Le secrétaire de la congrégation pour les Eglises orientales, Mgr Cyril Vasil’, a effectué récemment un voyage en Inde, auprès de l’Eglise syro-malabare, avec le sous-secrétaire du dicastère, le dominicain Lorenzo Lorusso. Dans un entretien à L’Osservatore Romano daté du 28 février 2018, le « numéro 2 » du dicastère évoque cette communauté en plein essor.
Avec la création de nouvelles éparchies en 2017, l’Eglise syro-malabare (quatre millions cinq-cents mille fidèles, pour la plupart au Kerala), est florissante et montre un véritable élan missionnaire, note-t-il. Mgr Vasil constate notamment la « vie familiale exemplaire » et un « système scolaire et catéchétique … excellent ».
Le secrétaire du dicastère évoque aussi la géographie des rites en Inde, ainsi que l’évangélisation.
Voici notre traduction de cet entretien, avec l’autorisation du quotidien du Vatican.
Quelles étaient les raisons de ce voyage ?
Le 9 octobre 2017, dans le cadre de l’assemblée plénière de la congrégation, a été publié un document du pape annonçant la création de deux éparchies syro-malabars — Hosur et Shamshabad — et l’extension de deux éparchies existant déjà dans le sud de l’Inde. Cela garantissait à l’Eglise syro-malabar une juridiction qui lui permette de suivre ses fidèles partout sur le territoire. Une autre raison de mon voyage était le 25e anniversaire de l’élévation l’Eglise syro-malabar au rang de siège archiépiscopal majeur.
Quelles étaient vos destinations ?
La première étape était à Hyderabad, dans l’Etat du Telangana, pour connaitre les réalités pastorales de cette ville et visiter la nouvelle éparchie de Shamshabad, dont le siège épiscopal se trouve dans une zone périphérique, non loin de la l’aéroport d Hyderabad. Puis il y a eu la prise de possession du nouvel évêque Raphael Thattil, jusqu’ici visiteur des syro-malabars en dehors des territoires couverts par la juridiction de l’Eglise syro-malabare. Le nouvel évêque poursuit donc sa mission de contact avec les fidèles dispersés, confiés jadis aux évêques latins. Cette mesure permet non seulement de poser les jalons d’une ouverture pastorale avec les fidèles syro-malabars déplacés de leur zone originaire, le Kerala, où l’Eglise a son siège historique, mais importante aussi pour le travail missionnaire dans ce territoire. La curie est à construire entièrement d’un point de vue pastoral, mais il y a les personnes, car il existe déjà une belle collaboration entre les réalités plus pauvres et les réalités missionnaires. La célébration a été très suivie et s’est déroulée dans un climat festif. Il y avait le cardinal George Alencherry, archevêque majeur des syro-malabars, et Baselios Cleemis Thottunkal, archevêque majeur de l’Eglise syro-malankar, une cinquantaine d’évêques, appartenant également à l’Eglise latine, et plus de 4 000 fidèles.
Quels sont les principaux défis que l’Eglise syro-malabar doit affronter ?
Cette mesure est un avènement historique, car l’Eglise syro-malabare peut à plein titre s’occuper pastoralement de ses propres fidèles partout où ils se trouvent dans les Etats indiens. Elle lui permet en même temps de travailler à la mission ad gentes sur tout le territoire, alors que jusqu’à présent cela n’était possible que dans les paroisses ou éparchies missionnaires crées ici-et-là, à partir des années 60, sans lien logique ou organisé. Ainsi se réalisent les indications du concile Vatican II, selon lesquelles toutes les Eglises ont la même dignité pour exercer un travail missionnaire. Maintenant les Eglises sui iuris oeuvrant en Inde sont toutes au même niveau, comme a expliqué le cardinal Leonardo Sandri, préfet du dicastère, dans le message que j’ai lu durant la célébration.
L’Eglise syro-malankar a-t-elle, elle aussi, juridiction à s’étendre sur toute l’Inde ?
L’Eglise syro-malankar a déjà eu, il y a quelques années, une extension non du territoire proprement dit mais de la possibilité de s’occuper dans toute l’Inde de ses propres fidèles et d’y exercer une mission ad gentes, à travers la création de deux circonscriptions juridiques, qui appartiennent à l’Eglise malabare mais « en dehors du territoire » de cette Eglise. Même si cette Eglise est numériquement plus petite par rapport à l’Eglise syro-malabare, elle a eu cette ouverture avant, pour différentes raisons. Au cours de ma visite j’ai eu l’occasion de voir les réalités missionnaires des deux Eglises, dans les zones d’éparchies nées comme missions. C’est en effet la première fois que j’ai pu voir une Eglise orientale en mission ad gentes. C’est une caractéristique des Eglises syro-malabares et syro-malankares qui, parmi toutes les Eglises orientales catholiques sont peut-être les seules à travailler massivement comme Eglises missionnaires. Au contraire, nombre d’Eglises orientales en sont empêchées. Pensons seulement à celles qui vivent au Moyen Orient où les conversions sont pratiquement inadmissibles pour des raisons socio-politiques et culturelles ; ou bien aux Eglises en Europe de l’est, qui se sentent liées à une région et ou à une ethnicité précise. L’Eglise en Inde, elle, a un désir et un esprit missionnaire. Pour l’évangélisation, elle utilise les langues locales et entre dans la culture des personnes de ce territoire, créant un lien organisé selon le rite dans lequel a lieu l’évangélisation.
En quoi consiste aujourd’hui la réalité de l’Eglise syro-malabare ?
Cette Eglise compte quatre millions cinq-cents mille fidèles, pour la plupart concentrés dans les éparchies du Kerala et des zones environnantes. Depuis des décennies nous assistons à une émigration massive des fidèles à l’intérieur de l’Inde pour des raisons de travail. Si bien que depuis plusieurs années le Siège apostoliques a créé de nouvelles structures ecclésiastiques qui répondent aux besoins, à commencer par l’éparchie de Kalyan, créée en 1987, avec son centre dans la zone de Bombay. Ainsi a été érigée en 2012 l’éparchie de Farīdābād, qui se trouve près de New Delhi, ou bien a étendu le territoire des éparchies existantes pour inclure une grande cité métropolitaine, comme cela a été fait pour Bangalore. Avec la création de l’éparchie d’Hosur s’est insérée aussi le territoire de Chennai, autrefois appelée Madras, où se trouve un groupe important de fidèles syro-malabars migrants. Dans la ville d’Hyderabad et environs il y a environ 20 000 fidèles syro-malabars qui constituent le point de départ de cette éparchie.
Quelle est la géographie des rites en Inde ?
Tout le territoire indien est couvert par trois juridiction : latine, syro-malabare et syro-malankare. La majorité des fidèles en Inde appartient à l’Eglise latine. Il y a quelques temps encore, l’Eglise syro-malabare était considérée une Eglise régionale, excepté pour le soin pastoral de ses propres fidèles qui vivaient dans les grands centres. Dorénavant cette situation administrative n’existe plus. On pouvait craindre que cela nuirait à l’Eglise unie ou unique, alors qu’en fait nous avons vu que, là où l’Eglise latine et les Eglises orientales cohabitent et collaborent sur le même territoire, la pastorale en bénéficie. Ces mesures changent aussi la perspective théologique, car l’éparchie ou le diocèse n’est plus conçu comme un gouvernement sur un territoire, c’est-à-dire sur la pars populi Dei. Pour mieux comprendre, cette partie du peuple de Dieu est liée à une Eglise sui iuris déterminée et à un évêque, non au territoire. La zone territoriale est un récipient qui regroupe à l’intérieur des fidèles de différentes Eglises sui iuris. Ainsi, sur un même terrain, se superposent les juridictions, les divers évêques s’occupant chacun de leurs propres fidèles.
L’évangélisation est une priorité en Inde ?
Tout ce que je peux dire c’est qu’il y a des situations vraiment encourageantes pour une mission directe ad gentes. Nous sommes allés dans des villages vraiment pauvres, où n’existaient que quelques familles chrétiennes, car la majorité était hindou ou musulmane. J’ai pu voir le précieux travail des religieuses dans des zones très démunies, et j’ai remarqué que le travail missionnaire s’articule autour de trois axe. Avant tout, le visage d’une Eglise charitable avec un grand nombre d’institutions à caractère social. Puis l’éducation : les écoles gérées par les missionnaires jouent un rôle important et sont aussi des occasions pour entrer en contact avec la population locale. Le troisième axe est l’annonce directe à travers des programmes d’évangélisation, mais surtout à travers le témoignage de ces chrétiens qui vivent très sérieusement et intensément leur foi. Considérant aussi que c’est une minorité par rapport aux hindous qui proviennent des couches sociales plus faibles. J’ai visité, entre autre, l’éparchie de Kalyan, la région missionnaire de Saugli, où sont actifs les prêtres missionnaires de Saint Thomas, société de vie apostolique née dans le Kerala pour donner un élan missionnaire à l’Eglise syro-malabare. La visite s’est clôturée à Mount Saint Thomas, dans la cité d’Ernakulam, où se trouve le siège de l’archevêque majeur de l’Eglise syro-malabar. Là s’est déroulé le synode des évêques pour les 25 ans de l’élévation au rang d’archevêché majeur.
Qu’est-ce qui vous a frappé dans cet élan missionnaire des syro-malabars ?
Actuellement l’Eglise syro-malabar compte 64 évêques. Si on pense qu’il y a 100 ans il n’y en avait que trois et que le territoire se limitait à une petite zone du Kerala, nous voyons la croissance que cela fait. Après 100 ans nous voyons une Eglise enracinée dans son territoire original, forte dans sa structure hiérarchique, dans sa présence et dans sa dimension missionnaire. Je peux dire que c’est une des Eglises les plus florissantes que j’ai rencontrée. Tant de fois dans les vieilles terres chrétiennes on perçoit un certain découragement. Je recommanderais donc la visite à l’Eglise du Kerala aux pasteurs qui se sentent tristes devant la diminution de la présence chrétienne. C’est une Eglise jeune pleine de vocations, avec 8600 prêtres et 36000 religieuses. Le célibat y est également en vigueur. Célibat que l’Eglise syro-malabar considère comme son patrimoine disciplinaire, mais qui ne signifie pas manque de vocations. La question du célibat n’est donc pas déterminant pour palier la carence de vocations. Parfois on présente comme une difficulté pour la croissance de l’Eglise l’obligation du célibat dans l’Eglise latine.
Qu’est-ce qui favorise tant de vocations ?
Une des raisons est sans aucun doute le fait qu’il existe une vie familiale exemplaire. Les familles sont encore nombreuses comparé à l’Europe. Et puis dans l’Eglise, le système scolaire et catéchétique est excellent. On donne beaucoup d’importance aux catéchèses. L’enfant syro-malabar fait du catéchisme pendant 12 ans — c’est-à-dire de 6 à 18 ans — avec une préparation très bien étudiée. Ceci est un des points forts de cette Eglise. Si on pense que la fréquence à la messe dominicale est de 95-98 % cela veut dire que le chrétien considère la participation comme une chose fondamentale. Par ailleurs, les laïcs s’identifient dans la foi et ont un sens prononcé de la vie paroissiale. Ils se sentent vraiment liés à une paroisse concrète, participent aux décisions importantes. Concrètement, il existe une forte présence du laïcat, un laïcat bien formé et conscient de ses propres responsabilités, de sa dignité et des possibilités de collaboration harmonieuse avec le clergé et les religieux. C’est un autre aspect merveilleux et de là jaillissent les autres dimensions. N’oublions pas que l’Eglise syro-malabare offre de nombreux prêtres à l’Eglise latine, tant en Inde que dans d’autres régions du monde. C’est une Eglise avec d’excellents missionnaires, qui travaillent aussi dans des structures de l’Eglise latine dans tant d’endroits de l’Europe et de l’Afrique. Le rite est secondaire pour les syro-malabars par rapport à l’universalité. Les fidèles aiment leur propre rite mais se sentent catholiques, ouverts à la collaboration avec les autres Eglises.
Traduction de Zenit, Océane Le Gall
Marie de rite syro malabar © Wikimedia Commons / Achayan
Inde : Mgr Cyril Vasil visite l’Eglise syro-malabare en plein essor
Bilan dans L’Osservatore Romano