« Après la messe, on ne vit plus pour soit mais pour les autres ». « Ce serait beau, a dit le pape François dans son homélie, qu’il y ait cet avis dans ce diocèse de don Tonino Bello, à la porte des églises, pour que ce soit lu par tout le monde ». « Don Tonino a vécu ainsi », a-t-il poursuivi, « parmi vous, il a été un évêque-serviteur, un pasteur qui s’est fait peuple et qui, devant le tabernacle, apprenait à se faire manger par les gens ».
Le pape François a prononcé l’homélie de la célébration eucharistique qu’il a présidée, ce vendredi 20 avril 2018, dans le port de Molfetta – diocèse de don Tonino – après avoir été accueilli par l’évêque de Molfetta-Ruvo-Giovinazzo-Terlizzi, Mgr Domenico Cornacchia, et par le maire, Tommaso Minervini. Il a souligné les « deux éléments centraux pour la vie chrétienne » évoqués par les lectures : « le Pain et la Parole ».
Le pape a mis en garde contre le danger de tomber « dans l’erreur de ces personnes, paralysées dans leur discussion sur les paroles de Jésus, au lieu d’être prêtes à accueillir le changement de vie qu’il demande ». La parole de Jésus, a-t-il insisté « est pour marcher dans la vie, pas pour s’asseoir et parler de ce qui va ou ne va pas ». « Jésus ne cherche pas nos réflexions, mais notre conversion. Il vise le cœur », a-t-il encore dit.
Voici notre traduction de l’homélie prononcée par le pape François.
HG
Homélie du pape François
Les lectures que nous avons écoutées présentent deux éléments centraux pour la vie chrétienne : le Pain et la Parole.
Le Pain. Le pain est la nourriture essentielle pour vivre et Jésus, dans l’Évangile, s’offre à nous comme le Pain de vie, comme pour nous dire : « vous ne pouvez pas vous passer de moi ». Et il emploie des expressions fortes : « Mangez ma chair et buvez mon sang » (cf. Jn 6,53). Qu’est-ce que cela signifie ? Que, pour notre vie, il est essentiel d’entrer dans une relation vitale, personnelle avec lui. Chair et sang. L’Eucharistie est ceci : non pas un beau rite, mais la communion plus intime, plus concrète, plus surprenante que l’on puisse imaginer avec Dieu : une communion d’amour si réelle qu’elle prend la forme de quelque chose qui se mange. La vie chrétienne repart chaque fois de là, de ce repas, où Dieu nous rassasie d’amour. Sans lui, le Pain de vie, tout effort dans l’Église est vain, comme le rappelait don Tonino Bello : « Les œuvres de charité ne suffisent pas, s’il manque la charité des œuvres. S’il manque l’amour d’où partent les œuvres, s’il manque la source, s’il manque le point de départ qu’est l’Eucharistie, tout engagement pastoral n’est qu’une girandole de choses ».
Dans l’Évangile, Jésus ajoute : « Celui qui me mange vivra par moi » (v.57). Comme pour dire : celui qui se nourrit de l’Eucharistie assimile la mentalité même du Seigneur. Il est le pain rompu pour nous et qui le reçoit devient à son tour pain rompu, qui ne se gonfle pas d’orgueil mais se donne aux autres : il cesse de vivre pour lui-même, pour son propre succès, pour avoir quelque chose ou pour devenir quelqu’un mais il vit pour Jésus et comme Jésus, c’est-à-dire pour les autres. Vivre pour est la contremarque de celui qui mange ce Pain, la « marque de fabrique » du chrétien. Vivre pour. On pourrait exposer cet avis à l’extérieur de toutes les églises : « Après la messe, on ne vit plus pour soi, mais pour les autres ». Ce serait beau qu’il y ait cet avis dans ce diocèse de don Tonino Bello, à la porte des églises, pour que ce soit lu par tout le monde : « Après la messe, on ne vit plus pour soi mais pour les autres ». Don Tonino a vécu ainsi : parmi vous, il a été un évêque-serviteur, un pasteur qui s’est fait peuple et qui, devant le tabernacle, apprenait à se faire manger par les gens. Il rêvait d’une Église affamée de Jésus et intolérante à toute mondanité, une Église qui « sait percevoir le corps du Christ dans les tabernacles dérangeants de la misère, de la souffrance et de la solitude ». Parce que, disait-il, « l’Eucharistie ne supporte pas la sédentarité » et sans se lever de table, elle reste « un sacrement inaccompli ». Nous pouvons nous demander : en moi, ce sacrement se réalise-t-il ? Plus concrètement : est-ce que j’aime seulement être servi à table par le Seigneur ou est-ce que je me lève pour servir comme le Seigneur ? Le don que je reçois à la messe est-il un don dans la vie ? Et en tant qu’Église, nous pourrions nous demander : après tant de communions, sommes-nous devenus des personnes de communion ?
Le Pain de vie, le Pain rompu est en fait aussi un Pain de paix. Don Tonino soutenait que « la paix n’advient pas quand on prend son pain tout seul et qu’on va le manger dans son coin. […] La paix est quelque chose de plus : elle est convivialité ». C’est « manger son pain avec les autres, sans se séparer, se mettre à table avec des personnes différentes », où « l’autre est un visage à découvrir, à contempler, à caresser ». Parce que les conflits et toutes les guerres « trouvent leur racine dans la dissolution des visages ». Et nous, qui partageons ce Pain d’unité et de paix, nous sommes appelés à aimer chaque visage, à recoudre toute déchirure, à être, toujours et partout, bâtisseurs de paix.
Avec le Pain, la Parole. L’Évangile rapporte d’aspres discussions autour des paroles de Jésus : « Comment celui-ci peut-il nous donner sa chair à manger ? » (v.52). Il y a un vent de défaitisme dans ces paroles. Tant de nos paroles ressemblent à celles-ci : Comment l’Évangile peut-il résoudre les problèmes du monde ? À quoi cela sert-il de faire du bien au milieu de tant de mal ? Et ainsi, nous tombons dans l’erreur de ces personnes, paralysées dans leur discussion sur les paroles de Jésus, au lieu d’être prêtes à accueillir le changement de vie qu’il demande. Elles ne comprenaient pas que la parole de Jésus est pour marcher dans la vie, pas pour s’asseoir et parler de ce qui va ou ne va pas. Don Tonino, précisément au temps de Pâques, souhaitait d’accueillir cette nouveauté de vie, en passant finalement des paroles aux faits. C’est pourquoi il exhortait soigneusement celui qui n’avait pas le courage de changer : « les spécialistes de la perplexité. Les comptables pédants des pour et des contre. Les calculateurs circonspects jusqu’aux affres avant de se mettre en mouvement ». À Jésus, on ne répond pas selon les calculs et les convenances du moment ; on lui répond mais avec le « oui » de toute la vie. Il ne cherche pas nos réflexions, mais notre conversion. Il vise le cœur.
C’est la Parole même de Dieu qui le suggère. Dans la première Lecture, Jésus ressuscité s’adresse à Saul et ne lui propose pas de subtils raisonnements, mais il lui demande de mettre sa vie en jeu. Il lui dit : « Relève-toi et entre dans la ville : on te dira ce que tu dois faire » (Ac 9,6). Avant tout : « Relève-toi ». La première chose à éviter est de rester par terre, subir la vie, rester tenaillé par la peur. Combien de fois don Tonino a-t-il répété : « Debout ! » parce que « devant le Ressuscité, il n’est permis de rester que debout ». Toujours se relever, regarder vers le haut, parce que l’apôtre de Jésus ne peut pas vivoter de petites satisfactions ».
Le Seigneur dit ensuite à Saul : « Entre dans la ville ». À chacun de nous, il dit aussi : « Va, ne reste pas enfermé dans tes espaces rassurants, risque ! » « Risque ! » La vie chrétienne doit être investie pour Jésus et dépensée pour les autres. Après avoir rencontré le Ressuscité, on ne peut pas attendre, on ne peut pas renvoyer à plus tard ; il faut partir, sortir, malgré tous les problèmes et les incertitudes. Nous voyons par exemple Saul qui, après avoir parlé avec Jésus, bien qu’il soit aveugle, se lève et entre dans la ville. Nous voyons Ananie qui, bien qu’il ait peur et qu’il titube, dit : « Me voici, Seigneur ! » (v.10) et aussitôt il va chez Saul. Nous sommes tous appelés, quelle que soit la situation dans laquelle nous nous trouvons, à être porteurs de l’espérance pascale, des « Cyrénéens de la joie », comme disait don Tonino, des serviteurs du monde, mais ressuscités, pas des employés. Sans jamais nous attrister, sans jamais nous résigner. C’est beau d’être des « messagers de l’espérance », des distributeurs simples et joyeux de l’alleluia pascal.
Enfin, Jésus dit à Saul : « on te dira ce que tu dois faire ». Saul, homme décidé et affirmé, se tait et part, docile à la parole de Jésus. Il accepte d’obéir, il devient patient, il comprend que sa vie ne dépend plus de lui. Il apprend l’humilité. Parce qu’humble ne veut pas dire timide ou modeste, mais docile à Dieu et vide de soi. Alors, même les humiliations, comme celles éprouvées par Saul par terre sur le chemin de Damas, deviennent providentielles, parce qu’elles dépouillent de la présomption et permettent à Dieu de nous relever. Et la Parole de Dieu fait cela : elle libère, elle relève, elle fait aller de l’avant, humbles et courageux en même temps. Elle ne fait pas de nous des protagonistes affirmés et champions de leur propre bravoure, non, mais des témoins authentiques de Jésus, mort et ressuscité, dans le monde.
Pain et Parole. Chers frères et sœurs, à chaque messe, nous nous nourrissons du Pain de vie et de la Parole qui sauve : vivons ce que nous célébrons ! Ainsi, comme don Tonino, nous serons source d’espérance, de joie et de paix.
© Traduction de Zenit, Hélène Ginabat