Pape François et Benoît XVI © L'Osservatore Romano

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Les décisions ne doivent pas seulement reposer sur l'expertise, mais aussi sur la sagesse, écrit Benoît XVI

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Préface d’un livre pour le card. Müller (Traduction intégrale)

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Les critères de décision ne doivent pas seulement reposer sur l’expertise, mais aussi sur la sagesse de celui qui décide, écrit le pape émérite Benoît XVI, dans la préface d’un livre publié à l’occasion des 40 ans de sacerdoce du cardinal Ludwig Müller, préfet émérite de la Congrégation pour la doctrine de la foi, et son 70e anniversaire, le 31 décembre 2017. Le texte intégral, qui rend hommage au « charisme théologique » du cardinal, a été publié par le blog proche du Saint-Siège Il Sismografo.
Le livre, qui réunit, dans ses 696 pages, des contributions de plus de trente théologiens, dont le préfet actuel de la Doctrine de la foi, Mgr Luis Ladaria SJ, s’intitule “Le Dieu trinitaire. La foi chrétienne à l’ère de la sécularisation”, est publié en allemand chez Herder (Der dreifaltige Gott. Christlicher Glaube im säkularen Zeitalter. Für Gerhard Kardinal Müller). « On ne devient pas un grand théologien parce qu’on réussit à affronter des détails minutieux et difficiles, mais parce qu’on est capable de présenter l’ultime unité et simplicité de la foi », écrit notamment le pape émérite allemand.
« En des temps confus comme ceux que nous vivons, estime Benoît XVI, l’ensemble des compétences scientifique et de sagesse de celui qui doit prendre la décision finale me paraît très importante. Je pense par exemple que dans la Réforme liturgique, les choses auraient pris un chemin différent si la parole des experts n’avait pas été la dernière instance, mais s’il y avait eu, en plus de cela, une certaine sagesse pour juger, capable de reconnaître les limites de l’approche d’un ‘simple’ expert. »
Préface de Benoît XVI
Eminence, cher confrère,
Ton 70e anniversaire approche et même si ne je ne suis plus en mesure d’écrire un vrai texte scientifique pour agrémenter le recueil qui te sera consacré à cette occasion, je voudrais y participer avec quelques mots de salutations et remerciement.
22 ans sont passés depuis que tu m’as offert, en 1995, ta Katholische Dogmatik für Studium und Praxis der Theologie. Ce fut pour moi alors un signe encourageant de voir que dans la génération post-conciliaire des théologiens il y avait des penseurs courageux, qui s’occupaient de l’intérieur, c’est-à-dire de présenter la foi de l’Eglise dans son unité et son intégralité.
En effet, tout comme il est important d’explorer le détail, il est non moins important que la foi de l’Eglise apparaisse dans son unité intérieure et son intégralité et qu’en dernier lieu la simplicité de la foi émerge de toutes les réflexions théologiques complexes. Car la sensation que l’Eglise nous charge d’un fardeau de choses incompréhensibles, qui finissent par n’intéresser que les spécialistes, est l’obstacle principal pour prononcer le oui à Dieu qui nous parle en Jésus Christ. A mon avis, on ne devient pas un grand théologien parce qu’on réussit à affronter des détails minutieux et difficiles, mais parce qu’on est capable de présenter l’ultime unité et simplicité de la foi.
Mais ta Dogmatik dans un volume m’impliquait aussi pour un motif autobiographique. Karl Rahner avait présenté dans le premier tome de ses écrits un projet pour une nouvelle construction de la dogmatique, qu’il avait élaboré avec Hans Urs Von Balthasar. Ce fait a bien entendu réveillé en nous tous une incroyable soif de voir ce schéma rempli de contenus et porté à son achèvement. Le désir d’une dogmatique signée Rahner-Balthasar, né à cette occasion, se heurta à un phénomène éditorial. Erich Wewel, dans les années 50, avait convaincu le père Bernard Häring d’écrire un manuel de théologie morale qui, après sa publication, devint un grand succès. L’éditeur pensa alors que dans la dogmatique devait être réalisé quelque chose de semblable et qu’il fallait que cette œuvre soit écrite en un seul volume et d’une seule main. Il s’adressa bien entendu à Karl Rahner, lui demandant d’écrire ce livre. Mais Karl, pris par tant d’autres engagements, avait estimé ne pas être en mesure de répondre à un si grand travail. Etrangement, il conseilla à l’éditeur de s’adresser à moi qui, à cette époque, au début de mon cheminement, enseignais la dogmatique et la théologie fondamentale à Freising. Mais moi aussi, bien qu’étant à mes débuts, j’étais pris par tant d’engagements et je ne me sentais pas en mesure d’écrire une œuvre aussi imposante en un laps de temps raisonnable. Alors j’ai demandé de pouvoir avoir recours à un collaborateur – mon ami le père Alois Grillmeier. Dans la limite du possible j’ai travaillé au projet et j’ai rencontré le père Grillmeier à plusieurs reprises pour d’amples consultations. Mais le Concile Vatican II me demandait tous mes efforts et de présenter sous un jour nouveau toute l’exposition traditionnelle de la doctrine de la foi de l’Eglise. Quant je fus nommé archevêque de Munich-Freising, en 1977, il était clair que je ne pouvais plus envisager une telle démarche. Alors quand, en 1995, ton livre arriva dans mes mains, je vis contre toute attente qu’il avait été réalisé par un théologien de la génération suivant la mienne, comme souhaité précédemment, mais qu’il m’a été impossible de réaliser.
Puis j’ai pu te connaître personnellement, quand la Conférence épiscopale allemande te proposa comme membre de la commission théologique internationale. Au sein de cette commission, tu t’es distingué surtout pour la richesse de ton savoir et pour ta fidélité à la foi de l’Eglise qui débordait de toi. Quand, en 2012, le cardinal Levada quitta sa charge de préfet de la congrégation pour la doctrine de la foi pour limite d’âge, tu apparaissais, au bout de plusieurs réflexions, comme l’évêque le mieux adapté pour recevoir cette charge.
Quand en 1981 tu acceptas cette fonction, Mgr Hamer – alors secrétaire de la congrégation pour la doctrine de la foi – m’expliqua que le préfet ne devait pas être nécessairement un théologien mais un sage qui, en affrontant les questions théologiques, ne fasse pas de considérations spécifiques, mais reconnaisse ce qu’il fallait faire à ce moment-là pour l’Eglise. La compétence théologique revenait plutôt au secrétaire qui guide la Consultation, autrement dit la réunion des experts qui, ensemble, donnent un jugement scientifique soigné. Mais comme pour la politique, l’ultime décision ne revient pas aux théologiens, mais bien plus aux sages qui connaissent les aspects scientifiques et, en plus de cela, savent considérer l’ensemble de la vie d’une grande communauté. Tout au long de ce poste, j’ai taché de correspondre à ce critère. Si j’y suis parvenu, c’est aux autres de le dire.
En des temps confus comme ceux que nous vivons, l’ensemble des compétences scientifique et de sagesse de celui qui doit prendre la décision finale me paraît très importante. Je pense par exemple que dans la Réforme liturgique, les choses auraient pris un chemin différent si la parole des experts n’avait pas été la dernière instance, mais s’il y avait eu, en plus de cela, une certaine sagesse pour juger, capable de reconnaître les limites de l’approche d’un « simple » expert.
Durant tes années romaines, tu t’es toujours efforcé encore une fois à ne pas agir en simple expert, mais en sage, en père dans l’Eglise. Tu as défendu les claires traditions de la foi , mais selon la ligne du pape François, tu as cherché à comprendre comment celles-ci pouvaient être vécues aujourd’hui.
Le pape Paul VI voulait que les grandes taches au sein de la curie – celle du préfet et du secrétaire – ne soient attribuées que pour une durée de cinq ans, pour assurer la liberté du pape et la flexibilité du travail au sein de la curie. Ton mandat de cinq ans dans la congrégation pour la doctrine de la foi s’est achevé. Tu n’as donc plus de charge précise, mais un prêtre et surtout un évêque et cardinal ne part jamais à la retraite. C’est pourquoi tu peux et tu pourras toujours à l’avenir servir la foi publiquement, à partir de l’essence intime de ta mission sacerdotale et de ton charisme théologique. Nous sommes tous heureux qu’avec ta grande et profonde responsabilité et le don de la parole qui t’est donné, tu puisses être toujours présent dans la lutte de notre temps pour une correcte compréhension de ce que veut dire « être un homme » et « être un chrétien ». Que le Seigneur puisse te soutenir.
Pour finir, je tiens également à te remercier personnellement. Comme évêque de Ratisbonne, tu as fondé l’institut Papst Benedikt XVI, qui – dirigé par un de tes élèves – réalise un travail vraiment remarquable pour entretenir publiquement mon œuvre théologique dans toute sa portée. Le Seigneur te récompensera du mal que tu te donnes.
Cité du Vatican, Monastère Mater Ecclesiae
Fête de saint Ignace de Loyola 2017
Bien à toi,
Benoît XVI
Traduction de Zenit, Océane Le Gall

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Océane Le Gall

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