Le cardinal Pietro Parolin, secrétaire d’État, a invité à les nonces apostoliques à être « irréversiblement ‘enchaînés’ à l’Évangile de Jésus » pour « devenir » « de joyeux et courageux ‘ambassadeurs dans les chaînes’, ‘prisonniers’ à jamais de la loi de l’amour ».
Le « numéro 2 » du Vatican a célébré la messe d’ouverture de la Réunion des représentants pontificaux, dans la Basilique Saint-Pierre, ce 12 juin 2019.
« Nous sommes constamment invités à veiller sur notre rapport à la loi », a rappelé le cardinal, mais « la loi doit toujours et seulement être au service de l’humanité ! »
« Si le sommet de la loi est l’amour, a-t-il souligné, combien notre service doit-il être doté de tendresse ! » Les conditions, a-t-il poursuivi, « peuvent changer », « mais rien ni personne ne pourra nous empêcher d’aimer. Un amour passionné pour le Christ et pour son Église, un amour généreux pour les hommes, pour les populations auprès desquelles nous sommes envoyés et, surtout, pour les pauvres ».
« Mettons-nous dans les mains et le cœur de Marie, notre Mère, Mère de l’Église et Reine des apôtres », a conclu le cardinal Parolin.
Voici notre traduction de son homélie.
MD
Homélie du cardinal Pietro Parolin
Chers frères,
Les lectures de la liturgie de ce jour, proclamées aujourd’hui dans toutes les petites ou grandes communautés chrétiennes dispersées dans le monde entier, font maintenant écho pour nous dans cette Basilique Saint-Pierre.
Ce sont des textes très denses, qui proposent à nouveau certaines questions doctrinales débattues dans les communautés chrétiennes primitives, liées au rôle reconnu au grand médiateur entre Dieu et Israël, Moïse, et à la fonction de la Loi mosaïque. Reprenons seulement quelques points qui peuvent éclairer directement notre rencontre qui commence par la prière autour de l’autel du Seigneur et, plus généralement le service des représentants pontificaux.
Dans l’Évangile, nous entendons que Jésus n’a pas l’intention d’abolir la Loi, même si certains de ses gestes – par exemple certains miracles réalisés par provocation le jour du Sabbat – pouvaient susciter des doutes et des réactions très vives. Au contraire, Jésus est totalement obéissant au Père et il observe sa Loi jusque dans les plus infimes détails (le ‘iota’ et le ‘tiret’ constituent des détails graphiques de peu d’importance) : parce que c’est précisément dans les plus petites réalités que se vivent les fidélités les plus grandes ! (cf. Lc 16,10).
Mais en même temps, il se situe comme interprète autorisé des commandements de Moïse. Que l’on pense simplement aux antithèses : « Vous avez entendu qu’on vous a dit, mais moi, je vous dis ». Jésus ne rejette pas, au contraire, il interprète de manière souveraine la législation mosaïque, intensifiant sa radicalité.
Il situe ainsi toute la question au niveau de la justice la plus élevée, celle de l’amour. Paul dira à cet égard : « le plein accomplissement de la loi, c’est l’amour » (Rm 13,10). En ce sens, nous pourrions définir Jésus comme un « pieux transgresseur » : « pieux » car fidèle observant de la loi mosaïque, « transgresseur » (du latin ‘transgredior’ : « dépasser », « outrepasser »), dans la mesure où il la dépasse en mieux, la ramenant à son cœur battant (1) : le commandement de l’amour.
La Loi a été momifiée, fixe, immobile, tout en se dilatant outre mesure. Jésus lui rend le mouvement, la légèreté, il en révèle les possibilités. La Loi emprisonnée dans ses formes, qui a atteint des dimensions disproportionnées, est une Loi dé-formée, qui ne manifeste plus les intentions de Dieu, le plan de son amour. Jésus la libère de ces plâtres sclérosants, de ces armatures extérieures, il en fait exploser les contradictions, il en fait percevoir le sens, l’âme, la logique de fond, il en révèle les conséquences, la richesse et les potentialités pour le présent. En somme, il lui rend son dynamisme resté congelé (2).
Cette observation nous permet, entre autres, au moins deux conséquences.
La première : nous sommes constamment invités à veiller sur notre rapport à la loi. J’entends ici surtout la loi canonique, sans exclure non plus la loi civile.
D’un côté, nous devons en être les premiers gardiens et observateurs : notre agir en tant que représentants du Saint-Siège doit toujours être exemplaire et notre conduite transparente. De l’autre, il ne faut pas oublier que le Code de droit canonique nous enseigne que « suprema lex salus animarum » (can. 1752 ; cf. can. 747, § 2), en obéissance à ce que soutenait Jésus : « Le sabbat est fait pour l’homme et non l’homme pour le sabbat » (Mc 2,27).
Notre service et tous les systèmes juridiques présents dans le monde sont (ou devraient être) dirigés vers le bien de l’homme et de tous les hommes : vers le respect de ses droits, la construction d’une société plus juste, une coexistence dans la paix. Ceci est d’ailleurs le cadre de l’action diplomatique du Saint-Siège. La loi doit toujours et seulement être au service de l’humanité !
La seconde : si le sommet de la loi est l’amour, combien notre service doit-il être doté de tendresse ! Les conditions dans lesquelles nous nous trouvons peuvent changer : favorables dans certaines nations, ou adverses dans d’autres. L’action de l’Église pourra être favorisée dans certaines parties, ou fortement combattue dans d’autres. Mais rien ni personne ne pourra nous empêcher d’aimer. Un amour passionné pour le Christ et pour son Église, un amour généreux pour les hommes, pour les populations auprès desquelles nous sommes envoyés et, surtout, pour les pauvres.
La référence à Moïse se retrouve aussi ensuite, sous une autre forme, dans la première lecture. En effet, en écrivant aux Corinthiens, Paul établit précisément une comparaison entre l’antique et la nouvelle Alliance. Paul définit le premier ministère comme « glorieux », mais d’une gloire transitoire, tandis qu’il affirme que le second est enveloppé d’une gloire bien plus surabondante et durable. L’idée qui sous-entend ce raisonnement est subtile : il n’y a aucune intention de diminuer ou de liquider le ministère de Moïse, qui est quoi qu’il en soit « glorieux ». Il y a plutôt un désir de Paul de souligner la suréminence du ministère de la nouvelle Alliance confié à sa personne. Il est pleinement conscient de la grandeur de sa tâche : son service apostolique n’est rien de moins que le ministère de la nouvelle Alliance duquel émane une « gloire incomparable » (2 Cor 3,10), parce que réalisée par Dieu lui-même dans le mystère pascal de la mort et de la résurrection de Jésus.
Cette conviction de Paul a deux implications directes : la hauteur démesurée du ministère et, en même temps, la relativisation du ministre. La mission qui lui a été confiée est d’origine divine, par conséquent elle est investie de l’autorité même de Dieu : « Notre capacité vient de Dieu » (2 Cor 3,5b) Mais en même temps la possibilité de remplir cette charge ne repose pas sur des dons ou des capacités personnelles de l’apôtre : « ce n’est pas à cause d’une capacité personnelle que nous pourrions nous attribuer » (2 Cor 3,5a). La gloire qui resplendissait auparavant sur le visage de Moïse ne brille pas maintenant sur le visage de Paul !
Tous les ministères dans l’Église, y compris celui de la représentation pontificale, ne jouissent pas d’une gloire qui leur est propre, mais doivent refléter uniquement celle de la nouvelle Alliance dans le Christ. Tous les jours, à la messe, nous célébrons le mémorial eucharistique avec les paroles mêmes de Paul : « Cette coupe est la nouvelle Alliance en mon sang » (1 Cor 11,25), cherchant constamment à construire avec tous des rapports d’estime et de fraternité, servant à la « diplomatie de l’Évangile ». L’apôtre affirme toujours : Dieu nous a confié « la parole de la réconciliation. Nous sommes donc les ambassadeurs du Christ, et par nous c’est Dieu lui-même qui lance un appel » (2 Cor 5,19-20).
Notre ministère est très élevé, revêtu lui aussi de gloire divine, mais notre personne de ministre demeure marquée par la pauvreté et par les limites. On ne peut être représentant pontifical que dans l’estime pour la charge confiée et, en même temps, dans l’humilité sincère à propos de notre propre personne.
Et puis Paul sait que son existence est totalement impliquée dans le ministère qu’il accomplit : le messager est pleinement impliqué dans le message qu’il transmet. En effet, dans les versets suivant notre péricope (que nous écouterons demain), il soutient une transformation progressive des ministres dans l’Évangile qu’ils annoncent : « Et nous tous qui n’avons pas de voile sur le visage, nous reflétons la gloire du Seigneur, et nous sommes transformés en son image avec une gloire de plus en plus grande, par l’action du Seigneur qui est Esprit » (2 Cor 3,18). Le verbe employé (metamorfoúmetha) – nous le savons – est le même que celui qui est utilisé dans l’épisode de la Transfiguration de Jésus.
Laissons-nous donc transformer par notre tâche : si les messagers doivent faire corps avec le message qu’ils annoncent, les représentants pontificaux aussi sont appelés d’une certaine manière à se laisser transfigurer par l’annonce qu’ils transmettent. Dans l’antiquité, les ambassadeurs jouissaient d’un statut extraordinaire : en qualité de représentants, ils rendaient présente la personne même du roi. Si l’on accueillait, ou si, au contraire, on repoussait l’ambassadeur, c’était comme si ce geste était adressé directement au monarque représenté : dans l’envoyé, il y avait quelque chose de celui qui envoyait. Voilà. Ce qui doit se rendre présent en nous, ce n’est pas seulement le style pastoral du Saint-Père, que nous représentons et dans les États où nous sommes accrédités, mais notre cœur de pasteur et d’évêque doit s’identifier toujours plus avec l’Évangile même et avec la nouvelle Alliance de Jésus.
Cela fera de nous des hommes de grande foi, d’authentique humilité, d’amour passionné pour le Seigneur et pour les hommes et de dévouement inconditionné pour l’Église, épouse du Christ. Ce sera là les lettres de créance les plus belles qui rendront « glorieux » votre ministère !
Je désire enfin confier la conclusion de mes pensées à Paul lui-même : « Priez aussi pour moi : qu’une parole juste me soit donnée quand j’ouvre la bouche pour faire connaître avec assurance le mystère de l’Évangile dont je suis l’ambassadeur, dans mes chaînes. Priez donc afin que je trouve dans l’Évangile pleine assurance pour parler comme je le dois » (Ép 6,19-20).
Prions donc, frères, pour que notre service de représentants pontificaux nous garde irréversiblement « enchaînés » à l’Évangile de Jésus afin de devenir nous aussi de joyeux et courageux « ambassadeurs dans les chaînes », « prisonniers » à jamais de la loi de l’amour.
Mettons-nous dans les mains et le cœur de Marie, notre Mère, Mère de l’Église et Reine des apôtres. Ainsi soit-il.
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(1) Cf. A. Martin, «Un “pio trasgressore”. Il rapporto di Gesù con la dimensione rituale-cultuale del suo tempo», Credere Oggi 4 (2015), 40.
(2) A. Pronzato, Il Vangelo in casa. L’“oggi della Parola di Dio”, Gribaudi, Torino 1992, 183.
© Traduction de Zenit, Hélène Ginabat
Le cardinal Parolin © capture de Zenit / sanctuaire de Lourdes
Nonces apostoliques : le card. Parolin invite à être « irréversiblement enchaînés à l’Évangile »
Homélie pour la rencontre des représentants pontificaux