« Regarder le visage du Christ, image de Dieu, pour être transfiguré par lui » : c’est le thème du commentaire théologique et spirituel de Mgr Francesco Follo sur les lectures de dimanche prochain, 21 février, IIème dimanche de Carême, (Année C, lectures : Genèse 15,5-12.17-18 ; Psaume 26 ; Philippiens 3,17-4,1 ; Luc 9,28b-36).
Mgr Follo propose une lecture patristique de saint Cyrille d’Alexandrie.
Regarder le visage du Christ, image de Dieu,
pour être transfiguré par lui
- Celui-ci est mon Fils – Voici l’Homme
Dimanche dernier, la liturgie du carême nous a invités à la conversion, en nous faisant revivre le mystère de la tentation de Jésus et sa victoire pour accomplir avec lui le voyage du retour. Ce chemin de libération, « exode » dans l’Évangile, nous fait passer de l’esclavage du péché, de la condition de prisonniers de l’erreur et du mal, à la liberté des fils dans le Fils, à la vérité et à la beauté d’être dans le Christ, à la beauté d’un amour qui accueille toujours tout et tous.
Aujourd’hui, seconde étape de notre exode pénitentiel, la Parole de Dieu nous introduit dans une nouvelle dimension de notre participation au mystère du Christ, nous invitant à revivre la transfiguration du Christ, qui se manifeste dans sa gloire, c’est-à-dire dans sa beauté divine. Pendant la Passion, Pilate dira : « Voici l’Homme », montrant le Christ défiguré par la flagellation. Aujourd’hui, Dieu le Père dit : « Celui-ci est mon Fils, celui que j’ai choisi », le Dieu-homme qui montre le vrai visage de l’homme.
Si, d’une part, marcher avec le Christ signifie renier notre égoïsme en étant vainqueurs des tentations de la vie, de l’autre, accomplir l’exode avec le Christ nous fait monter sur le Mont Thabor, pour être transfigurés dans le Christ et comme le Christ.
La Transfiguration nous concerne nous aussi, qui sommes appelés non seulement à assister à la gloire du Fils de Dieu, mais à en vivre. En effet, puisque nous sommes avec le Christ, sa gloire nous investit nous aussi, transformant notre corps et notre âme et ainsi, nous vivons dans son amour, qui est lumière qui nous éclaire et nous transforme, ainsi que nos relations humaines et notre regard sur la vie quotidienne.
Dans cet exode quadragésimal vers la Pâque – itinéraire de notre identification avec le Christ ressuscité – la transfiguration de Jésus est une étape particulièrement importante, parce que nous lui permettons de nous transfigurer à son image et à sa ressemblance, en acceptant comme lui la Croix.
Dans l’Évangile d’aujourd’hui, il y a un détail qui aide à comprendre que la Croix est la clé qui ouvre la porte de la gloire. En effet, saint Luc ne se limite pas à parler de la présence de Moïse et d’Élie à côté de Jésus transfiguré. Cet évangéliste raconte – et il est le seul à le faire – le contenu de la conversation de Jésus avec ces deux grands personnages de l’Ancien Testament, qui symbolisent la Loi et les Prophètes et il dit qu’ils parlent avec le Christ de son exode, c’est-à-dire du chemin de rédemption à travers sa mort pour nous sur la Croix à Jérusalem (cf. Lc 9,31). Jésus écoute la Loi et les Prophètes qui lui parlent de sa mort et de sa résurrection. Le Fils de Dieu ne fuit pas sa mission de « transfigurateur », pour laquelle il est venu dans le monde, même s’il sait que, pour arriver à la gloire, il devra aller sur la Croix et mourir.
- Deux éléments importants : le mont et la prière
La transfiguration se passe sur un mont, lieu souvent utilisé par Dieu pour se manifester, comme l’enseigne la Bible et comme le montre la vie du Christ[1]. À ce lieu physique, saint Luc ajoute un « lieu » spirituel : la prière, qui doit être considérée comme le véritable « lieu » de la Transfiguration. Dans le récit de la transfiguration, cet évangéliste est le seul à souligner que Jésus « gravit la montagne pour prier. Pendant qu’il priait, l’aspect de son visage devint autre, et son vêtement devint d’une blancheur éblouissante » (Lc 9,28-29). C’est pour cela qu’il est vraiment juste d’affirmer que « la transfiguration est un événement de prière ; ce qui se produit dans le dialogue de Jésus avec son Père devient visible : l’intime compénétration de son être avec Dieu, qui devient pure lumière. En étant un avec le Père, Jésus lui-même est Lumière de la Lumière » (Benoît XVI).
Avec Pierre, Jacques et Jean, « nous montons nous aussi, aujourd’hui, sur le mont de la transfiguration et nous restons en contemplation devant le visage de Jésus pour en recueillir le message et le traduire dans notre vie ; parce que nous aussi, nous pouvons être transfigurés par l’amour. En réalité l’amour est capable de tout transfigurer » (Pape François).
En plus d’être pour les apôtres une anticipation de la Pâque qui arrivera à travers la passion et la mort du Christ en Croix, la transfiguration fut pour eux un don, parce qu’ils ont commencé à vivre l’expérience de la communion avec Dieu présent dans l’histoire, dans la chair humaine de Jésus.
La transfiguration du Christ, splendeur de Vérité et d’Amour, est pour nous source d’espérance et invitation à toujours accueillir dans notre cœur, même dans la nuit la plus obscure, Jésus-Christ, lampe qui ne s’éteint jamais, parce que « ce qui, pour les yeux du corps, est le soleil que nous voyons, l’est [le Christ] pour les yeux du cœur » (Saint Augustin d’Hippone, Sermo 78, 2 : PL 38, 490). Sans sa lumière qui illumine et transfigure les cœurs, la Croix serait un scandale et une folie.
En bref, la transfiguration du Christ s’est produite dans le silence de la montagne après une longue prière que Jésus a eue avec les amis qu’il avait choisis : les apôtres Pierre, Jean et Jacques, et elle a eu pour objectif principal celui de dévoiler que Jésus est le Fils de Dieu, l’élu et le bien-aimé, qui va mourir par fidélité à son Père pour que le monde croie que Dieu n’est qu’Amour et pour qu’il accueille cet Amour.
- La virginité consacrée et la Transfiguration
Prier cet Amour n’est pas seulement parler à son Père, c’est « un élan du cœur, c’est un simple regard tourné vers le ciel, c’est un cri de reconnaissance et d’amour, dans l’épreuve comme dans la joie » (Sainte Thérèse de l’Enfant Jésus, Manuscrit C, 25r). En effet, la prière est avant tout relation amoureuse des enfants de Dieu avec leur Père infiniment bon, avec son Fils Jésus-Christ et avec l’Esprit-Saint (cf. Catéchisme de l’Église catholique, 2565).
La vie de prière ou la vie de piété consiste à vivre dans une habitude d’amour obéissant à Dieu. Certes, cette vie se traduit dans des exercices ou des pratiques de piété, qui impliquent de vivre en communion avec Dieu, comme se vivent les relations habituelles de notre vie, nos proches et nos amis les plus chers. Ou plutôt, c’est la communion avec le Seigneur qui donne une lumière à toutes nos autres relations.
Cette communion avec Dieu est vécue et témoignée de façon particulière par les Vierges dans le monde qui se sont consacrées au Christ dans une relation sponsale. Que veut dire être « épouse du Christ » ? « Être épouse du Christ, écrit sainte Élisabeth de la Trinité, veut dire avoir tous les droits sur son cœur. C’est un cœur pour toute la vie. C’est vivre … toujours avec. C’est reposer totalement en lui et lui permettre de reposer totalement dans notre âme. C’est ne pas savoir autre chose que d’aimer ; aimer en adorant, aimer en réparant, aimer en priant, en demandant, en s’oubliant ; aimer toujours sous toutes ses formes. Être épouse, c’est avoir les yeux dans ses yeux, la pensée fascinée par lui, le cœur pris tout entier, envahi tout entier, comme hors de lui et passé en lui, l’âme pleine de son âme, pleine de sa prière, tout l’être capturé et donné. C’est le fixer sans cesse du regard, pour surprendre le moindre désir ; c’est entrer dans toutes ses joies, partager toutes ses tristesses. Cela veut dire être féconde, co-rédemptrice, engendrer des âmes à la grâce, multiplier les enfants adoptifs du Père, les rachetés par le Christ, les cohéritiers de sa gloire ».
Dans le contexte de l’Évangile de ce jour, la virginité consacrée indique le don total de soi au Christ, qui montre que la vraie prière consiste à unir notre volonté à celle du Père, à nous laisser transfigurer par lui et ne pas fuir la réalité du monde et les responsabilités que cela comporte, mais les assumer jusqu’au bout, confiant dans l’amour fidèle et inépuisable du Seigneur.
Enfin, les Vierges consacrées sont appelées à être les témoins particuliers du Christ transfiguré, à travers une vie de prière et de travail faite de silence pour ne pas étouffer, par leurs paroles et par les bruits de la vie, la Parole de Dieu qui transfigure, pour ne pas revêtir de fausse gloire la Gloire de celui qui se manifeste dans le scandale de la Croix, pour annoncer l’amour de celui qui se donne au monde afin de le transfigurer par sa miséricorde.(cf rituel de consécration des vierges n° 24 : « qu’elles te craignent avec amour , et par amour, qu’elles te servent »
Traduction de Zenit, Constance Roques
Lecture patristique : S. Cyrille d’Alexandrie (370 – 444)
Homélie sur la Transfiguration, 9 (PG 77, 1011-1014)
Jésus gravit la montagne avec les trois disciples qu’il a choisis. Puis, il est transfiguré par une lumière éclatante et divine, au point que son vêtement semblait briller comme la lumière. Ensuite, Moïse et Élie, encadrant Jésus, parlaient entre eux de son départ qui devait s’accomplir à Jérusalem, c’est-à-dire du mystère de son Incarnation et de sa passion salvatrice, qui devait se réaliser sur la croix. Car il est vrai que la loi de Moïse et la prédication des prophètes avaient montré à l’avance le mystère du Christ. Sans doute la Loi décrivait cela comme sur un tableau, mais par des reflets et des esquisses; quant aux prophètes, ils le prédisaient sous des formes fragmentaires et variées (He 1,1), annonçant que nous verrions à découvert, le moment venu: qu’il ne refuserait pas de souffrir la mort sur le gibet, pour le salut et la vie de tous.
Quant à cette présence de Moïse et d’Élie et à leur entretien, ils avaient pour but de montrer que la Loi et les prophètes formaient comme l’escorte de notre Seigneur Jésus Christ, le Seigneur qu’ils avaient montré par des indications concordantes. En effet, les annonces des prophètes ne contredisaient pas la Loi. Après être apparus, ils ne se taisaient pas, mais ils parlaient de la gloire dont le Seigneur allait être comblé à Jérusalem par sa passion et sa croix, et surtout par sa résurrection.
Peut-être le bienheureux Pierre, ayant cru que l’avènement du règne de Dieu était arrivé, a-t-il désiré demeurer sur la montagne, car il a dit qu’il fallait dresser trois tentes, ne sachant ce qu’il disait (Lc 9,33). Car ce n’était pas le temps de la fin du monde, et ce n’est pas dans le temps présent que les saints jouiront de l’espérance qui leur a été promise. Car saint Paul affirme: Il transfigurera nos pauvres corps à l’image de son corps de gloire (Ph 3,21), celui du Christ.
Puisque le plan de salut n’était pas encore achevé, n’étant qu’à son commencement, il n’était pas possible que le Christ, venu par amour dans le monde, renonce à vouloir souffrir pour lui. Car il a gardé la nature humaine pour subir la mort dans sa chair, et la détruire par sa résurrection d’entre les morts.
D’ailleurs, outre ce spectacle étonnant et mystérieux de la glorification du Christ, il s’est produit quelque chose de nécessaire pour confirmer la foi en lui, non chez les disciples seulement, mais aussi chez nous. Du haut du ciel se fit entendre la voix de Dieu le Père, qui disait: Celui-ci est mon Fils bien-aimé, en qui j’ai mis tout mon amour: écoutez-le (Mt 17,5)!
NOTE
[1] Le mont comme lieu de la proximité particulière de Dieu; de nouveau, nous devons penser aux différents monts de la vie de Jésus comme à un seul lieu: le mont de la tentation, le mont de sa grande prédication, le mont de la prière, le mont de la transfiguration, le mont de l’angoisse, le mont de la croix et enfin le mont de l’ascension; sur celui-ci le Seigneur – dans un contraste avec l’offre de la domination sur le monde en vertu du pouvoir du démon – déclare: “Tout pouvoir m’a été donné au ciel et sur la terre” (Mt 28,18). Mais sur le fond, se détachent aussi le Sinaï, l’Horeb, le mont Moriah – les monts de la révélation de l’Ancien Testament qui sont en même temps des monts de la passion et des monts de la révélation et qui, pour leur part, renvoient aussi au mont du temple sur lequel la révélation devient liturgie. (Benoît XVI – Joseph Ratzinger, Jésus de Nazareth, chapitre sur la Transfiguration).