« Le Carême est un temps riche de grâce et de miséricorde que l’Église nous offre pour que nous nous engagions dans un exode spirituel, dans un chemin de conversion au Christ à travers l’écoute plus fréquente de la parole de Dieu, une prière plus intense, le jeûne et la charité », explique Mgr Follo.
Voici son commentaire théologique et spirituel des lectures de la messe de dimanche prochain, 14 février 2016 (Premier dimanche de Carême – Année C – Deutéronome 26, 4 -10 ; Psaume 90 ; Romains 10, 8-13 ; Luc 4, 1-13).
Mgr Follo propose la lecture d’une homélie d’Origène sur le Cantique des Cantiques.
Le carême, un temps pour apporter la miséricorde de Dieu dans le désert de l’homme
1) Le Carême comme exode
Les quarante jours passés par Jésus dans les lieux désertiques d’Israël font écho à l’exode, c’est-à-dire aux quarante années passées par le peuple hébreu dans le désert après la libération de l’Égypte. Si nous voulons donc comprendre le sens de l’expérience de Jésus, ainsi que le sens du chemin de Carême que nous faisons avec le Christ, alors nous devons méditer sur les événements de l’histoire d’Israël et de la vie du Rédempteur. Cependant, si nous voulons que cette méditation ne soit pas une simple réflexion intellectuelle, nous devons aussi faire un chemin de conversion en retournant vers le Seigneur « de tout notre cœur, dans le jeûne, les larmes et le deuil » (Jl 2, 12). « De tout notre cœur » veut dire que cette conversion doit partir du centre de nos pensées et de nos sentiments, de la racine de nos décisions, de nos choix et de nos actions, dans un geste de totale et radicale liberté. Mais comment est possible cet exode, ce retour à Dieu ? Il est possible grâce à une force qui ne réside pas dans notre cœur mais qui provient du cœur même de Dieu. C’est la force de sa miséricorde.
Le Carême est un temps riche de grâce et de miséricorde que l’Église nous offre pour que nous nous engagions dans un exode spirituel, dans un chemin de conversion au Christ à travers l’écoute plus fréquente de la parole de Dieu, une prière plus intense, le jeûne et la charité. Pendant cette Année jubilaire de la miséricorde, le Carême nous est proposé comme « un temps favorable qui permet de sortir finalement de notre aliénation existentielle grâce à l’écoute de la parole et aux œuvres de miséricorde corporelles et spirituelles » (Pape François, Message pour le Carême 2016).
Le Carême est donc un temps favorable pour redécouvrir la foi en Dieu comme critère de fond de notre vie et de celle de l’Église. Ce qui implique toujours une lutte spirituelle, parce que le diable s’oppose à notre exode de sanctification et cherche à nous faire sortir du chemin du Christ qui nous conduit au Père. Pour cela, lors du premier dimanche du Carême, on proclame chaque année l’Évangile des tentations de Jésus au désert.
2) Les tentations de Jésus
Jésus a été tenté. De ce qui est écrit dans l’Évangile de saint Luc, il ressort qu’il y a eu bien plus de trois tentations et elles sont indiquées comme la tentation du pain, celle du prestige et celle du pouvoir. En effet saint Luc raconte que le tentateur est avec Jésus depuis le début et qu’il cherche à agir sur lui par « toutes les tentations. »
Mais pourquoi Jésus fut-il tenté ? Avec les Pères de l’Église nous pouvons répondre que les tentations font partie de la « descente » de Jésus dans notre condition humaine, dans l’abîme du péché et de ses conséquences. Une « descente » que Jésus a parcourue jusqu’à la fin, jusqu’à la mort sur la croix et jusqu’aux enfers de l’extrême éloignement de Dieu. De cette façon, il est la main que Dieu a tendue à l’homme, à la brebis perdue pour la sauver. Comme enseigne saint Augustin, « Jésus a pris de nous les tentations, pour nous donner sa victoire » (cf. Enarr. in Psalmos, 60, 3: PL 36, 724).
Ces trois séductions ont un dénominateur commun et peuvent être considérées comme les trois différentes faces d’une unique tentation par laquelle Satan met à l’épreuve Jésus dans le désert, désert qui cependant – comme l’enseigne la Bible – n’est pas tant le lieu de l’épreuve et de la tentation que l’occasion de faire l’expérience de la proximité, de la fidélité et de la miséricorde du Seigneur: « Le Seigneur, ton Dieu (…) a suivi ton voyage dans ce grand désert ; voilà quarante ans que le Seigneur ton Dieu est avec toi et tu n’as manqué de rien » (Dt 2, 7).
En portant son attaque sur la liberté humaine du Christ, le diable veut pousser le Messie contre Dieu, en agissant sur l’avidité humaine à posséder les choses, les personnes, Dieu lui-même et à chercher la réalisation de soi en désobéissant au Père sous prétexte qu’il serait un Dieu jaloux et rival.
En effet, que suggère le diable à Jésus ? De suivre une voie, de réaliser une existence contraire à celle que le Père avait projetée pour lui, en cherchant d’insinuer dans son cœur le doute sur la bonté et la fidélité de Dieu. Depuis la tentation d’Adam et Eve, la « stratégie » utilisée par le diable pour nous pousser au péché est toujours celle-ci : nous faire douter de l’amour prévoyant du Père pour nous pousser à désobéir au dessein divin de bonté. Si dans l’esprit et le cœur de l’être humain s’insinue la fausse idée que Dieu est jaloux du bonheur humain, il est plus facile de pousser au mal, d’amener à désobéir à une loi qui n’est plus accueillie comme provenant de l’amour du Père, riche de miséricorde et de bonté, mais de la jalousie d’un Dieu envieux et ennemi de l’humanité.
Dans le désert, le diable tenta donc le Christ pour le détourner de son obéissance au Père, en indiquant comme la vraie vie une existence contraire au projet divin. Comment ? Voici les trois formes prises par cette tentation de fond.
La première : « Si tu es le Fils de Dieu, ordonne à cette pierre de devenir du pain. » C’est une invitation à manifester sa capacité à subvenir lui-même à ses besoins en faisant abstraction du Père. Mais Jésus, qui avait jeûné pendant 40 jours dans le désert, répond : « Ce n’est pas seulement de pain que l’homme doit vivre mais de toute parole qui sort de la bouche du Père. » Le Christ répond que Lui en revanche, il compte vivre sa mission dans l’écoute obéissante du Père. Et ainsi il montre la relation unique qui l’unit au Père et son abandon confiant au Père.
C’est pour cela que le jeûne est une observance de carême importante pour faire émerger en nous la faim de Dieu comme exigence fondamentale. Donc jeûner ce n’est pas seulement manger peu ou rien pendant quelques journées de carême mais se priver de quelque chose pour comprendre la nécessité de Dieu dans notre vie.
La seconde concerne le pouvoir que l’homme veut pour se réaliser. « Le diable emmena plus haut le messie et lui montra en un instant tous les royaumes de la terre. » Satan pensait pouvoir corrompre Jésus en lui promettant « le pouvoir et la gloire » (Lc 4, 6) du monde s’il se prosternait en adoration devant lui. (Id 4, 7). C’est la tentation de croire en un Dieu prompt à trouver une solution à nos égoïsmes, c’est-à-dire à ce que nous voulons. Jésus répond : « Tu adoreras le Seigneur ton Dieu » (Id, 4, 8).
Ainsi nous comprenons que le chrétien n’est pas au service de lui-même ou du peuple mais seulement de Dieu : il est en perpétuelle adoration, au service du Père et de son amour qui nous pousse vers les frères. Pour cela, la seconde observance du Carême qui est l’aumône, n’est pas tant de donner quelques menues monnaies aux pauvres mais de vivre la charité fraternelle en pratiquant les œuvres de miséricorde corporelles et spirituelles comme le pape François le recommande.
La troisième forme de tentation est la plus subtile. Le diable propose au Christ : « Si tu es le Fils de Dieu, jette-toi en bas » (id. 4, 9) depuis le sommet du Temple. C’est comme si Satan proposait au Christ : « Mets ton Père à l’épreuve pour vérifier s’il tient ses promesses. » La réponse de Jésus est déterminée : cela signifie « tenter Dieu » non faire confiance au Père, vie et source de vie. Le Christ vit dans ce total abandon au Père et confirmera cette confiance absolue jusqu’à aller sur la Croix et dire « Père, entre tes mains, je remets mon esprit.».
A la lumière de cela, vivons la troisième observance du Carême : une prière plus intense et pour que ce temps de pénitence et de conversion soit fructueux pour chacun de nous, prions : « Accordez-nous, Dieu tout-puissant, que, pendant les exercices annuels de la sainte quarantaine du Carême, nous puissions progresser dans l’intelligence du mystère du Christ et en rechercher l’effet (dans notre vie) par une conduite digne».
3) Ouvrir notre misère à la miséricorde de Dieu
Cette troisième observance du Carême : une prière plus intense est très importante parce que quand nous prions, nous nous laissons rejoindre par Dieu qui, dans le Christ, est venu nous chercher (on pense à la parabole de la brebis perdue, cf. Lc 15) et prendre sur ses épaules non seulement nos péchés mais aussi nous-mêmes. La prière ouvre donc notre misère à la miséricorde de Jésus, qui aujourd’hui nous enseigne l’abandon total au Père.
Abandon total que les vierges consacrées dans le monde vivent dans le don complet d’elles-mêmes au Christ, Époux qui dans le désert parle à leur cœur (cf Osée 2, 2), et dans la prière qui permet d’écouter la parole d’amour de Dieu et de se laisser enseigner par le cœur du Christ, à travers la charité, parce que « prier c’est penser à Dieu en l’aimant » (Charles de Foucault) et en le reconnaissant dans le prochain, qui est icône et présence authentique du Christ.
Certes, pour reconnaître le Christ dans l’autre, il faut une « pureté angélique » (Mère Teresa de Calcutta) qui est vécue de façon particulière par celles qui vivent la virginité consacrée parce que « la virginité transforme en ange les personnes qui l’embrassent véritablement » (saint Jean Chrysostome). Ceci fait écho au Rituel de consécration des vierges, n° 24 : « et dès maintenant, tu les appelles à se tenir en ta présence comme les anges devant ta face ».
Lecture patristique : Origène (+ 253)
Homélies sur le Cantique, 3, 13 (GCS 8, 221,19 223,5)
Le Christ triomphe du Tentateur
La vie des mortels est pleine de pièges dangereux, pleine de lacets trompeurs, tendus contre le genre humain par celui qui est appelé le chasseur géant : Nemrod, dressé contre le Seigneur. Qui est ce géant, sinon le démon, qui se révolte contre Dieu même ?
Et parce que l’ennemi avait tendu partout ses lacets, et qu’il y avait capturé presque toute l’humanité, il fallait que se dressât quelqu’un de plus fort et de plus digne, qui les déchirerait afin de frayer le chemin à ceux qui marcheraient à sa suite. C’est pourquoi le Sauveur lui-même, avant qu’il se fût uni en mariage avec l’Église, est tenté par le démon, si bien que, triomphant des pièges de la tentation, il découvre son épouse à travers eux, et il l’appelle à lui pour lui enseigner et lui montrer à l’évidence que ce n’est pas à travers l’oisiveté et les plaisirs, mais à travers beaucoup de détresses et de tentations qu’il lui faudra rejoindre le Christ.
Car personne d’autre ne s’est montré capable de vaincre tous ces pièges. En effet, il est écrit : Tous les hommes sont pécheurs (Rm 3,23). Et aussi : Car aucun homme n’est assez juste sur terre pour faire le bien sans pécher (Qo 7,20). Et encore : Nul n’est exempt de souillure, n’aurait-il vécu qu’un seul jour (cf. Ps 50,7 ; Jb 15,14). Donc, notre Seigneur et Sauveur Jésus Christ est le seul qui n’a pas fait de péché ; mais le Père l’a pour nous identifié au péché (2Co 5,21) afin que, dans cette ressemblance de la chair du péché, il condamnât le péché au moyen du péché. Le Sauveur est donc entré dans ces filets, mais il est le seul qui n’ait pu y être capturé. Au contraire, en les ayant rompus et déchirés, il donne à l’Église l’assurance d’oser rompre les filets, de traverser les pièges et de dire avec allégresse : Comme un oiseau, nous avons échappé au filet du chasseur ; le filet s’est rompu : nous avons échappé (Ps 123,7).
Mais qui a rompu les filets, sinon celui-là seul qu’ils n’ont pu retenir ? Pourtant il s’est livré à la mort volontairement, et non pas, comme nous, sous la contrainte du péché. Et parce qu’il fut libre entre les morts (cf. Ps 77,6), après avoir vaincu celui qui détenait l’empire de la mort, il a supprimé la captivité qui contraignait à la mort. Et non seulement il s’est ressuscité lui-même d’entre les morts, mais en même temps il a éveillé ceux qui étaient captifs de la mort et il les a fait asseoir aussitôt dans les cieux. En effet, montant dans les hauteurs, il a emmené captive la captivité (cf. Ep 4,8), non seulement en entraînant les âmes, mais aussi en ressuscitant leurs corps. L’Évangile atteste en effet que les corps de nombreux saints qui étaient morts ressuscitèrent et entrèrent dans la ville sainte (Mt 27,52-53) du Dieu vivant, Jérusalem.
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Le Carême, pour apporter la miséricorde de Dieu dans le désert de l'homme, par Mgr Follo
Commentaire des lectures de dimanche prochain, 14 février 2016