« Pour une école qui soit lieu d’éducation intégrale, interculturelle et solidaire de la personne humaine »: voici le texte complet du discours de Mgr Francesco Follo, Observateur Permanent du Saint-Siège auprès de l’UNESCO, à l’occasion de la Table ronde de la Semaine mondiale d’action 2016 : « Financer l’Objectif de Développement Durable 4 (ODD 4) – Éducation 2030. Ne laisser personne de côté : comment réduire les inégalités ? ». Elle s’est tenue à l’UNESCO, à Paris, ce lundi 25 avril 2016.
Résumé
Les Etats ont souvent des difficultés à reconnaître comme priorité le financement à l’éducation et à tenir leurs engagements dans ce domaine. Face à cela, Mgr Francesco Follo propose des pistes de réflexions sur l’importance du financement à l’Education suivant le chemin déjà tracé par les papes Benoît XVI et François.
En reconnaissant la personne humaine comme premier capital à sauvegarder et à valoriser, celle-ci devient le centre et la fin de toute la vie économico-sociale, d’où l’importance du soutien aux écoles, comme lieu où « l’on grandit pour apprendre à vivre » et à une « éducation intégrale » qui permet à l’homme d’accéder à sa pleine humanité. Sa réalisation devient un chantier ouvert, difficile et nécessaire fondé sur l’équité et la solidarité.
Dans ce contexte, l’école catholique propose un projet éducatif très original avec la synthèse entre culture et foi où le savoir, placé dans l’horizon de la foi, devient sagesse et conception de la vie. Ce faisant, elle offre une proposition d’entraide au monde entier.
Pour sa part, l’UNESCO reste très engagé au niveau du financement de l’éducation dans le but de la réalisation de l’objectif n˚ 4 du développement durable : « assurer l’accès de tous à une éducation de qualité, sur un pied d’égalité, et promouvoir les possibilités d’apprentissage tout au long de la vie ».
Discours de Mgr Follo
Pour une école qui soit lieu d’éducation intégrale, interculturelle et solidaire de la personne humaine
Excellences,
Mesdames et Messieurs,
Permettez-moi de féliciter l’UNESCO et l’équipe de la Campagne mondiale pour l’éducation concernant l’organisation de cet événement de sensibilisation à l’importance de l’éducation. La campagne de cette année focalise son attention sur le thème, difficile et nécessaire, du financement de l’éducation.
Je voudrais partager avec vous, après mon introduction, une réflexion sur trois points : le premier sur la personne et son éducation intégrale, le deuxième sur l’éducation intégrale comme chantier ouvert, difficile et nécessaire et un troisième point sur l’identité ecclésiale et culturelle de l’école catholique.
En introduction, je chercherai à apporter quelques éléments de réponse à des questions qui, certes, ne sont pas faciles à résoudre : quelle priorité donner au financement de l’éducation ? Comment faire en sorte que les Etats puissent tenir leurs engagements ? Quelques pistes nous ont déjà été données à travers les textes du Concile Vatican II, repris par le pape émérite Benoît XVI dans son Encyclique Caritas in veritate (n. 25) : « Je voudrais rappeler à tous, et surtout aux gouvernants engagés à donner un nouveau profil aux bases économiques et sociales du monde, que l’homme, la personne, dans son intégrité, est le premier capital à sauvegarder et à valoriser. En effet, c’est l’homme qui est l’auteur, le centre et la fin de toute la vie économico-sociale [1]. »
Donc, la personne est le premier capital à sauvegarder et c’est aussi à partir de la personne qu’il faut commencer à réfléchir afin d’orienter son éducation vers une meilleure réalisation de son humanité.
Pourquoi le soutien financier aux écoles est-il prioritaire ? C’est le pape François qui nous répond : « L’école est l’un des milieux éducatifs dans lequel on grandit pour apprendre à vivre, pour devenir des hommes et des femmes adultes et mûrs, capables de marcher, de parcourir la voie de la vie. Comment l’école aide-t-elle à grandir ? Elle aide non seulement à développer votre intelligence, mais ce en vue d’une formation intégrale de toutes les composantes de votre personnalité[2]. »
Et la Congrégation pour l’éducation catholique de renchérir en écho à ces paroles du Saint-Père : « L’école ne devrait pas céder à une logique technocratique et économique, même si elle se trouve sous la pression des pouvoirs extérieurs et qu’elle est exposée à des tentatives d’instrumentalisation de la part du marché… [Il s’agit de] respecter l’intégralité de la personne des étudiants, en développant une multiplicité de compétences qui enrichissent leur humanité : créativité, imagination, capacité d’aimer le monde et de cultiver la justice et la compassion [3]. »
A partir de ces mots d’introduction, je souhaiterais vous présenter trois pistes de réflexion.
1) La personne et son éducation intégrale
En ces moments cruciaux pour la vie de millions d’êtres fragilisés par la crise politique, économique et sociale qui affecte aujourd’hui le monde entier, on ne peut que se réjouir de voir les institutions scolaires continuer à travailler pour l’humanisation de tout être humain et pour l’éducation des plus pauvres. Cela requiert à l’évidence d’y mettre les moyens nécessaires ; et le moyen choisi aujourd’hui est de sauvegarder et d’augmenter le budget éducatif.
Cependant, doit-on se contenter de se limiter à définir des priorités sociales, didactiques, techniques ? Si l’on veut favoriser l’universalité et l’effectivité de normes éthiques à l’égard du développement de tous par l’éducation, particulièrement des plus démunis, cela suppose une réflexion plus fondamentale sur l’exigence universelle du respect et sur le type d’éducation pour tous que cela nécessite. Car l’inconvénient d’une multiplication des priorités telles qu’on les définit actuellement, serait de réduire le problème philosophique et éthique de l’éducation et du développement humain à des questions purement techniques. C’est pourquoi, seule une réflexion fondamentale sur « l’éducation intégrale » et sur l’anthropologie qui la sous-tend devrait nous conduire à déterminer ce qui est effectivement et réellement humanisant pour toute l’humanité.
Mais qu’entend-on par « éducation intégrale » ? En adoptant l’expression « éducation intégrale », nous nous référons à l’acception utilisée en 1993 dans le Document final de la Conférence mondiale sur les Droits de l’homme organisée par les Nations unies qui demandait « d’orienter l’éducation vers le plein épanouissement de la personne et le renforcement des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Il s’agit là d’une éducation intégrale capable de préparer des sujets autonomes et respectueux de la liberté et de la dignité d’autrui ». Dans cette ligne, nous le savons, la défense et la promotion du droit à l’éducation dont l’UNESCO a fait son axe majeur, concerne non seulement la possibilité pour chaque être humain de se cultiver, de développer ses talents et par là de participer à la vie publique, économique et sociale, mais encore la capacité à s’humaniser véritablement et à jouir pleinement de la dignité inhérente à toute personne humaine. Il ne s’agit donc pas seulement de favoriser une éducation interculturelle où enfants et adolescents d’ethnies, races, cultures et sexes différents apprendraient à se respecter par le dialogue sans catégorisation ethnique. L’éducation intégrale doit aussi comprendre l’apprentissage de la vie en commun, de la solidarité. Cela passe par le développement de la capacité à assumer des responsabilités.
Une deuxième acception à laquelle nous nous référons n’est pas très éloignée de celle prônée par l’ONU. Il s’agit de celle mise en valeur par l’Eglise catholique pour définir son projet éducatif comme « éducation intégrale de la personne humaine ». Ce projet d’éducation vise à former la personne dans l’unité intégrale de son être, grâce à des moyens d’enseignement et d’apprentissage où se forment « les critères de jugement, les valeurs déterminantes, les points d’intérêt, les lignes de pensée, les sources inspiratrices et les modèles de vie »[4]. Ce projet éducatif soutient que, « dans le contexte de la mondialisation, il convient de former des sujets capables de respecter l’identité, la culture, l’histoire, la religion et surtout les souffrances et les besoins des autres, dans la conscience que tous, nous sommes vraiment responsables de tous »[5]. Dans ce contexte, il devient particulièrement urgent d’offrir aux jeunes un parcours de formation scolaire qui ne se réduise pas à l’utilisation individualiste et institutionnelle d’un service qui aurait pour but la seule obtention d’un diplôme. L’avantage de ce projet éducatif est qu’il est déjà mis en pratique à travers le monde, a déjà été testé et éprouvé à travers l’histoire et qu’il permet de développer une grande puissance d’imagination et de créativité. En dépit de réelles difficultés économiques ou politiques, ce projet éducatif se veut coresponsable du développement social et culturel des diverses communautés et des peuples, dont l’école catholique fait partie intégrante, en partageant leurs joies et leurs espérances, leurs souffrances, leurs difficultés et leur engagement pour un authentique progrès humain et communautaire. Dans cette perspective, il faut mentionner la précieuse contribution que ce type d’éducation intégrale offre au développement spirituel et matériel des peuples moins favorisés.
Pour que cette éducation intégrale puisse permettre aux enfants et aux jeunes gens non seulement d’acquérir une maturité humaine, morale et spirituelle, mais aussi de s’engager dans la transformation de la société, l’Eglise catholique invite vivement à réfléchir sur l’anthropologie qui en est à la racine. « On veut oublier que l’éducation présuppose et implique toujours une conception déterminée de l’homme et de la vie. A la prétendue neutralité scolaire correspond, le plus souvent, l’éloignement pratique de la référence religieuse du champ de la culture et de l’éducation. Une vision pédagogique adéquate est au contraire appelée à se mouvoir sur le terrain plus décisif des fins, à se préoccuper non seulement du ‘comment’, mais aussi du ‘pourquoi’, à dépasser la méprise d’une éducation aseptisée, à rendre au processus éducatif ce caractère unitaire qui empêche la dispersion dans la diversité des connaissances et des acquisitions en mettant au centre la personne dans son identité globale, transcendantale et historique.[6] » On ne parvient pas à éduquer l’homme quand, par exemple, on le réduit à une anthropologie dérivée d’une conception selon laquelle l’homme ne serait que liberté, décision, subjectivité, séparées de la transcendance et de la vérité, ou encore lorsque l’on réduit les sujets à une égalité indifférenciée en cherchant à gommer leur identité profonde.
En bref, cette éducation intégrale, qui permet à l’homme d’accéder à sa pleine humanité, est une voie exigeante mais nécessaire. Elle est « une nécessité primordiale pour la lutte contre la pauvreté ». L’éducation est une priorité, mais elle doit aussi être intégrale parce que « une information technique et scientifique n’est pas suffisante pour éduquer des femmes et des hommes responsables dans leur famille et à tous les échelons de la Société »[7].
2) L’éducation intégrale comme chantier ouvert, difficile et nécessaire
L’éducation intégrale est un chantier ouvert, difficile et nécessaire.
- Un chantier ouvert, parce qu’elle doit être un événement, une approche systématique qui aide à vivre l’éducation comme rencontre dialogique avec d’autres personnes (du passé et du présent) et d’autres cultures, et pas uniquement comme instruction et comme apprentissage de données figées.
- Un chantier difficile, car il implique : a) Une approche critique quant à la sélection des savoirs enseignés et aux rapports à ces savoirs. Les diverses disciplines ne présentent pas seulement des connaissances à acquérir mais des valeurs à assimiler et des vérités à découvrir. b) Une approche critique quant à l’interprétation des valeurs fondamentales des sociétés occidentales sécularisées. Le droit de la personne à recevoir une éducation adéquate selon son libre choix doit être assuré. c) Une approche critique enfin quant à la nature sociale de l’espace scolaire. La communauté éducative prise dans son ensemble, est appelée à promouvoir l’objectif d’une école comme lieu de formation intégrale à travers la relation interpersonnelle et la responsabilité.
- C’est aussi un chantier nécessaire : le courant de réflexion sur l’éducation intégrale prend en charge spécialement la contradiction, patente dans la vie politique mais peu pensée en éducation, entre, d’un côté, les tensions identitaires, les discriminations et, de l’autre, les valeurs de la communion à l’intérieur du corps social et politique. Il s’agit donc d’un courant qui peut alimenter la réflexion, aujourd’hui très riche, sur l’éducation à la citoyenneté.
3) Identité ecclésiale et culturelle de l’école catholique : une proposition d’entraide avec le monde entier
De la nature de l’école catholique on peut aussi tirer l’un des éléments les plus expressifs de l’originalité de son projet éducatif : la synthèse entre culture et foi. Le savoir en effet, lorsqu’il est placé dans l’horizon de la foi, devient sagesse et conception de vie. L’aspiration à conjuguer raison et foi, permet de donner à chacune des disciplines, sa propre unité, articulation et coordination, en faisant émerger de l’intérieur même du savoir scolaire une vision chrétienne du monde, de la vie, de la culture et de l’histoire. Dans le projet éducatif de l’école catholique on ne fait donc pas de séparation entre le temps pour l’apprentissage et pour l’éducation, entre le temps pour la connaissance et le temps pour l’éducation à la sagesse. Les diverses disciplines ne présentent pas seulement des connaissances à acquérir mais des valeurs à assimiler et des vérités à découvrir. Tout ceci exige une ambiance caractérisée par la recherche de la vérité, où les éducateurs, compétents, convaincus et cohérents, maîtres du savoir et de vie, soient les icônes, imparfaites certes, mais non dépourvues de l’éclat de l’unique Maître. Dans la perspective d’un tel projet éducatif, toutes les disciplines doivent contribuer, à partir de leur savoir spécifique propre, à la construction de personnalités mûres qui soient ouvertes à la réalité tout entière.
Comme l’a rappelé le pape François : « Il me vient à l’esprit ce qu’a dit un grand penseur : ‘Eduquer, c’est introduire dans la totalité de la vérité.’ On ne peut parler d’éducation catholique sans parler d’humanité, parce que précisément l’identité catholique est Dieu qui s’est fait homme. Aller de l’avant dans les comportements, dans les valeurs humaines, pleines, ouvre la porte à la semence chrétienne. Ensuite vient la foi. Eduquer chrétiennement, ce n’est pas seulement faire une catéchèse : ce n’en est qu’une partie. Ce n’est pas seulement faire du prosélytisme – ne faites jamais de prosélytisme dans les écoles ! Jamais ! Eduquer chrétiennement suppose de faire progresser les jeunes, les enfants dans les valeurs humaines dans toute leur réalité, une de ces réalités étant la transcendance. Il y a aujourd’hui une tendance au néopositivisme, c’est-à-dire éduquer aux choses immanentes, à la valeur des choses immanentes, et ce aussi bien dans les pays de tradition chrétienne que dans les pays de tradition païenne. Et cela n’introduit pas les jeunes, les enfants dans la réalité totale : il manque la transcendance. Pour moi, la crise de l’éducation la plus grande, dans une perspective chrétienne, c’est cette fermeture à la transcendance. Il faut préparer les cœurs pour que le Seigneur se manifeste, mais dans la totalité ; c’est-à-dire, dans la totalité de l’humanité qui a aussi cette dimension de transcendance. Eduquer humainement, mais avec des horizons ouverts. Aucune forme de fermeture n’est utile à l’éducation.[8] »
En conclusion, la personne a le droit de recevoir une éducation intégrale ; cette éducation intégrale est un chantier ouvert, difficile et nécessaire. Dans ce contexte, l’école catholique vise à offrir une proposition d’entraide au monde entier.
L’UNESCO, pour sa part, représente un véritable exemple de chantier ouvert au service de l’éducation.
L’Objectif du développement durable numéro 4 « Assurer l’accès de tous à une éducation de qualité, sur un pied d’égalité, et promouvoir les possibilités d’apprentissage tout au long de la vie » présente une toute nouvelle vision de l’éducation qui doit être holistique, ambitieuse et mobilisatrice. L’analyse menée par le Rapport mondial de suivi sur l’EPT 2015 montre bien que même si des progrès ont été accomplis partout dans le monde depuis 2000, le but de l’Education pour tous n’a pas encore été réalisé pleinement. Pour autant, la Conférence générale de l’UNESCO dans sa résolution contenue dans le document 38/C5 sur le grand Programme I, objectif 3, donne mandat à la Directrice générale de « conduire et coordonner l’agenda Éducation 2030 » avec une allocation d’un montant de 124 437 800 dollars pour la période 2016-2017 à partager parmi les trois axes d’actions. A travers ces dispositions, les Etats montrent bien l’importance qu’ils attachent à l’Education.
Permettez-moi, donc, de souligner encore une fois la nécessité de financements pour une éducation intégrale. Comme le disait le pape François, « Il y a trois langages : le langage de la tête, le langage du cœur, le langage des mains. L’éducation doit se diriger dans ces trois directions. Enseigner à penser, aider à bien ressentir et accompagner dans l’action, afin que les trois langages soient en harmonie ; que l’enfant, le jeune pense ce qu’il ressent et ce qu’il fait, ressente ce qu’il pense et ce qu’il fait, et fasse ce qu’il pense et ressent. C’est ainsi qu’une éducation devient inclusive car tout le monde a une place ; et elle devient aussi inclusive humainement »[9].
Je vous remercie de votre attention.
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NOTES
[1] Constitution Apostolique Gaudium et Spes, 63.
[2] Pape François aux étudiants et professeurs des écoles gérées par les jésuites en Italie et en Albanie, 7 juin 2013.
[3] Congrégation pour l’Education Catholique, « Eduquer aujourd’hui et demain. Une passion qui se renouvelle », Instrumentum laboris, 2014.
[4] Paul VI, Exhortation apostolique post-synodale Evangelii nuntiandi (8 décembre 1975), n. 19 : AAS 68 (1976), 18.
[5] Congrégation pour l’éducation catholique, « Eduquer Ensemble dans l’école catholique », 18 septembre 2007, §44.
[6] Congrégation pour l’éducation catholique, « L’école catholique au seuil du 3e millénaire », 28 décembre 1997, §10.
[7] Cf. Benoît XVI, Discours aux nouveaux Ambassadeurs auprès du Saint-Siège, 13 décembre 2007.
[8] Pape François, Aux participants au Congrès mondiale sur l’Education, 21 novembre 2015.
[9] Cf : Idem.