Monsieur le curé fait sa crise @ Qasar

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Hommage à Jean Mercier dans L'Osservatore Romano, par Marie-Lucile Kubacki

« Le papa du nouveau Don Camillo est mort »

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Dans L’Osservatore Romano en italien du 21 juillet 2018, Marie-Lucile Kubacki de Guitaut rend hommage à l’écrivain et journaliste français Jean Mercier, disparu le 19 juillet 2018. Voici le texte original en français de cet hommage.
Le papa du nouveau Don Camillo est mort
La disparition de l’écrivain et du journaliste Jean Mercier

Il était une figure discrète mais très estimée, tant du journalisme que de l’Eglise de France. Jean Mercier, rédacteur en chef adjoint du magazine La Vie, a rendu l’esprit le jeudi 19 juillet, à l’âge de 54 ans, après avoir lutté contre une longue maladie. Entré comme journaliste dans l’hebdomadaire catholique en 1999, après des études dans une grande école de commerce, l’Edhec de Lille, un passage par le monde de la banque et celui de l’édition, avant de bifurquer vers la théologie et le journalisme, il était spécialiste des questions religieuses. On lui doit notamment un essai remarqué sur le Célibat des prêtres (DDB, 2014) ou plus récemment le roman philosophique et humoristique Monsieur le curé fait sa crise (Qasar, 2017), best-seller traduit en italien, en polonais et en portugais. Ces deux ouvrages parus à peu d’intervalle, témoignent d’une réflexion en profondeur, mais toujours animée du souci de rester accessible au plus grand nombre, sur un de ses sujets de prédilection : le ministère sacerdotal. Ce thème, il l’abordait à la fois par la recherche théologique et sociologique mais aussi dans ses aspects les plus concrets de la vie pastorale et affective des prêtres qu’il rencontrait.

Car s’il était familier du monde des idées et du débat intellectuel, il était aussi attaché à rendre compte de la complexité du réel. Fin observateur, brillant analyste et remarquable chroniqueur de la vie de l’Église et des traversées de l’âme humaine, il avait une plume aussi précise que légère, acérée que truculente. Il avait le don de rendre les choses limpides sans les caricaturer. Ce qui explique que son abbé Bucquoy, héros de Monsieur le curé fait sa crise, ait parlé au coeur de tant de gens, prêtres, religieux ou laïcs, si l’on en croit les courriers, les lettres, qui ne cessaient d’affluer, chacun reconnaissant un peu de lui-même dans ce nouveau Don Camillo. Dans cette tentation de la fuite qui surgit lorsque la lassitude des vaines querelles et la soif d’authenticité se font brûlantes, tentation que rattrapent – et sauvent – l’amour des autres et celui de Dieu. Comme l’écrivait Bernanos, un de ses auteurs préférés, « L’espérance est une détermination héroïque de l’âme, et sa plus haute forme est le désespoir surmonté. On croit qu’il est facile d’espérer. Mais n’espèrent que ceux qui ont eu le courage de désespérer des illusions et des mensonges où ils trouvaient une sécurité qu’ils prennent faussement pour de l’espérance. L’espérance est un risque à courir, c’est même le risque des risques. L’espérance est la plus grande et la plus difficile victoire qu’un homme puisse remporter sur son âme. »

De l’espérance, Jean Mercier en avait à la mesure de sa passion de transmettre. Il fut chargé de la formation de bon nombre de jeunes journalistes à l’hebdomadaire La Vie. J’eus la chance d’être l’un d’entre eux. Il était doté d’une qualité rare, la générosité. Son talent, sa culture et son professionnalisme, qui étaient grands, s’assortissaient d’une profonde envie de former et de donner. A ses côtés nous fûmes plusieurs à apprendre comme un apprenti observe les gestes d’un maître. A l’instar de Boileau il était de ceux qui vingt fois sur le métier, remettent l’ouvrage, et enseignent par l’exemple. Il était ce genre de chef qui donne son carnet d’adresses, trésor en général jalousement gardé dans notre profession. Il était ce genre de chef qui associe le nouveau-venu à ses rendez-vous les plus importants et cherche sans cesse à apprendre, à valoriser l’autre, à le faire grandir. Les apprentis journalistes n’étaient pas, pour lui, des faire-valoir, mais des personnes qu’il voulait porter le plus haut possible. Des personnes dont il sollicitait rapidement l’avis sur son propre travail, écoutant véritablement leurs remarques. A ses côtés, nous étions, pour reprendre la formule attribuée à Bernard de Chartres au XIIème siècle, des nains sur des épaules de géant. Il nous élevait, nous faisait prendre de la hauteur.

Parmi ses innombrables talents, Jean Mercier avait aussi celui de l’amitié. Sa manière de ne pas transiger avec la Vérité offrait naturellement à ceux qui avaient la chance de le croiser d’être avant de chercher à paraître. Sa profondeur obligeait à la profondeur. Il cultivait la joie et la vie avec un regard malicieux et incisif et un rire aussi sonore que contagieux. Il aimait chanter et fit partie de nombreux choeurs. Il était sérieux mais ne se prenait pas au sérieux, aimant concocter des canulars pour ses proches, et ce, en anglais, en espagnol, en allemand, en italien, langues qu’il maîtrisait à la perfection et sous plusieurs accents. La légèreté, pour lui, était une forme d’élégance non cosmétique, une manière d’être profond sans faire peser sur l’autre un fardeau lourd à porter. Il avait une sainte horreur des mines de piment au vinaigre, des visages faussement compassés. Et sa légèreté était une expression de Joie.

Il était surtout un homme de foi qui chercha toute sa vie à mettre ses pas dans ceux du Christ avec humilité, exigence et rayonnement. Sa parole était solide, son oui était un oui, son non était un non. Quelques jours avant de partir, pendant la messe, après avoir longuement contemplé la Croix, il avait prononcé ces mots : « La paix du Christ… pour toujours ». Les derniers jours de son combat contre la maladie, il aimait aller au jardin, jamais rassasié par la présence de ses proches, la beauté des arbres et celle, enivrante, des fleurs, du chant des oiseaux, ou de la lumière qu’il semblait à la fois absorber et émettre. Il s’est éteint dans une grande lucidité remplie de paix, en aimant passionnément la vie, le regard tourné sur le Christ prêt à sortir du tombeau. Toutes nos pensées vont vers sa femme Chantal et son fils Mehdi, ses proches, ses amis, ses collègues de la rédaction de La Vie, tous ceux qui l’ont rencontré et aimé.

(c) L’Osservatore Romano

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Rédaction

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