Le card. Francesco Montenegro, Capture L'Amico del Popolo Agrigento

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Le visage de Jésus, visible dans l’histoire, par le card. Montenegro (traduction complète)

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« Le reconnaître dans la personne du pauvre »

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Le visage de Jésus est aujourd’hui « visible dans l’histoire », explique le cardinal Montenegro.
« ‘C’est la miséricorde que je veux et non les sacrifices’ (Mt 9,13). Les œuvres de la miséricorde sur le chemin jubilaire » : c’est le titre du Message de Carême 2016 du pape François, dans le cadre du Jubilé de la miséricorde. Il est en date du 4 octobre, fête de saint François d’Assise.
Le Message, consacré aux œuvres de miséricorde et au Jubilé, a été présenté au Vatican mardi dernier, 26 janvier, par le cardinal Francesco Montenegro, archevêque d’Agrigente (Sicile, Italie) et membre du Conseil pontifical Cor Unum, Mgr Giampietro Dal Toso, secrétaire du même dicastère et Mgr Segundo Tejado Munoz, sous-secrétaire.
A propos des œuvres de miséricorde, le cardinal Montenegro affirme : « Alors que pendant le carême notre regard reste fixé sur Jésus crucifié et que nous revivons dans la liturgie tout ce qu’Il a souffert par amour pour nous, nous ne pouvons certes pas penser que ce Visage, aussi unique qu’il soit, ait cessé de se rendre visible dans l’histoire. »
Le visage du Christ se voit dans le pauvre, précise l’archevêque de Palerme : « La démarche jubilaire n’est pas seulement une histoire de calendrier à suivre mais ce que, ensemble, nous sommes appelés à faire, soutenus par la miséricorde de Dieu, pour le reconnaître dans la personne du pauvre, pour nous mettre à ses côtés dans une attitude d’écoute et de service. »
Il invite à intérioriser et mettre en œuvre les paroles du Magnificat : « Cette période doit être valorisée, doit être un moment pour grandir dans l’écoute de la Parole, un temps d’exercice constant pour ouvrir les yeux et les cœurs aux pauvres. Le chant du Magnificat de la Vierge Mère de miséricorde, inséré dans le texte comme le cadre d’un tableau – au début et à la fin – aide tout un chacun à revoir l’histoire avec les yeux de Dieu qui « renverse les puissants de leurs trônes et élève les humbles. »
Lors de son intervention à l’Assemblée plénière des évêques de France, à Lourdes, le 5 novembre 2015, le cardinal Montenegro avait partagé sa réflexion sur les migrants, à partir de son expérience à Lampedusa.
Voici notre traduction intégrale de l’intervention du cardinal Montenegro.
A.B.
Intervention du card. Francesco Montenegro
Comme chaque année nous nous apprêtons à recevoir le Message que le Saint-Père a préparé pour le temps de Carême, dans l’objectif d’offrir à tous les chrétiens quelques éléments leur permettant de vivre au mieux ce temps fort de préparation avant Pâques.
Le titre du Message reprend une phrase de l’évangéliste Matthieu (9,13). Dans le contexte de la vocation de l’apôtre et face à la critique des pharisiens qui se demandent pourquoi Jésus s’est mis à table avec des publicains et des pécheurs, le Maître répond : « Ce ne sont pas les gens bien portants qui ont besoin du médecin, mais les malades. Allez apprendre ce que signifie : Je veux la miséricorde, non le sacrifice. En effet, je ne suis pas venu appeler des justes, mais des pécheurs. » D’où le titre du Message : « « C’est la miséricorde que je veux, et non les sacrifices ». Les œuvres de miséricorde dans le parcours jubilaire ».
Ainsi formulé, le titre dégage trois considérations que je voudrais brièvement détailler : sur la miséricorde à la lumière de la Parole de Dieu ; sur les œuvres de miséricorde évoquées avec insistance ; sur les liens entre le Carême et la démarche jubilaire.
1. La première est strictement liée à l’année jubilaire et consiste en une brève reprise du thème de la miséricorde dans les Saintes Ecritures. La première partie du Message nous aide à retrouver les significations fondamentales de ce terme que le pape François, dans Misericordiae vultus, appelle « pilier » autour duquel gravitent le mystère de la Trinité et la vie de l’Eglise. Le Carême tendant vers le mystère pascal, on s’arrête au fait que la croix du Christ constitue le sommet de la révélation de l’infinie miséricorde du Père. Jésus est le visage de cette miséricorde et son côté ouvert devient, idéalement, un écrin qui s’ouvre pour que tout le monde puisse y puiser à pleines mains l’amour qui pardonne, régénère et délivre.
Pendant le Carême, l’Eglise a toujours suggéré de plus se nourrir de la Parole de Dieu et le pape dans cette note caractéristique, invite tous les chrétiens à approfondir le thème de la miséricorde en feuilletant les pages de la Bible, particulièrement celles des prophètes où l’on ne se limite pas à réaffirmer que Dieu est miséricordieux mais où il est clairement indiqué que ses enfants doivent l’être en s’exerçant à vivre un amour plus grand, en prenant surtout soin des petits, des pauvres et des plus vulnérables. Il convient ici de réécouter certains passages de la Bulle Misericordiae vultus, où certains chapitres portent justement sur la période de Carême.
Je cite textuellement le n. 17 de la lettre : « Puisse le Carême de cette Année Jubilaire être vécu plus intensément comme un temps fort pour célébrer et expérimenter la miséricorde de Dieu. Combien de pages de l’Ecriture peuvent être méditées pendant les semaines du Carême, pour redécouvrir le visage miséricordieux du Père ! Nous pouvons nous aussi répéter avec Michée : « Toi, Seigneur, tu es un Dieu qui efface l’iniquité et pardonne le péché. De nouveau, tu nous montreras ta miséricorde, tu fouleras aux pieds nos crimes, tu jetteras au fond de la mer tous nos péchés ! (cf. 7, 18-19). »
Ces pages du prophète Isaïe pourront être méditées plus concrètement en ce temps de prière, de jeûne et de charité : « Le jeûne qui me plaît, n’est-ce pas ceci : faire tomber les chaînes injustes, délier les attaches du joug, rendre la liberté aux opprimés, briser tous les jougs ? N’est-ce pas partager ton pain avec celui qui a faim, accueillir chez toi les pauvres sans abri, couvrir celui que tu verras sans vêtement, ne pas te dérober à ton semblable ? Alors ta lumière jaillira comme l’aurore, et tes forces reviendront vite. Devant toi marchera ta justice, et la gloire du Seigneur fermera la marche. Alors, si tu appelles, le Seigneur répondra ; si tu cries, il dira : ‘Me voici.’ Si tu fais disparaître de chez toi le joug, le geste accusateur, la parole malfaisante, si tu donnes à celui qui a faim ce que toi, tu désires, et si tu combles les désirs du malheureux, ta lumière se lèvera dans les ténèbres et ton obscurité sera lumière de midi. Le Seigneur sera toujours ton guide. En plein désert, il comblera tes désirs et te rendra vigueur. Tu seras comme un jardin bien irrigué, comme une source où les eaux ne manquent jamais » (Is 58, 6-11). »
Cette citation nous aide à comprendre que la miséricorde, ou plutôt, l’ « être miséricordieux », ne peut se traduire par de simples gestes rituels mais par des gestes concrets qui viennent du fait que l’on a « touché du doigt » la miséricorde divine. Au numéro 3 du message, le pape écrit : « La miséricorde de Dieu transforme le cœur de l’homme et lui fait expérimenter un amour fidèle qui le rend capable d’être, à son tour, miséricordieux. »
2. Et de là nous passons à la deuxième considération de ce document : les œuvres de miséricorde. On sait bien que ces œuvres, qui font partie du trésor de la tradition chrétienne, sont déjà mises en relief dans Misericordiae vultus et offertes à l’attention des chrétiens pour qu’ils traduisent la miséricorde en gestes concrets. Ce principe est repris et de nouveau souligné. Alors que pendant le Carême notre regard reste fixé sur Jésus crucifié et que nous revivons dans la liturgie tout ce qu’Il a souffert par amour pour nous, nous ne pouvons certes pas penser que ce Visage, aussi unique qu’il soit, ait cessé de se rendre visible dans l’histoire.
Le pape, dans son message, reprend en partie ce qu’il affirme dans Misericordiae vultus : « Dans la personne du pauvre, en effet, la chair du Christ « devient de nouveau visible en tant que corps torturé, blessé, flagellé, affamé, égaré… pour être reconnu par nous, touché et assisté avec soin. » » Les œuvres de miséricorde partent de cet élément fondamental : dans la personne du pauvre il y a la chair du Christ et les pauvres sont les privilégiés de la miséricorde de Dieu. Le chrétien qui a vécu l’expérience de la miséricorde divine et a vécu, grâce à elle, une nouvelle vie, apprend quotidiennement à se pencher sur les blessures du pauvre pour expérimenter lui aussi la miséricorde de Dieu. Le message insiste sur le fait que les œuvres de miséricorde corporelles et spirituelles sont profondément liées. Voici ce qu’écrit le pape : « Si à travers les œuvres corporelles nous touchons la chair du Christ dans nos frères et nos sœurs qui ont besoin d’être nourris, vêtus, hébergés, visités, les œuvres spirituelles, quant à elles, – conseiller, enseigner, pardonner, avertir, prier – touchent plus directement notre condition de pécheurs. C’est pourquoi les œuvres corporelles et les œuvres spirituelles ne doivent jamais être séparées.
« En effet, c’est justement en touchant la chair de Jésus Crucifié dans le plus nécessiteux que le pécheur peut recevoir en don la conscience de ne se savoir lui-même rien d’autre qu’un pauvre mendiant. » Le pape souhaite que durant le Carême tout chrétien sente le besoin de se nourrir intensément de la Parole de Dieu et qu’il ouvre en même temps son cœur à ceux qui souffrent, en s’exerçant à vivre les œuvres de miséricorde. Il me semble que ce point mérite beaucoup d’attention, et là comme pasteur d’une Eglise confrontée à certaines formes de pauvreté et à des difficultés non négligeables comme celles de l’immigration, je voudrais dire quelque chose. On a parfois tendance à croire que la foi peut se vivre en ne participant qu’aux sacrements ou en priant sous tant de formes différentes, excluant de la vie spirituelle les besoins de l’homme mais surtout ceux des plus pauvres. Le résultat c’est que tôt ou tard ce type de foi deviendra stérile, insipide. Par contre, si on s’ouvre à une dimension plus complète qui, si on réfléchit bien, est la dimension évangélique – celle qui exige que l’on écoute et mette en pratique – alors la foi devient une expérience pleine de joie et contagieuse, enrichissante et stimulante.
On l’a vu, par exemple, à Lampedusa, lors du débarquement de milliers de personnes et dans tant d’autres communautés qui se sont ouvertes aux différentes formes de pauvreté sur leur territoire. On l’a vu avec les séminaristes appelés à faire de la pastorale dans des contextes de grande souffrance et pauvreté ou avec tant de jeunes volontaires qui veulent s’impliquer personnellement dans la construction de nouveaux parcours où l’annonce et le témoignage vont de pair. Il est clair que cela n’est pas facile car on a parfois affaire à une mentalité qui s’est consolidée et a du mal à s’ouvrir à ce qui est nouveau ; mais du haut de ma petite expérience je me sens de dire que cette voie est possible et surtout, que c’est ce que nous demande Jésus dans l’évangile, si nous pensons, par exemple, à ce qu’il dit sur le jugement dernier au chapitre 25 de Matthieu. A la fin nous serons jugés sur les œuvres de miséricorde et sur ce que nous avons fait pour les plus démunis. Le temps de Carême peut donc être une occasion importante pour réfléchir à notre façon de vivre notre foi, et l’invitation à vivre les œuvres de miséricorde un moyen – comme dit le pape – « pour réveiller nos consciences souvent endormies par le péché ou l’indifférence ».
3. La dernière considération à faire sur ce message pour le Carême concerne la démarche jubilaire. Le mystère pascal constitue le cœur de l’année liturgique et ce temps de Carême s’inscrit justement dans le cœur du jubilé. Temps fort du jubilé et période de Carême se recoupent, constituant une richesse extraordinaire pour la conversion et pour la croissance spirituelle de tout chrétien et de toute l’Eglise. Dans cette perspective, le message que nous présentons a un substrat stimulant de questions sur le contexte historique et culturel actuel et sur comment le chrétien se situe à l’intérieur de tel contexte. Vers la fin du message le Saint-Père évoque la parabole du riche Epulon et du pauvre Lazare pour attirer l’attention sur certaines fermetures au Christ à cause de la richesse matérielle et des «  idole du savoir, du pouvoir et de l’avoir ». Le danger, à notre époque, c’est qu’à cause de cette fermeture du cœur envers le pauvre et envers toute forme de pauvreté on finisse par sombrer dans un abîme de tristesse et de non-sens. D’où la proposition «  prophétique » de vivre cette démarche jubilaire et ce temps de carême comme un moment pour relire sa vie et entendre le cri du pauvre, le Christ en personne qui frappe à la porte de notre cœur dans l’espoir que nous nous décidions à ouvrir et, en l’accueillant, goûtions à la vraie vie.
Durant ces premiers mois de jubilé, grâce surtout au signe de la « porte », nous avons pu goûter à la beauté de la miséricorde rendue accessible à tous. Pas seulement la porte de la basilique Saint-Pierre ou des grandes basiliques mais les cathédrales des diocèses et, surtout, certains lieux symboles de certaines formes de pauvreté ; je pense à l’auberge de la Caritas ici à Rome et aux cellules des détenus. A travers des choix forts le pape invite toute l’Eglise à marcher avec davantage de sollicitude vers tout homme et vers les souffrants et les pauvres, en particulier. De cette façon, la démarche jubilaire n’est pas seulement une histoire de calendrier à suivre mais ce que, ensemble, nous sommes appelés à faire, soutenus par la miséricorde de Dieu, pour le reconnaître dans la personne du pauvre, pour nous mettre à ses côtés dans une attitude d’écoute et de service.
Les trois considérations – celles sur la miséricorde et ses œuvres et celle sur le chemin à suivre – débouchent sur une invitation finale : « Ne perdons pas ce temps de Carême favorable à la conversion ! » Cette période doit être valorisée, doit être un moment pour grandir dans l’écoute de la Parole, un temps d’exercice constant pour ouvrir les yeux et les cœurs aux pauvres. Le chant du Magnificat de la Vierge Mère de miséricorde, inséré dans le texte comme le cadre d’un tableau – au début et à la fin – aide tout un chacun à revoir l’histoire avec les yeux de Dieu qui « renverse les puissants de leurs trônes et élève les humbles ».
Soyons sûrs que les paroles du Saint-Père contenues dans ce message constitueront un précieux outil tout au long du Carême ; tout en le remerciant de tout ce qu’il a voulu adresser à l’Eglise, qu’il ait l’assurance de nos prières pour lui et la délicate mission qui lui est confiée.
Merci.
© Traduction de Zenit, Océane Le Gall

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Océane Le Gall

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