Mgr Richard Gyhra, Genève, Capture

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Pour en finir avec la dette des pays en voie de développement, par Mgr Gyhra

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Intervention du Saint-Siège au Conseil des droits de l’homme

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« La dette des pays en voie de développement doit être placée dans un contexte plus large de relations économiques, politiques et technologiques qui ont apporté une interdépendance croissante entre les pays, ainsi que le besoin d’une collaboration internationale pour poursuivre les objectifs du bien commun », explique Mgr Gyhra, à propos de ce thème éminemment « jubilaire ».
Mgr Richard Gyhra, Chargé d’Affaires – par intérim – de la Mission permanente du Saint-Siège auprès des Nations unies et des autres organisations internationales à Genève, est en effet intervenu à la 31e Session du Conseil des droits de l’homme.
Il est intervenu, le 7 mars 2016, à Genève, sur l’« Article 3 » concernant le « Dialogue interactif sur les droits de l’homme et la dette extérieure ».
« Cette interdépendance devrait stimuler un concept nouveau et plus large de solidarité qui respecte l’égale dignité de tous les peuples, plutôt que de conduire à la domination par les plus forts, à l’égoïsme national, aux inégalités et aux injustices », précise Mgr Gyhra.
Voici notre traduction complète de l’intervention du représentant du Saint-Siège.
A.B.
Intervention de Mgr Gyhra 
Monsieur le Président,
L’ampleur de la crise de 2008 a laissé de nombreux gouvernements se battre pour compenser les effets des réductions des dépenses dans les banques, les entreprises et les foyers qui cherchent à rééquilibrer leur bilan. Depuis la crise, de nombreuses économies développées se sont tournées vers des instruments « non conventionnels » de politique monétaire dans leurs efforts pour se redresser. En conséquence, ses effets s’y sont fait sentir plus gravement, mais l’effondrement de la demande globale, qui s’en est suivi dans ces pays cherche encore à se frayer un chemin à travers l’économie globale, et en particulier dans les pays les moins avancés.
Nous connaissons tous, cependant, l’histoire de la situation de la dette internationale actuelle. C’est une histoire avec un commencement spécifique dans des circonstances économiques particulières. Nous devons reconnaître que cette histoire a été marquée par deux facteurs déterminants : des dépenses irresponsables, mais aussi des prêts irresponsables. À l’intérieur des pays débiteurs individuels, il y a de la corruption, une administration pauvre des deniers publics ou une utilisation impropre des prêts reçus. Les prêteurs ont aussi investi de manière irresponsable et les fonds spéculatifs prédateurs ont tiré avantage à la fois des pays développés et des pays en voie de développement dans la crise financière.
La résolution du problème de la dette internationale est une question économique, mais c’est aussi une question de volonté politique. La communauté internationale ne peut pas ignorer ce fait. Comme l’a dit le Saint-Père aux Nations unies l’année dernière, « les organismes financiers internationaux doivent veiller au développement durable des pays, et à ce qu’ils ne soient pas soumis, de façon asphyxiante, à des systèmes de crédits qui, loin de promouvoir le progrès, assujettissent les populations à des mécanismes de plus grande pauvreté, d’exclusion et de dépendance »[1]. Tout en réaffirmant le principe selon lequel les dettes doivent être remboursées, il faut trouver des voies qui  ne compromettent pas « le droit fondamental des peuples à leur subsistance et à leur progrès »[2].
Des solutions réelles à la crise financière internationale doivent inclure la mise en œuvre de principes de prêts et d’emprunts responsables dans les banques et les institutions financières internationales. Ces principes ont été développés par la Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement, et examinés par l’expert des Nations unies sur la dette et les droits de l’homme.
Le problème de la dette est lié aussi à celui de l’ajustement, lui-même lié ensuite à celui de la transition. Par leur nature, ces deux termes indiquent quelque chose, un but important en vue duquel nous travaillons. La transition et l’ajustement doivent aussi être considérés avec un regard centré sur les personnes. Nous espérons avancer vers des économies de marché démocratiques et socialement responsables, afin que les besoins des personnes puissent être mieux pris en compte, et afin que les personnes puissent faire le meilleur usage de leur potentiel. Les gens sont préparés à accepter les épreuves quand ils savent qu’ils sont sur la voie d’une amélioration. Mais lorsque l’impact durable du début entraîne avec lui une situation où les plus pauvres sont les premiers à souffrir encore plus, nous ne pouvons pas être surpris si le but même vers lequel nous avançons devient discrédité à leurs yeux. L’ajustement ou la transition signifient aussi qu’il faut fournir à ceux qui étaient marginalisés dans l’ancien système la formation nécessaire pour faire d’eux les acteurs du nouveau.
Comme l’a souligné le Rapporteur spécial, il « existe toutes sortes de liens entre l’inégalité, la dette privée et souveraine et l’apparition de crises financières ». L’inégalité peut affecter la dette souveraine à la fois directement et indirectement, puisque la base de l’impôt sur le revenu de l’État concerné peut être très basse, au moins si l’imposition du revenu n’est pas progressive. Ceci diminue les revenus souverains et en conséquence rend l’État plus dépendant de l’emprunt. C’est ainsi que l’inégalité contribue, dans bien des cas, à la dette souveraine. Devant cette réalité, « nous devrions nous indigner particulièrement des énormes inégalités qui existent parmi nous, alors que nous continuons de tolérer que certains se considèrent plus dignes que les autres… Comme s’ils étaient nés avec de plus grands droits »[3].
La stratégie traditionnelle du Fonds monétaire international pour fournir une assistance à des pays en situation de difficultés de paiement extérieur a eu pour but non seulement d’aider les pays débiteurs à être fidèles à leurs obligations de remboursement vis-à-vis des créanciers étrangers, mais aussi de rétablir la confiance des marchés financiers par le biais des conditions politiques (policy conditionnality) attachées à ses prêts. Par cette approche, le rétablissement de la confiance de l’investisseur est considéré comme une condition requise pour permettre au taux de change de se déprécier. Pour bloquer la croissance de la dette, qui est une conséquence de la crise économique mondiale, les pays en voie de développement pourraient utiliser un mécanisme multilatéral convenu pour arrêter temporairement le remboursement de la dette, ce qui aiderait beaucoup à un règlement ordonné de la dette. Ce mécanisme impliquerait le secteur privé dans la résolution de crises financières sur les marchés émergents, il influencerait les décisions des investisseurs et des créditeurs. Cela aiderait aussi à réduire les flux de capitaux déstabilisateurs.
Une fois que les crises ont éclaté, la résolution de la dette souveraine a été souvent aussi une affaire de longue haleine qui a été préjudiciable aux intérêts à la fois des créanciers privés et des débiteurs souverains. En l’absence d’un cadre institutionnel impartial, les prêteurs sont devenus de facto juges de leurs propres réclamations contres les emprunteurs. Donner à ces réalités un ensemble clair de règles internationales pourrait être bénéfique à tous : cela pourrait forcer les créanciers récalcitrants à accepter les termes de la restructuration de la dette, imposer de rester sur les litiges pendant les négociations de restructuration et prévoir l’extension de nouveaux crédits au cours des exercices de restructuration. Des propositions pour l’introduction d’un mécanisme ordonné international de résolution de la dette pour la dette souveraine, sur le modèle des procédures nationales d’insolvabilité, ont déjà été faites par la Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement (UNCTAD) depuis le début des années 1980.
La dette des pays en voie de développement doit être placée dans un contexte plus large de relations économiques, politiques et technologiques qui ont apporté une interdépendance croissante entre les pays, ainsi que le besoin d’une collaboration internationale pour poursuivre les objectifs du bien commun. Cette interdépendance devrait stimuler un concept nouveau et plus large de solidarité qui respecte l’égale dignité de tous les peuples, plutôt que de conduire à la domination par les plus forts, à l’égoïsme national, aux inégalités et aux injustices. Comme l’a déclaré le Saint-Père : « À aucun moment, il ne faut oublier que l’action politique et économique est efficace seulement lorsqu’on l’entend comme une activité prudentielle, guidée par un concept immuable de justice.[4] » La solidarité implique la conscience et l’acceptation de la coresponsabilité pour les causes et les solutions relatives à la dette internationale. La coresponsabilité aidera à créer ou à restaurer des relations basées sur la confiance entre les nations (créancier et débiteur) et entre les différents agents (autorités politiques, banques commerciales, organisations internationales) et ainsi encouragera la coopération dans la recherche de solutions. La confiance mutuelle est une valeur indispensable qui doit être constamment renouvelée.[5]
Monsieur le Président,
En conclusion, les inégalités peuvent être réduites par la fiscalité et des transferts, ces derniers y compris en espèces et en nature. Les gouvernements « peuvent envisager une combinaison des impôts progressifs et des transferts de redistribution pour réduire les inégalités de revenus et leur impact sur le développement social »[6]. Des efforts devraient être entrepris pour : 1) promouvoir les prêts et emprunts responsables ; 2) empêcher à la fois l’évasion fiscale des entreprises et les sorties de fonds illicites en provenance des pays débiteurs, et 3) créer un processus de résolution de la dette internationale équitable et transparent. Le Saint-Siège souhaite réaffirmer que le droit au développement doit être pris en compte lors de l’examen des questions liées à la crise de la dette de nombreux pays pauvres[7]. L’élimination de la pauvreté signifie, entre autres choses, permettre à tous, en particulier aux femmes et aux personnes handicapées, de participer activement à l’économie et dans la société. L’efficacité de nos systèmes économiques pour répondre aux besoins des personnes doit être constamment évaluée. Un système qui laisse des secteurs importants d’une nation ou d’une communauté sur les bords, incapables de contribuer activement avec leurs talents à la société et à l’économie, a échoué à fournir à toute la communauté les conditions minimales pour un système de protection sociale de qualité. Le Saint-Siège continue d’appeler à la création d’un modèle d’économie de marché capable d’inclure dans ses rangs tous les peuples, et pas seulement les plus riches. Il appelle à des efforts plus importants pour construire un monde plus humain pour tous, un monde dans lequel « tous seront en mesure de donner et de recevoir, sans qu’un groupe ne progresse au détriment d’un autre »[8]. En ce sens, les États et la communauté internationale doivent mettre en œuvre de toute urgence les réformes des marchés financiers dans le but de combattre et prévenir l’instabilité financière, la dette excessive et les crises financières, et de construire une économie inclusive qui respecte la dignité de toutes les personnes.
Je vous remercie, Monsieur le Président.
© Traduction de Zenit, Constance Roques
 
[1] Pape François, Déclaration à l’Assemblée générale des Nations Unies, 25 septembre 2015.
[2] Pape Jean-Paul II, Lettre encyclique Centesimus annus, 35: AAS 83 (1991), 838 ; cf. aussi le document “Au service de la Communauté humaine : une approche éthique à la question de la dette internationale”, publié par la Commission pontificale “Justice et Paix”.
[3] Pape François, Lettre encyclique Laudato si’, n. 90.
[4] Pape François, Discours à l’Assemblée générale des Nations Unies, 25 september 2015.
[5] Introduction of At the Service of the Human Community: an Ethical Approach to the International Debt Question, published by the Pontifical Commission “Iustitia et Pax”.
[6] Report of the Secretary-General on the role of the United Nations in promoting a new global human order and an assessment of the implications of inequality for development (A/67/394), para. 56.
[7] Cf. Jean-Paul II, Lettre apostolique Tertio millennio adveniente, 51 : AAS 87 (1995), 36 ; Jean-Paul II, Message pour la Journée mondiale de la paix 1998, 4: AAS 90 (1998), 151-152.
[8] Jean-Paul II, Lettre encyclique Sollicitudo rei socialis, 44: AAS 80 (1988), 279.

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Constance Roques

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