de la théologie est aussi un acte de miséricorde », a affirmé le pape dans ce discours dont voici notre traduction de la deuxième partie.
Discours du pape François (2/2)
Une théologie en réseau
La théologie après Veritatis gaudium est une théologie en réseau et, dans le contexte de la Méditerranée, en solidarité avec tous les “naufragés” de l’histoire. Dans la mission théologique qui nous attend, souvenons-nous de saint Paul et du chemin du christianisme des origines qui relie l’orient à l’occident. Ici, à proximité du lieu où saint Paul a débarqué, on ne peut pas ne pas rappeler que les voyages de l’Apôtre ont été marqués par des situations critiques évidentes, comme ce naufrage au centre de la Méditerranée (Ac 27,9ss). Naufrage qui fait penser à celui de Jonas. Mais Paul ne fuit pas, même s’il peut penser que Rome est sa Ninive. Il peut penser à corriger l’attitude défaitiste de Jonas en rachetant sa fuite. A présent que le christianisme occidental a appris de beaucoup d’erreurs et de situations critiques du passé, il peut revenir à ses sources en espérant pouvoir témoigner la Bonne Nouvelle aux peuples de l’orient et de l’occident, du nord et du sud. La théologie ― gardant l’esprit et le cœur fixé sur « Dieu tendre et miséricordieux » (cf. Jonas 4,2) ― peut aider l’Eglise et la société civile à reprendre la route en compagnie de nombreux naufragés, en encourageant les populations de la Méditerranée à refuser toute tentation de reconquête et de fermeture identitaire. Toutes les deux cachent, se nourrissent et grandissent de la peur. La théologie ne peut pas se faire dans une ambiance de peur.
Le travail des facultés théologiques et des universités ecclésiastiques contribue à l’édification d’une société juste et fraternelle, où la sauvegarde de la création et la construction de la paix sont le résultat de la collaboration entre institutions civiles, ecclésiales et interreligieuses. Il s’agit avant tout d’un travail dans le “réseau évangélique”, c’est-à-dire en communion avec l’Esprit de Jésus qui est Esprit de paix, Esprit d’amour à l’oeuvre dans la création et dans le cœur des hommes et des femmes de bonne volonté de toutes races, cultures et religions. Comme le langage utilisé par Jésus peut parler du Royaume de Dieu, ainsi, de façon analogue, l’interdisciplinarité et la mise en réseau veulent favoriser le discernement de la présence de l’Esprit du Ressuscité dans la réalité. A partir de la compréhension de la Parole de Dieu dans son contexte méditerranéen originel, il est possible de discerner les signes des temps dans de nouveaux contextes.
La théologie après “Veritatis gaudium” dans le contexte de la Méditerranée
J’ai beaucoup mis l’accent sur Veritatis gaudium. Je voudrais remercier publiquement ici, parce qu’il est présent, Mgr Zani, qui a été l’un des artisans de ce document. Merci ! Quel est donc le devoir de la théologie après Veritatis gaudium dans le contexte de la Méditerranée ? Essentiellement, quelle est sa mission ? Elle doit s’harmoniser avec l’Esprit de Jésus Ressuscité, avec sa liberté d’aller de par le monde et de rejoindre les périphéries, y compris celles de la pensée. Aux théologiens, il revient de favoriser toujours de nouveau la rencontre des cultures avec les sources de la Révélation et de la Tradition. Les vieilles architectures de la pensée, les grandes synthèses théologiques du passé, sont des mines de sagesse théologique, mais elles ne peuvent pas s’appliquer mécaniquement aux questions actuelles. Il s’agit d’en faire trésor pour chercher de nouvelles voies. Grâce à Dieu, les premières sources de la théologie, c’est-à-dire la Parole de Dieu et l’Esprit-Saint, sont inépuisables et toujours fécondes ; c’est pourquoi l’on peut et l’on doit travailler dans la direction d’une “Pentecôte théologique”, qui permette aux femmes et aux hommes de notre temps d’écouter “dans leur langue” une réflexion chrétienne qui réponde à leur recherche de sens et de vie pleine. Pour que cela advienne, il y a certains présupposés indispensables.
Tout d’abord, il faut partir de l’Evangile de la miséricorde, c’est-à-dire de l’annonce faite par Jésus même et des contextes originels de l’évangélisation. La théologie naît au milieu des êtres humains concrets, rencontrés avec le regard et le cœur de Dieu, qui va à leur recherche avec un amour miséricordieux. Faire de la théologie est aussi un acte de miséricorde. Je voudrais redire ici, depuis cette ville où il n’y a pas que des épisodes de violence, mais qui conserve tant de traditions et tant d’exemples de sainteté ― outre un chef d’oeuvre du Caravage sur les œuvres de miséricorde et le témoignage du saint médecin Giuseppe Moscati ― je voudrais redire ce que j’ai écrit à la Faculté de théologie  de l’Université catholique Argentine : « Les bons théologiens aussi, comme les bons pasteurs, sentent le peuple et la rue et, par leur réflexion, versent de l’huile et du vin sur les blessures des hommes. Que la théologie soit expression d’une Eglise qui est “hôpital de campagne”, qui vit sa mission de salut et de guérison dans le monde ! La miséricorde n’est pas seulement une attitude pastorale, mais c’est la substance même de l’Evangile de Jésus. Je vous encourage à étudier comment, dans les différentes disciplines ― la dogmatique, la morale, la spiritualité, le droit, etc ― peut se refléter la centralité de la miséricorde. Sans miséricorde, notre théologie, notre droit, notre pastorale, courent le risque de s’écrouler dans la mesquinerie bureaucratique ou dans l’idéologie, qui par sa nature veut domestiquer le mystère ».1 La théologie, par le chemin de la miséricorde, se défend de domestiquer le mystère.
En second lieu, une sérieuse prise en compte de l’histoire au sein de la théologie, comme espace ouvert à la rencontre avec le Seigneur, est nécessaire. « La capacité d’entrevoir la présence du Christ et le chemin de l’Eglise dans l’histoire nous rend humbles, et nous ôte la tentation de nous réfugier dans le passé pour éviter le présent. Et cela a été l’expérience de tant et tant de spécialistes qui ont commencé, je ne dis pas athées, mais un peu agnostiques, et qui ont trouvé le Christ. Parce que l’histoire ne pouvait pas se comprendre sans cette force ».2
La liberté théologique est nécessaire. Sans la possibilité d’expérimenter de nouvelles voies, l’on ne crée rien de nouveau, et on ne laisse pas de place à la nouveauté de l’Esprit du Ressuscité : « À ceux qui rêvent une doctrine monolithique défendue par tous sans nuances, cela peut sembler une dispersion imparfaite. Mais la réalité est que cette variété aide à manifester et à mieux développer les divers aspects de la richesse inépuisable de l’Évangile. » (Exort. ap. Evangelii gaudium, 40). Cela signifie aussi une révision adéquate de la ratio studiorum. Sur la liberté de réflexion théologique, je ferais une distinction. Parmi les chercheurs, il faut avancer avec liberté; puis, en dernière instance, ce sera au magistère de dire quelque chose, mais on ne peut pas faire de théologie sans cette liberté. Mais dans la prédication au Peuple de Dieu, s’il vous plaît, ne blessez pas la foi du Peuple de Dieu avec des questions discutées ! Que les questions discutées restent seulement parmi les théologiens. C’est votre mission. Mais il faut donner au Peuple de Dieu la substance qui nourrit la foi et qui ne la relativise pas.
Enfin, il est indispensable de se doter de structures légères et flexibles, qui manifestent la priorité donnée à l’accueil et au dialogue, au travail inter- et trans-disciplinaire et en réseau. Les statuts, l’organisation interne, la méthode d’enseignement, le système des études, devraient refléter la physionomie de l’Eglise “en sortie”. Tout doit être orienté, dans les horaires et dans l’organisation, de manière à favoriser le plus possible la participation de ceux qui désirent étudier la théologie : outre les séminaristes et les religieux, les laïcs et les femmes, laïques ou religieuses, également. En particulier, la contribution que les femmes sont en train de donner et peuvent donner à la théologie est indispensable et leur participation doit donc être soutenue, comme vous le faites dans cette Faculté, où il y a une bonne participation de femmes comme enseignantes et comme étudiantes.
Que ce très beau lieu, siège de la Faculté théologique dédiée à saint Louis, dont c’est aujourd’hui la fête, soit symbole d’une beauté à partager, ouverte à tous. Je rêve de Facultés théologiques où l’on vive la convivialité des différences, où l’on pratique une théologie du dialogue et de l’accueil ; où l’on expérimente le modèle du polyèdre de la connaissance théologique au lieu d’une sphère statique et désincarnée. Où la recherche théologique soit en mesure de promouvoir un processus d’inculturation engageant mais captivant.
Conclusion
Le critères du Proemio de la Constitution apostolique Veritatis gaudium sont des critères évangéliques. Le kérygme, le dialogue, le discernement, la collaboration, le réseau – j’ajouterais aussi la parresia, qui a été citée comme critère, qui est la capacité d’être à la limite, avec l’hypomoné, la tolérance, être à la limite pour avancer – ce sont des éléments et des critères qui traduisent la façon dont l’Evangile a été vécu et annoncé par Jésus et avec lesquels il peut être aussi transmis par ses disciples.
La théologie après Veritatis gaudium est une théologie kerygmatique, une théologie du discernement, de la miséricorde et de l’accueil, qui se met en dialogue avec la société, les cultures et les religions, pour la construction de la cohabitation pacifique des personnes et des peuples. La Méditerranée est une matrice historique, géographique et culturelle de l’accueil kerygmatique pratiqué avec le dialogue et avec la miséricorde. De cette recherche théologique, Naples est l’exemple et le laboratoire spécial. Bon travail !
_____________________
[1] Lettre au Grand Chancelier de la “Pontificia Universidad Católica Argentina” pour le centenaire de la Faculté de théologie, 3 mars 2015.
[2]
 Discours aux participants au congrès de l’Association des professeurs d’Histoire de l’Eglise, 12 juin 2019.

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Anne Kurian-Montabone

Baccalauréat canonique de théologie. Pigiste pour divers journaux de la presse chrétienne et auteur de cinq romans (éd. Quasar et Salvator). Journaliste à Zenit depuis octobre 2011.

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