Visite à la Villa Nazareth, 18 juin 2016, L'Osservatore Romano

Visite à la Villa Nazareth, 18 juin 2016, L'Osservatore Romano

Le pape aux jeunes: «La gratuité, c’est le langage de Dieu»

La visite à la «Villa Nazareth» de Rome (3/7)

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« La gratuité est le langage de Dieu », souligne le pape. « Que de personnes portent le masque du chrétien sans l’être, parce qu’ils ne connaissent pas la gratuité. »
Le pape a prononcé un discours avant d’entamer un dialogue avec les jeunes italiens de la « Villa Nazareth » de Rome, où il s’est rendu le samedi 18 juin.
Fondé il y a 70 ans pour venir en aide aux enfants pauvres orphelins de guerre, ce centre est géré aujourd’hui par la Fondation Tardini présidée par le cardinal Silvestrini et permet à des enfants de familles modestes de poursuivre leurs études.
Nous avons publié la première question et la première réponse, mardi 28 juin, les deuxièmes le mercredi 29 juin. Et le discours du pape le 20 juin.
M.D.
Question de Giacomo Guarini
Pape François, aujourd’hui tout va vers l’affirmation de l’individu, et la personne en tant qu’être capable de se donner et de recevoir de l’amour paraît disparaître. L’amour n’est plus vu comme un mouvement vers le bien de l’autre, mais comme le moyen d’une gratification personnelle. Par exemple, nous jeunes diplômés, tout particulièrement, nous serions avilis par les difficultés que nous rencontrons, ne nous en cachons pas, par le manque de perspectives futures concrètes et l’impossibilité de compléter notre vocation professionnelle et affective, si nous ne les avions pas découverts à Villa Nazareth. Comment, dans un monde gouverné par un individualisme effréné, faire de son travail un lieu de vocation ? Comment vivre des relations qui soient le reflet de l’amour de Dieu, pendant les fiançailles aussi, dans un contexte où tout désir de gratuité semble diminuer?  
Réponse du pape François
Tu as dit un mot que j’aime beaucoup: la gratuité. Nous oublions souvent ce sens de la gratuité, et oublions que cette gratuité est le langage de Dieu. Il nous a créés gratuitement ; Il nous a recréés en Jésus gratuitement; et Jésus, lui-même, nous recommande: «  Ce que vous avez reçu gratuitement, donnez-le gratuitement ». La gratuité. Dans cette civilisation du « do ut des » – du « donnant-donnant » – où tout se négocie, la gratuité court le risque de disparaître. Et parfois, ou souvent – je crois que c’est une des habitudes les plus communes – le christianisme devient pélagien: tout s’achète. «  Je fais ça et je suis plus saint », «  je fais ça et je suis plus parfait », «  je fais ça et je suis plus chrétien », «  je ne fais pas ça et mon christianisme n’est pas … ». Avec Dieu aussi nous avons cette attitude du « do ut des ». Mais le Seigneur, déjà dans l’Ancien Testament nous disait: «  Je n’ai pas besoin de vos sacrifices. Regardez autour de vous, et aidez les autres. Soyez justes en salaire ». Et ce que tu appelles «  affirmation de l’individu », cet individualisme nous conduit à de très graves injustices. Des injustices humaines. Je ne dirais pas «  sociales », car quelqu’un pourrait dire : «  Mais ce prêtre est socialiste ». Non, non: humaines! Cette gratification individuelle n’a rien à voir avec la gratuité proposée par Jésus, celle que Dieu nous enseigne et qui est Son langage. La gratuité ! Nous devons nous mettre sur la même longueur d’onde, celle de la gratuité. Gratifications individuelles, hédonisme … cela entre aussi dans la culture de l’hédonisme. Rechercher la satisfaction personnelle.
Et aujourd’hui nous avons beaucoup à faire pour distinguer les vrais saints de ceux qui se «  masquent » pour s’en donner l’air! Que de personnes portent le masque du chrétien sans l’être, parce qu’ils ne connaissent pas la gratuité. Ils vivent autrement. «  Comment faire du travail un lieu de vocation ? » Retourner au premier appel, à celui que chacun de nous reçoit et qui est celui que l’humanité a reçu à travers Adam: allez, cultivez la terre, multipliez-vous, pliez-vous à la terre, travaillez… « Comment faire du travail un lieu de vocation ? » Le mot fort ici c’est le travail. Une chose est de travailler, une autre de faire des choses pour profiter, voire profiter des autres. La culture du travail. Dans tant de pays sous-développés existe la culture des « allocations »: on aide, mais on n’enseigne pas à travailler. J’aime bien penser à Don Bosco – ça me fait beaucoup de bien – à la fin XIXe siècle, dans cette ville de Turin, maçonnique, bouffeuse de prêtres, pauvre, où les jeunes étaient dans la rue … Qu’est-ce qu’il a fait? Il y est allé avec de l’eau bénite ? Non. Il a fait de l’éducation de secours, a fait étudier pour apprendre de simples métiers, et pouvoir intégrer la culture du travail. Il a vu dans ce risque une opportunité, dans cette crise religieuse une opportunité ; et il a ouvert un nouvel horizon humain et religieux, à ces personnes. « Travailler » n’est pas la même chose que «  faire quelque chose ».
La vocation du travail, un travail créatif. Le travail nous fait ressembler à Dieu, qui est un Créateur, et c’est aussi un artisan. Le travail est un lieu de vocation, pas une voie de garage où l’on reste bloqué. Ma vocation me conduit à progresser dans le travail, dans ma créativité. Et dans les fiançailles aussi. Dans les fiançailles, il y a la gratuité, mais également un engagement à marcher ensemble, à se comprendre, à s’entendre, à surmonter les difficultés, à rester fidèles; un engagement qui est lui aussi gratuit. Dans les fiançailles on apprend la gratuité.
Mais là, je voudrais faire une réflexion. Tant de fois le travail, dans le sens de «  faire des choses », conduit à moins s’occuper de sa famille, de son mariage. Par exemple, je m’enthousiasme à faire de la politique, alors je vais, je viens, ici et là, et je néglige mon épouse ou mon mari, mes enfants. J’ai l’habitude, dans la confession, quand un homme ou une femme mariée me dit qu’ils ont des enfants et qu’ils perdent peut-être la patience, je leur demande: «  Mais combien d’enfants as-tu ? » Souvent ils prennent peur: mais quelle sera la prochaine question ? Et la seconde est: «  Dis-moi, joues-tu avec eux? Prends-tu le temps de jouer avec tes enfants, pour les écouter, pour avoir un espace de communication avec eux? » – «  mais Père – une réponse – quand je sors le matin pour aller au travail, les enfants dorment et quand je reviens, ils dorment ». Cet homme ou cette femme n’est peut-être pas responsable de ce travail qui rend esclave, qui ne permet pas de vivre la gratuité du don de l’amour, du don de Dieu : c’est la situation qui veut ça, c’est à cause de l’injustice, de l’injustice morale que nous vivons dans cette société.
Je vous dis ceci : prenez soin de la famille, de votre mari, de votre épouse, de vos enfants ; et permettez-moi une chose à laquelle je tiens beaucoup : prenez soin des grands-parents. Occupez-vous d’eux, ils sont notre mémoire! Dans cette culture du rejet, il est si facile d’écarter les grands parents: ou chez eux, ou dans une structure, sans aller les trouver. Maintenant cela a un peu changé, car comme il n’y a pas beaucoup de travail et qu’ils ont une retraite, on va chez eux! Prenez soin des grands-parents. Une phrase du prophète Joël me touche beaucoup, au chapitre III: «  Les grands-parents rêveront », et c’est le rêve, la capacité à rêver de grandes choses, qui fera avancer les jeunes. Bon, j’arrête ici, car je ne finis plus.
(c) Traduction de Zenit Océane Le Gall
 
 

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Océane Le Gall

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