« Je voudrais vous dire de ne pas oublier les racines de votre peuple. Pensez au passé, parlez avec les vieux: ce n’est pas ennuyeux de parler avec les anciens. Allez chercher les vieux et faites-vous raconter les racines de votre peuple, les joies, les souffrances, les valeurs »: le pape François a improvisé la fin de son discours à des dizaines de milliers de jeunes qu’il a rencontrés, ce samedi 22 septembre 2018, sur le parvis de la cathédrale de Vilnius (Lituanie), en ce premier des quatre jours qu’il doit passer dans les Pays Baltes.
La présidente, Mme Dalia Grybauskaité, ainsi que l’archevêque émérite, le cardinal Audrys Backis, ont salué le pape à son arrivée. Il faisait beaucoup plus froid qu’à Rome (10°C au lieu de 25°C) et le pape avait revêtu son grand manteau blanc.
« Et ainsi, a expliqué le pape, vous puiserez aux racines et vous ferez avancer votre peuple, l’histoire de votre peuple, pour un fruit plus grand. Chers jeunes si vous voulez un peuple grand, libre, prenez aux racines de la mémoire. Et faites-le progresser. »
La rencontre a eu lieu en présence du tableau de « Jésus miséricordieux » peint par Eugeniusz Kazimirowski en 1934, à Vilnius, sous la direction de sainte Faustine Kowalska, accompagnée du bienheureux Michal Sopocko, son père spirituel, en grand secret: le p. Sopocko servait donc de modèle! Le tableau est habituellement conservé en l’église de la Sainte-Trinité devenue sanctuaire de la miséricorde à Vilnius.
Voici le texte officiel en français de l’allocution du pape François, avec les principaux ajouts improvisés en italiens insérés et traduits par nos soins.
AB
Dialogue du pape François avec les jeunes
Bonsoir à tous!
Merci Monika et Jonas, de votre témoignage! Je l’ai accueilli comme un ami, comme si nous étions assis ensemble, dans un bar, à nous raconter les choses de la vie, en prenant une bière ou une gira, après avoir été au ‘‘Jaunimo teatras”.
Votre vie, cependant, n’est pas une pièce de théâtre, elle est réelle, concrète, comme celle de chacun d’entre nous qui sommes ici, sur cette belle place située entre ces deux fleuves. Et peut-être que tout cela nous servira à relire vos histoires et à y découvrir le passage de Dieu… Car Dieu passe toujours dans notre vie. Il passe toujours. Un grand philosophe disait: « J’ai peur, quand Dieu passe! J’ai peur de ne pas m’en rendre compte! ».
Comme cette église cathédrale, vous avez fait l’expérience de situations qui vous ont fait crouler, d’incendies dont il semblait que vous vous n’auriez pas pu vous relever. À maintes reprises, ce temple a été dévoré par les flammes, il a été démoli, et cependant il y a toujours eu des gens qui ont décidé de le reconstruire, qui ne se sont pas laissés vaincre par les difficultés, qui n’ont pas baissé les bras. Il y a un beau chant alpin qui dit: « Dans l’art de monter, le secret ce n’est pas de ne pas tomber, mais de ne pas rester à terre ». Recommencer toujours à nouveau et ainsi, monter. Comme cette cathédrale. Même la liberté de votre patrie est construite sur ceux qui ne se sont pas laissés abattre par la terreur et par le malheur. La vie, la condition et la mort de ton papa, Monika; ta maladie, Jonas, auraient pu vous abattre… Et cependant, vous êtes ici, pour partager votre expérience avec un regard de foi, en nous faisant découvrir que Dieu vous a donné la grâce de supporter, de vous relever, de continuer à marcher dans la vie.
Toi aussi, Jonas, tu as trouvé dans les autres, dans ton épouse et dans la promesse faite le jour du mariage, la raison d’aller de l’avant, de lutter, de vivre. Ne permettez pas que le monde vous fasse croire qu’il est mieux de marcher seuls. Seuls, on n’arrive jamais. Oui, tu pourras arriver et avoir succès mais sans amour, sans compagnons, sans appartenance à un peuple, sans cette expérience si belle de prendre des risques ensemble. On ne peut marcher seul. Ne cédez pas à la tentation de vous replier sur vous-mêmes, de se regarder le nombril, non! De devenir égoïstes ou superficiels devant la souffrance, devant les difficultés ou le succès passager. Affirmons encore une fois que ‘‘ce qui arrive à l’autre, m’arrive aussi’’, allons à contrecourant de cet individualisme qui isole, qui nous fait devenir égocentriques et vaniteux, préoccupés uniquement par notre image et notre propre bien-être. Préoccupés par notre image, par comment apparaître. La vie devant le miroir n’est pas belle (…). C’est beau la vie en famille, la lutte pour mon peuple, ainsi, la vie est belle, pas belle. Au contraire, la vie avec les autres, en familles, avec les amis, avec la lutte de mon peuple… C’est ainsi que la vie est belle!
Nous sommes chrétiens et nous voulons miser sur la sainteté. Pariez sur la sainteté à partir de la rencontre et de la communion avec les autres, attentifs à leurs besoins (cf. ibid, n. 146). Notre vraie identité présuppose l’appartenance à un peuple. Il n’y a pas d’identité ‘‘de laboratoire’’, ni d’identité ‘‘distillée’’, d’identité ‘‘pur sang’’: elles n’existent pas. Il y a une identité que te donne de te préoccuper pour les autres, qui te donne la force de lutter et la tendresse pour caresser. Chacun de nous connaît la beauté et aussi la fatigue (c’est beau que les jeunes se fatiguent, c’est le signe qu’ils travaillent), et souvent la douleur d’appartenir à un peuple, vous connaissez cela. Ici s’enracine notre identité, nous ne sommes pas des personnes sans racines. Nous ne sommes pas des personnes sans racines! (deux fois, ndlr)
Tous les deux, vous avez aussi rappelé votre appartenance au chœur, la prière en famille, la Messe, la catéchèse et l’aide aux plus démunis; ce sont des armes puissantes que le Seigneur nous donne. La prière et le chant, pour ne pas s’enfermer dans l’immanence de ce monde: en désirant Dieu, vous êtes sortis de vous-mêmes et vous avez pu contempler avec les yeux de Dieu ce qui se passait dans votre cœur (cf. ibid, n. 147); en faisant de la musique, vous vous ouvrez à l’écoute et à l’intériorité, vous vous laissez ainsi toucher dans votre sensibilité et cela est toujours une bonne opportunité pour le discernement (cf. Synode consacré aux jeunes, Instrumentum laboris, n. 162). Certes, la prière peut être une expérience de ‘‘combat spirituel’’, mais c’est là que nous apprenons à écouter l’Esprit, à discerner les signes des temps et à retrouver des forces pour continuer à annoncer l’Evangile aujourd’hui. De quelle autre manière pourrions-nous combattre le découragement face aux difficultés personnelles et à celles des autres, face aux horreurs du monde? Que ferions-nous sans la prière pour ne pas croire que tout dépend de nous, que nous sommes seuls dans ce corps à corps avec les adversités? ‘‘Jésus et moi, majorité absolue’’, disait saint Alberto Hurtado. N’oubliez pas! C’est un saint qui disait cela. Et la rencontre avec Lui, avec sa Parole, avec l’Eucharistie, nous rappelle que la force de l’adversaire n’importe pas ; il n’importe pas que le ‘‘Zalgiris Kaunas’’ soit premier ou que ce soit le ‘‘Vilnius Rytas’’ [applaudissements et rires, ndlr]. A propos, je vous le demande, qui est le premier? [le pape et les jeunes rient]. Peu importe qui est le premier, peu importe le résultat, mais que le Seigneur soit avec nous.
Vous aussi, l’expérience d’aider les autres a été pour vous dans la vie un soutien, découvrir qu’à côté de nous il y a des personnes qui vont mal, et même pire que nous. Monika, tu nous as raconté ton engagement auprès des enfants porteurs de handicap. Voir la fragilité des autres nous plonge dans la réalité, cela nous empêche de vivre en léchant nos blessures. C’est moche de vivre en se lamentant, moche. C’est moche de vivre en se léchant les blessures! Que de jeunes partent de leur pays par manque d’opportunités! Combien sont victimes de la dépression, de l’alcool et des drogues! Vous le savez bien. Que de personnes âgées sont seules, sans quelqu’un avec qui partager le présent et craignant que le passé ne revienne. Vous, les jeunes, vous pouvez répondre à ces défis par votre présence et par la rencontre entre vous et avec les autres. Jésus nous invite à sortir de nous-mêmes, à risquer le ‘‘face à face’’ avec les autres. Il est vrai que croire en Jésus implique bien des fois faire un saut de foi dans le vide, et cela fait peur. D’autres fois, cela nous conduit à nous remettre en cause, à sortir de nos schémas, et cela peut nous faire souffrir et nous soumettre à la tentation du découragement. Mais, soyez courageux! Suivre Jésus est une aventure passionnante qui remplit de sens notre vie, qui nous fait sentir que nous sommes membres d’une communauté qui nous encourage et nous accompagne, qui nous engage au service. Chers jeunes, cela vaut la peine de suivre le Christ, cela vaut la peine! N’ayons pas peur de participer à la révolution à laquelle il nous invite: la révolution de la tendresse (cf. Exhort. ap. Evangelii gaudium, n. 88).
Si la vie était une pièce de théâtre ou un jeu vidéo, elle serait limitée dans un temps précis, entre un début et une fin où tombe le rideau ou bien quelqu’un gagne la partie. Mais la vie mesure d’autres temps, la vie se joue dans des temps en relation avec le cœur de Dieu; parfois, on avance, d’autres fois on recule, on essaie et on cherche des routes, on en change… L’indécision semble naître de la peur que tombe le rideau, ou que le chronomètre nous laisse hors de la partie, dans l’impossibilité de monter d’un cran au jeu. Au contraire, la vie est en chemin, elle n’est pas immobile. La vie est toujours un parcours à la recherche de la direction juste, sans peur de retourner en arrière si je me suis trompé. La chose la plus dangereuse, c’est de confondre le chemin avec un labyrinthe: ce fait de tourner en rond dans la vie, sur soi-même, sans prendre la route qui conduit en avant. S’il vous plaît, ne soyez pas des jeunes du labyrinthe, dont il est difficile de sortir, mais des jeunes en chemin. Pas de labyrinthe: en chemin!
N’ayez pas peur de vous décider pour Jésus, d’embrasser sa cause, celle de l’Évangile, de l’humanité, des êtres humains. Parce qu’il ne descendra jamais de la barque de votre vie, il sera toujours au carrefour de nos routes, il ne cessera jamais de nous reconstruire, même si parfois nous nous évertuons à nous démolir. Jésus nous fait don de temps longs et généreux, où il y a de la place pour les échecs, où personne n’a besoin d’émigrer, parce qu’il y a de la place pour tous. Beaucoup voudront occuper vos cœurs, infester les champs de vos aspirations par l’ivraie, mais à la fin, si nous offrons notre vie au Seigneur, le bon grain l’emporte toujours.
Votre témoignage, Monika et Jonas, parlait de la grand mère, de la maman… Je voudrais vous dire, – et je finis, soyez tranquilles! -, je voudrais vous dire de ne pas oublier les racines de votre peuple. Pensez au passé, parlez avec les vieux: ce n’est pas ennuyeux de parler avec les anciens. Allez chercher les vieux et faites-vous raconter les racines de votre peuple, les joies, les souffrances, les valeurs. Et ainsi vous puiserez aux racines et vous ferez avancer votre peuple, l’histoire de votre peuple, pour un fruit plus grand. Chers jeunes si vous voulez un peuple grand, libre, prenez aux racines de la mémoire. Et faites-le progresser. Merci beaucoup!
(c) Librairie éditrice du Vatican pour le texte prévu
(c) Zenit, pour les improvisations insérées oralement dans le texte italien