Déclaration d'Abou Dhabi sur la fraternité humaine © Vatican Media

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Le voyage aux Emirats arabes unis, décryptage par le p. Stalla-Bourdillon

«Comme des frères qui s’aiment»

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Paris, le 7 février 2019
« Comme des frères qui s’aiment »
Le voyage de François aux Émirats Arabes Unis fut l’occasion d’une célébration de plus de 100 000 personnes, semblable à celle des précédents voyages pontificaux. Pourtant, l’enjeu de la venue de François à Abou d’Abi se trouve bien davantage dans sa rencontre avec le Docteur Ahmad Al-Tayyib, Grand Imam d’Al-Azhar, et dans la signature d’une déclaration commune dont la portée historique ne semble pas suffisamment perçue. Gageons que le texte même signé par les deux hommes n’a pas encore été découvert, lu et étudié sur le fond. Si les autorités religieuses et les personnalités politiques prennent leurs responsabilités en vue du service du bien de leur société et des leurs fidèles, ils ne pourront se priver de la richesse de ce document commun.
Les souffrances de tant d’innocents dans le monde ont atteint un tel niveau qu’il n’est plus possible de rester passif. L’humanité s’auto-détruit lorsque sa relation à Dieu se pervertît. Cette perversion a deux causes : soit l’oubli de Dieu qui engendre l’individualisme et l’indifférence, soit la corruption de l’idée même de Dieu devenant une idole dont la défense justifierait toutes les violences. Ainsi, ils écrivent : « nous déclarons fermement que les religions n’incitent jamais à la guerre et ne sollicitent pas des sentiments de haine, d’hostilité, d’extrémisme, ni n’invitent à la violence ou à l’effusion de sang. Ces malheurs sont le fruit de la déviation des enseignements religieux, de l’usage politique des religions et aussi des interprétations de groupes d’hommes de religion qui ont abusé – à certaines phases de l’histoire – de l’influence du sentiment religieux sur les cœurs des hommes pour les conduire à accomplir ce qui n’a rien à voir avec la vérité de la religion, à des fins politiques et économiques mondaines et aveugles. C’est pourquoi nous demandons à tous de cesser d’instrumentaliser les religions pour inciter à la haine, à la violence, à l’extrémisme et au fanatisme aveugle et de cesser d’utiliser le nom de Dieu pour justifier des actes d’homicide, d’exil, de terrorisme et d’oppression.  » Partant de là, trois aspects justifient la qualification d »historique » de cette rencontre.
A l’heure où les sociétés européennes sont gagnées par la tentation sordide, de céder au rapport de force et à la confrontation des religions, ensemble les deux responsables religieux le Pape et l’Imam d’Al-Azhar donnent le signe diamétralement opposé à cette représentation. Les religions sont faites pour se parler, les divergences de doctrines sont assumées dans le respect des croyants reconnus comme des frères et des sœurs. Ils affirment ainsi que le bien n’est pas quelque chose à faire, mais quelqu’un à aimer, comme le disait Maurice Zundel.
Ensemble, à l’heure où l’Islam dans le monde est très gravement menacé par la prolifération du fondamentalisme d’un Islam radical, le Pape François vient s’approcher de ce « frère croyant » pour « l’aider et l’aimer ». Ce faisant, il met en œuvre sa conscience de la mission de l’Église « hôpital de campagne », allant « aux périphéries » pour offrir les soins qu’il sait devoir apporter pour le bien de l’humanité dans son ensemble. L’Islam wahhabite ou salafiste est l’expression d’une double spirale de violence : violence d’un enfermement dans une radicalisation qui ne connaît pas de fin, et violence d’une ambition hégémonique cherchant à imposer à tous sa propre aliénation. De même que personne ne peut s’extraire seul d’une ornière, cet islam ne pourra se réformer tout seul, il a besoin d’être aidé par d’autres croyants, aide qui consiste à s’approcher de lui et de venir lui parler de Dieu. Luttant déjà contre les dérives fondamentalistes, l’Imam Ahmad Al-Tayyib se laisse rejoindre par le Pape François et accepte son amitié. Les religions signifient ainsi que leur dialogue réciproque, basé sur l’estime dûe à un autre croyant, est le vaccin contre les gènes de la pathologie de la toute-puissance qui menacent constamment l’inclination religieuse.
Le Pape François exerce ainsi son apostolat en actes, et pas seulement en paroles, en faisant de la relation à l’autre, l’expression visible de sa propre vérité doctrinale qui inspire sa foi catholique. Loin de taire ce qui fait le cœur de la foi au Christ, il en donne le témoignage universel en faisant primer la communion sur la division, la fraternité humaine sur la concurrence doctrinale. Rien ne témoigne davantage du christianisme que la relation à l’autre, conformément au Dieu un et trine, Trois Personnes divines, Père Fils et Saint-Esprit, dont les relations les personnalisent comme telles. François sait que Dieu se donne à connaître dans la vérité de son être dans les relations humaines, germe divin portant le dynamisme et la promesse d’un de soi à l’autre. Le Pape François ne rejoue pas l’histoire, mais comme Saint François d’Assise avant lui, il se fait le témoin providentiel en ce XXIe siècle, des conditions de possibilité d’un avenir pacifié.
Par ce triple engagement commun, cette rencontre est déjà historique et prophétique pour « vivre comme des frères qui s’aiment ». « L’humanité doit vivre comme une seule famille si elle veut survivre » disait le jésuite Pierre Teilhard de Chardin. La déclaration d’Abou Dhabi sur « la fraternité humaine » devra maintenant être diffusée, commentée et patiemment étudiée sur le fond, afin que l’humanité façonne une fraternité gardienne de la maison commune.
 
Laurent Stalla-Bourdillon,
Directeur du Service pour les Professionnels de l’Information
Diocèse de Paris (France)
 

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Rédaction

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