Mgr Paul Richard Gallagher

WIKIMEDIA COMMONS - Bundesministerium für Europa

La responsabilité de protéger et de respecter le droit international

Appel du Saint-Siège à l’ONU (2/2)

Share this Entry

Le Saint-Siège rappelle la « responsabilité de protéger » et la « responsabilité de respecter le droit international existant », aussi bien dans le domaine des droits des exilés et que de l’environnement.

Mgr Paul Richard Gallagher, secrétaire du Saint-Siège pour les relations avec les États, est en effet intervenu le 2 octobre à l’ONU à New York lors du « Débat général » à l’occasion du 70e anniversaire de l’Assemblée, sur le thème de « La route devant nous pour la paix, la sécurité et les droits humains ».

« La « responsabilité de protéger » et la « responsabilité de respecter le droit international existant » doivent être considérées comme les instruments nécessaires pour s’acquitter de l’obligation immédiate d’accueillir les exilés sans dresser des barrières injustes, pour l’adoption universelle de l’Agenda 2030 ainsi que pour la protection de l’environnement », a déclaré Mgr Gallagher.

Voici notre traduction de la seconde et dernière partie de l’intervention de Mgr Gallagher.

Nous avons publié la première partie hier, mercredi 7 octobre.

A.B.

IV. Axes de réflexion et d’engagement des Nations Unies

Au-delà de l’hospitalité qui est offerte, la situation dramatique actuelle exige d’urgence un engagement à affronter les causes qui forcent les peuples à fuir et à prendre ainsi des décisions réelles, efficaces et généreuses en faveur de la paix et du développement humain intégral. L’engagement solennel à mettre en œuvre l’Agenda 2030 est plus que jamais d’actualité et doit être courageusement poursuivi. En même temps, nous devons reconnaître que, sans la paix entre les peuples et les nations, il sera impossible de mettre en œuvre cet Agenda.

À cette fin, le Saint-Siège aimerait suggérer quatre domaines de réflexion, comme contribution au nécessaire discernement. Ce sont la « responsabilité de protéger », le respect du droit international, le désarmement et la protection de l’environnement.

IV.1 – La responsabilité de protéger

La « responsabilité de protéger » et la « responsabilité de respecter le droit international existant » doivent être considérées comme les instruments nécessaires pour s’acquitter de l’obligation immédiate d’accueillir les exilés sans dresser des barrières injustes, pour l’adoption universelle de l’Agenda 2030 ainsi que pour la protection de l’environnement.

Le principe d’une « responsabilité de protéger » tous les peuples des atrocités massives, des cas de génocide, des crimes de guerre, du nettoyage ethnique et des crimes contre l’humanité est reconnu aujourd’hui et accepté par tous. Cette « responsabilité », comme on l’a fait observer, oblige en premier les gouvernements nationaux, et ensuite la communauté internationale ou les groupements régionaux d’États, mais toujours conformément au droit international. Il n’est cependant pas toujours facile de s’acquitter de cette tâche dans la pratique, notamment parce que l’observation de ce principe entre souvent en conflit avec une interprétation littérale stricte du principe de non-intervention, tel qu’il est indiqué au paragraphe 7 de l’article 2 de la Charte des Nations Unies ; il y a aussi le soupçon, historiquement fondé, que, sous couvert d’intervention humanitaire, le principe de la souveraine égalité des membres de l’Organisation des Nations Unies, établi au paragraphe 2 du même article de la Charte, soit annulé.

Néanmoins, en raison des coûts humains inacceptables de l’inaction, la recherche de moyens juridiques efficaces en vue d’une application de ce principe doit être au cœur des priorités les plus urgentes des Nations Unies. À cette fin, il serait extrêmement utile que les États présents à cette Assemblée générale, au Conseil de sécurité et dans les autres organes des Nations Unies, puissent discerner des critères clairs et efficaces pour l’application de ce principe, et pour l’intégration corrélative du chapitre 7de la Charte des Nations Unies. En outre, à partir de l’expérience importante des Nations Unies et des différentes Agences qui en dépendent, en matière de maintien de la paix, de construction de la paix et d’autres interventions humanitaires, il faudrait trouver des moyens rapides et efficaces pour la mise en œuvre des décisions éventuelles relatives à la « responsabilité de protéger ».

Les grands buts et principes du préambule et de l’article 2 de la Charte des Nations Unies sont un guide sûr pour l’interprétation et l’application de toutes les provisions successives de la Charte. Par conséquent, le devoir solennel de « préserver les générations futures du fléau de la guerre… [et de] proclamer à nouveau notre foi dans les droits fondamentaux de l’homme, dans la dignité et la valeur de la personne humaine » (Charte des Nations Unies, Préambule), « en développant et en encourageant le respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales pour tous » (ibid., Article 1, par. 3), ne justifie pas seulement la mise en œuvre de la « responsabilité de protéger » mais oblige aussi la communauté internationale à trouver les moyens pour le faire. Sinon, le grand édifice de la Charte des Nations Unies serait réduit à n’être qu’un simple instrument pour maintenir un équilibre mondial et résoudre les controverses. Cela trahirait non seulement ceux qui ont rédigé la Charte, mais aussi les millions de victimes dont le sang a été versé au cours des grandes guerres du siècle dernier.

IV.2 – La responsabilité de respecter le droit international existant

Le deuxième élément, que les conflits d’aujourd’hui – et les crises humanitaires dont ils sont la cause – nous forcent à considérer, est ce que nous pouvons appeler « la responsabilité de respecter le droit existant », en réponse aux crises mondiales ou régionales. Cela requiert, tout d’abord, l’application véritable et transparente de l’article 2 de la Charte des Nations Unies. Le principe de non-intervention entériné dans le paragraphe 7 de cet article, ainsi que dans les paragraphes 3 et 4, exclut tout usage unilatéral de la force contre un autre membre des Nations Unies et requiert le plein respect pour les gouvernements qui sont légalement constitués et reconnus.

Toutefois, l’article 2 ne peut pas devenir un alibi pour excuser les violations flagrantes des droits humains. Les soixante-dix ans d’expérience des Nations Unies ont amplement démontré que de graves violations de la dignité humaine par des gouvernements peuvent être réparées et résolues de manière pacifique par le biais de la dénonciation et de la persuasion de la part de la société civile et des gouvernements eux-mêmes. Lorsque des violations flagrantes des droits humains persistent, et qu’une nouvelle intervention est considérée comme nécessaire, il n’existe pas d’autre recours que d’appliquer les mesures énoncées dans les chapitres 6 et 7 de la Charte des Nations Unies.

En outre, l’adhésion à la Charte des Nations Unies, ainsi qu’au principe cardinal du droit international – pacta sunt servanda(les conventions doivent être respectées, ndlr) – qui n’est pas une tautologie mais l’affirmation même de la primauté du droit, a définitivement banni des concepts tels que « guerre préventive » et même plus, des tentatives de redessiner des zones géographiques entières en redistribuant les peuples sous le prétexte du principe de sécurité. En même temps, la compréhension la plus évidente et raisonnable du paragraphe 4 de l’article 2 de la Charte exclut toute intervention d’un État tiers en faveur de
l’un ou l’autre côté dans une situation de conflit civil.

Un sérieux examen de conscience est nécessaire pour assumer la responsabilité du rôle que certaines interventions unilatérales ont joué dans la crise humanitaire qui cause aujourd’hui tant de mal dans notre monde. Comme l’a récemment déclaré le pape François « il ne manque pas de preuves concrètes des conséquences négatives des interventions politiques et militaires qui n’ont pas été coordonnées entre les membres de la communauté internationale » (Discours à l’ONU, 25 septembre 2015). La crise actuelle nous appelle donc à redoubler d’efforts pour appliquer la loi en vigueur et à élaborer de nouvelles normes visant également à lutter contre le phénomène du terrorisme international dans le plein respect de la loi.

IV.3 – Le désarmement

Une action multilatérale pour la paix et la sécurité collective peut être efficacement menée avec l’aide d’un autre instrument reconnu par la Charte des Nations Unies, et souvent pris en considération dans cette Assemblée : le désarmement. Ici encore, nous nous trouvons dans une zone de lumière et d’ombres, celles-ci prévalant malheureusement sur celle-là. Il y a l’exemple éloquent de l’échec de la Conférence des parties chargée d’examiner le traité sur la non-prolifération des armes nucléaires, en mai dernier. Compte tenu de cette impasse, il est d’autant plus important que la communauté internationale et les États individuels les plus impliqués signalent clairement leur réelle volonté de poursuivre l’objectif commun d’un monde exempt d’armes nucléaires, « en appliquant pleinement l’esprit et la lettre du Traité de non-prolifération, en vue d’une prohibition totale de ces instruments » (ibid.). Comme le pape François l’a fait observer dans différents forums, la dissuasion nucléaire et la menace d’une destruction mutuelle assurée sont inconciliables avec – et contraires à – une éthique de la fraternité et de la coexistence pacifique entre les peuples et entre les États. La course aux armements nucléaires et la course aux armements en général, avec leur coût en ressources humaines et économiques, sont fondées, en dernière analyse, sur le déni de la dignité humaine des ennemis potentiels, et même jusqu’à la négation de sa propre dignité et survie. En conséquence, le processus qui vise une compréhension plus profonde de la gravité des effets humanitaires causés par l’utilisation d’armes de destruction massive, et en particulier d’armes nucléaires, ne doit pas seulement être encouragé mais aussi considéré comme nécessaire.

En ce qui concerne la dimension humanitaire, la Convention sur l’interdiction des mines antipersonnel et celle sur les bombes à sous-munitions doivent aussi être mentionnées. Ce sont deux instruments du désarmement et de l’adaptation du droit humanitaire aux complexités du monde d’aujourd’hui. Ils visent à stigmatiser et à interdire ces terribles engins qui ont un effet aussi dévastateur et sans discernement sur les populations civiles. Le Saint-Siège se joint à tous ceux qui travaillent à une mise en œuvre efficace de ces instruments, en exprimant l’espoir qu’ils seront bientôt signés par les États qui ne l’ont pas encore fait.

L’adoption pleine et effective des principes de la Charte des Nations Unies invite à remplacer une mentalité de rejet des autres, de méfiance et de peur par une éthique de la responsabilité. Cela exige aussi une réflexion sur la signification du concept de sécurité collective, qui n’a pas seulement à voir avec la guerre et les actions militaires, mais aussi avec des dimensions économiques, financières, éthiques, sociales et humanitaires plus larges.

IV.4 – Le changement climatique

Pour l’avenir, nous voyons une autre grave responsabilité, à la fois pour la mise en œuvre effective de l’Agenda 2030 et pour la paix elle-même. C’est l’accord espéré sur le changement climatique qui doit être adopté lors de la Conférence de Paris en décembre 2015. Le climat est un bien commun mondial, une responsabilité de chacun d’entre nous, par-dessus tout vis-à-vis des groupes les plus vulnérables des générations présentes et futures. C’est une responsabilité qui est nécessairement transversale ; elle requiert une coopération multilatérale et interdisciplinaire effective de la part de chacun, en fonction de ses capacités et de ses caractéristiques, mais tous unis face au défi : « Quel genre de monde voulons-nous laisser à ceux qui viennent après nous, aux enfants qui grandissent actuellement » (Pape François, Laudato si’, 160).

La Conférence de Paris représente une phase importante du processus de rétablissement de l’équilibre entre les émissions de gaz à effet de serre mondiales et la capacité de la terre à les absorber. À cette fin, il devient urgent d’adopter un accord mondial équitable, transformationnel et juridiquement contraignant. Cela enverrait un signal éloquent à l’ensemble de la communauté internationale en encourageant une transition rapide vers un développement marqué par un faible bilan carbone et en donnant une puissante impulsion au renforcement du lien intrinsèque entre les deux objectifs : éradiquer la pauvreté et atténuer les effets du changement climatique. Ce lien montre que la menace du changement climatique et les réponses que nous y apportons peuvent devenir une occasion à saisir pour améliorer la santé, le transport, la sécurité énergétique et pour de nouvelles possibilités d’emploi.

Un accord effectif sur ces questions, outre la valeur importante qu’elles revêtent en elles-mêmes, ne peut que contribuer aux accords généraux entre les États en matière de développement humain intégral, de responsabilité de protéger, de paix, de désarmement et de respect du droit international.

V. Conclusion

Monsieur le Président,

Reconnaître les limites de la Charte des Nations Unies, à propos des nouvelles situations de crise ou, malheureusement, devant son échec évident à observer ses prescriptions ne signifie pas déclarer l’échec de l’Organisation elle-même, ni s’en affliger. Ces limites sont plutôt les ombres inévitables du grand cadre du premier projet mondial pour la paix et la coopération internationale qui perdure avec bonheur depuis soixante-dix ans. Elles sont une incitation au plein respect de la législation en vigueur et un encouragement à davantage de confiance et de coopération. Le Saint-Siège exprime ainsi l’espoir que ce soixante-dixième anniversaire, marqué par l’adoption solennelle de l’Agenda 2030, puisse être le début d’une coopération harmonieuse et toujours plus complète pour le bénéfice de toute l’humanité.

Le pape Benoît XVI, en 2008, et le pape Paul VI, lors de sa visite il y a cinquante ans pour le vingtième anniversaire de l’Organisation, ont tous deux souligné que les Nations Unies sont appelées à « être toujours davantage un signe d’unité entre les États et un instrument au service de toute la famille humaine » (Benoît XVI, 18 avril 2008); en conséquence, l’Organisation représente « le chemin obligé de la civilisation moderne et de la paix mondiale » (Paul VI, 4 octobre 1965). Les Nations Unies doivent donc devenir un lieu où une véritable famille de nations et de peuples peuvent se rencontrer et prospérer, un lieu où toutes les formes de guerre et d’intervention unilatérale seront à jamais interdites, non seulement en paroles, mais surtout dans l’esprit et les intentions de toute autorité gouvernementale.

Monsieur le Président, je vous remercie.

© Traduction de Zenit, Constance Roques (suite et fin)

Share this Entry

ZENIT Staff

FAIRE UN DON

Si cet article vous a plu, vous pouvez soutenir ZENIT grâce à un don ponctuel