XVIIe Dimanche du Temps Ordinaire – Année B – 26 Juillet 2015
Lectures (rite romain) : 2 R 4, 42-44 ; Ps 144 ; Ep 4, 1-6 ; Jn 6, 1-15
1) Pain à partager.
Ce dimanche, la liturgie interrompt la lecture continue de l’Evangile de Saint Marc et pendant cinq dimanches consécutifs (à partir d’aujourd’hui, 17e dimanche du Temps Ordinaire, jusqu’au 21e dimanche) elle nous propose le chapitre 6 de Saint Jean. La raison d’une telle insertion découle de la volonté d’approfondir le thème du « pain ». Ce chapitre 6 de Saint Jean débute avec la narration de la multiplication des pains, et nous offre un très bel exemple de la compassion que Jésus avait pour ceux qui le suivaient et qui avaient « oublié » de manger tant l’envie de voir Ses miracles et de se nourrir de Sa parole était forte.
Pour bien comprendre le passage de l’Evangile d’aujourd’hui, reconstruisons, cette fois-ci encore, le contexte : Jésus est suivi d’une « grande foule, voyant les signes qu’il faisait sur les infirmes ». Les personnes sont attirées par la puissance miséricordieuse de Jésus qui se préoccupe des malades et les guérit. Cependant, Jésus n’est pas seulement un guérisseur ; Il est le Maître : pour cela il monte sur le Mont, comme Moïse était monté sur le Sinaï afin de recevoir la loi du Seigneur pour Israël. Toutefois, Jésus ne va pas sur le mont pour recevoir la parole de Dieu, mais pour la donner. C’est pour cela qu’il s’assoit (dans le texte original en grec : il se met en chaire), non pas à cause de la fatigue mais parce que c’est le comportement du Maître, qui, lorsqu’il enseigne, monte en chaire. Jésus avait déjà agi ainsi lorsqu’il avait proclamé la « nouvelle loi » des béatitudes : « Jésus gravit la montagne. Il s’assit, et ses disciples s’approchèrent de lui. Alors, ouvrant la bouche, il les enseignait. » (Mt 5,1). Toujours en ce qui concerne le passage de l’Evangile d’aujourd’hui, il est utile de mettre en évidence la connotation du temps : « La Pâque était proche » (Jn 6,4). Nous sommes donc au printemps. Cette information temporelle nous replonge en arrière, lors de la grande histoire de l’exode qui commence pendant la première pleine lune du printemps, il y a des milliers d’années, et aux nombreux signes que Dieu avait envoyé à Moïse pour la libération des Hébreux, puis pendant leur marche vers la Terre Promise. Mais la référence à la Pâque nous invite à regarder également en avant et anticipe symboliquement le don que Jésus fera de son corps et de son sang pendant la dernière Cène.
Ce don du Pain de Vie est à partager comme fut partagé le pain multiplié par Jésus pour nourrir ceux qui l’avaient suivi.
Le pain partagé enseigne l’attention envers l’autre et l’humilité de n’exclure personne, et de se fier à un Dieu qui se fie à nous et qui nous donne la capacité de distribuer le pain à une foule nombreuse.
Outre prendre le pain qui nous est donné et qui est partagé à travers une vie de charité, je propose d’adresser à Dieu cette prière : « Si je désire soigner mes plaies, tu es le médecin. Si je brûle de fièvre, tu es la source restauratrice. Si j’ai besoin d’aide, tu es la force. Si je suis opprimé par mon péché, tu es le pardon. Si je crains la mort, tu es la vie éternelle. Si je désire le ciel, tu es la vie. Si je fuis les ténèbres, tu es la lumière. Si je cherche la nourriture, tu es l’aliment (Saint Ambroise de Milan). Donc, prions Dieu, « Notre Père » pour qu’ « il nous donne le pain quotidien » de notre corps et de notre esprit.
Si donner à manger à des milliers de personnes avec un peu de pain est un miracle, donner le pain de la vérité, de la joie, est un miracle encore plus grand. Il s’agit du Pain Vrai, du Pain de la Vérité à partager avec les affamés de justice.
Le pain multiplié dans la dernière Cène deviendra Pain de Vie. Le grand miracle n’est pas celui de nourrir une foule, mais celui de montrer la gloire de Dieu révélée en Jésus, Parole faite Chair, Verbe fait nourriture eucharistique pour les Chrétiens. En effet, le passage de l’Evangile d’aujourd’hui raconte que Jésus prit les pains, rendit grâce et les distribua : trois verbes dont nous nous souvenons à chaque messe.
Pendant que les disciples le distribuaient, le pain ne manquait pas, et pendant qu’il passait d’une main à l’autre, ce pain partagé restait dans chaque main.
2) Pain de miséricorde.
Ce jour-là, Jésus ressenti de la compassion parce qu’il est fait du même amour que le Père et manifeste la miséricorde de Dieu en parlant à la foule et en assouvissant leur faim.
Aujourd’hui, en nous aimant hors de toute mesure, le Christ multiplie le Pain de Vie pour nous. Lors du sacrement de l’Eucharistie, Jésus devient nourriture de vraie vie, heureuse pour la miséricorde reçue.
En ce dimanche, le signe de la miséricorde, de la compassion de Jésus Christ est la narration des pains multipliés et partagés qui nous aide à comprendre que le Christ se donne à nous et donne sa vie en s’offrant à nous sous la forme du pain eucharistique. Lui qui remercia le Père, bénit et divisa le pain matériel qui lui avait été donné par un enfant, se laisse diviser pour nous comme pain spirituel. En mangeant ce pain, corps eucharistique du Christ, qui est la « miséricorde de Dieu incarnée » (Pape François), nous aussi nous devenons miséricorde.
La Cène eucharistique n’est donc pas une action à regarder, c’est un geste à vivre. Faire la communion n’est pas seulement recevoir et se laisser sanctifier par la présence du Christ, c’est ouvrir notre cœur pour porter à l’autel le « oui » de notre amour à Dieu ; c’est ouvrir nos mains aux frères et sœurs qui ont faim et que nous devons secourir avec des œuvres miséricordieuses et spirituelles. Mais n’oublions pas que la première et plus grande miséricorde est d’enseigner la vérité et de donner des choses vraies, parce que « le bien est la vérité et la proposition de la vérité naît de l’amour » (Card. Giacomo Biffi).
Un exemple significatif de la façon de vivre la miséricorde est celui offert par les vierges consacrées qui sont « les fleurs de l’arbre qu’est l’église » (Saint Ambroise de Milan).
En effet, les vierges consacrées dans le monde sont appelées à être l’annonce et la réalisation de cette miséricorde, à en être l’image et savoir l’offrir, avec une vie faite de patience vigilante dans la prière, d’attention, de discrétion et de réserve. En cela, la vocation virginale est en relation profonde avec le mystère de l’Eucharistie. « En effet dans l’Eucharistie, la virginité consacrée trouve inspiration et nourriture pour son don total au Christ. Elle tire aussi de l’Eucharistie réconfort et impulsion pour être, en notre temps également, signe de l’amour gratuit et fécond que Dieu a pour l’humanité. Enfin, à travers son témoignage spécifique, la vie consacrée devient objectivement rappel et anticipation des « noces de l’Agneau » (Ap 19, 7-9), qui sont le but de toute l’histoire du salut. En ce sens, elle renvoie de manière efficace à l’horizon eschatologique dont tout homme a besoin pour pouvoir orienter les choix et les décisions de sa vie » (Sacramentum caritatis, n. 81).
En imitant la toujours Vierge Marie, ces femmes vierges témoignent de la vérité du Magnificat : « Le Tout-puissant a fait de grandes choses en moi, et Saint est son nom : de génération en génération, sa miséricorde s’étend sur ceux qui le craignent », que l’on peut paraphraser ainsi : « Celui qui m’a fait devenir grand est celui qui est puissant, et son nom est saint, car la Puissance Divine œuvra le miracle de la virginité et son Infinie sainteté la remplit de grâces ». Et la chorale virginale répond en magnifiant la miséricorde de Dieu qui
, par Marie, Vierge et Mère, passa de génération en génération, en faisant éclore de la boue du monde les fleurs de la sainte virginité qui parfument la terre et le ciel. La virginité signifie suivre Jésus. Ce n’est donc pas renoncer à aimer, mais se laisser posséder complètement par l’Amour, comme nous l’enseigne Saint Ambroise de Milan : « Vierge consacrée, cherche le Christ dans ta lumière, dans tes bonnes pensées, dans tes bonnes actions, dans tes nuits, cherche-le dans ta chambre, parce que même dans la nuit il vient et frappe à ta porte. Il veut te trouver vigilante à chaque moment, il veut trouver la porte de ton âme ouverte. Ta bouche chante les louanges et la profession de foi dans la croix, pendant que dans ta chambre tu répètes le Credo et tu chantes les psaumes. Quand il viendra, qu’il te trouve éveillée et prête. Que ton corps dorme mais que ta foi soit vigilante. Que tes membres soient parfumés de la croix du Christ et de la fragrance de sa sépulture. (La Virginité, 46-47).
Lecture patristique
Saint Ephrem (v. 306-373), Diatessaron, 12, 1-4
L’Eucharistie, un don grand et gratuit
Au désert, notre Seigneur a multiplié le pain (Mt 14, 13-21 ; Mt 15, 32-38 ; Jn 6, 1-13), et à Cana il a changé l’eau en vin (Jn 2, 1-11). Il a habitué ainsi la bouche de ses disciples à son pain et à son vin, jusqu’au moment où il leur donnerait son corps et son sang. Il leur a fait goûter un pain et un vin de transition pour susciter en eux le désir de son corps et de son sang vivifiants. Il leur a donné ces petites choses généreusement, pour qu’ils sachent que son don suprême serait gratuit. Il les leur a données gratuitement, bien qu’ils auraient pu les lui acheter, afin qu’ils sachent qu’on ne leur demanderait pas de payer une chose inestimable : en effet, s’ils pouvaient payer le prix du pain et du vin, ils n’auraient certainement pas pu payer son corps et son sang.
Non seulement il nous a comblés gratuitement de ses dons, mais encore il nous a traités avec affection. Car il nous a donné ces petites choses gratuitement pour nous attirer, afin que nous venions à lui et recevions gratuitement ce bien si grand qu’est l’Eucharistie. Ces petites portions de pain et de vin qu’il a données étaient douces en bouche, mais le don de son corps et de son sang est utile à l’esprit. Il nous a attirés par ces aliments agréables au palais afin de nous entraîner vers ce qui donne la vie à nos âmes. Il a caché la douceur du vin qu’il avait fait, afin de montrer aux convives quel trésor magnifique est caché dans son sang vivificateur.
Comme premier signe, il fit un vin réjouissant pour les convives afin de montrer que son sang réjouirait toutes les nations. Le vin intervient dans toutes les joies imaginables, et de même toutes les délivrances se rattachent au mystère de son sang. Il donna aux convives un vin excellent qui transforma leur esprit, pour leur faire savoir que la doctrine dont il les abreuverait transformerait leur cœur. Ce qui n’était d’abord que de l’eau fut changé en vin dans les amphores ; c’était le symbole du premier commandement amené à la perfection ; l’eau transformée, c’était la loi perfectionnée. Les convives buvaient ce qui avait été de l’eau, mais sans goûter l’eau. De même, lorsque nous entendons les anciens commandements, nous les goûtons dans leur saveur nouvelle. Au précepte : «Gifle pour gifle» (cf. Ex 21,24 Lv 24,20 Dt 19,21), a été substituée la perfection : «À celui qui te frappe, présente l’autre joue» (Mt 5,39).
L’œuvre du Seigneur atteint tout ; en un clin d’œil, il a multiplié un peu de pain. Ce que les hommes font et transforment en dix mois de travail, ses dix doigts l’ont fait en un instant. Ses mains furent comme une terre sous le pain ; et sa parole comme le tonnerre au-dessus de lui ; le murmure de ses lèvres se répandit sur lui comme une rosée et le souffle de sa bouche fut comme le soleil; en un très court instant il a mené à bout ce qui demande normalement toute une longue heure. De la petite quantité de pain est née une multitude de pains ; comme lors de la première bénédiction : «Soyez féconds, et multipliez-vous» (Gn 1,28). Les morceaux ont fructifié par sa bénédiction, à la manière de femmes auparavant stériles et privées d’enfants, et des fragments multiples en sont provenus.
Le Seigneur a démontré la vigueur pénétrante de sa parole à ceux qui l’exécutaient, et la rapidité avec laquelle il octroyait ses dons à ceux qui en bénéficiaient. Il n’a pas multiplié le pain autant qu’il l’aurait pu, mais jusqu’à la mesure suffisante pour les convives. Ce n’est pas sa puissance qui a mesuré son miracle, mais la faim des affamés. Si, en effet, le miracle avait été mesuré à la puissance, il serait impossible d’évaluer la victoire de celle-ci. Mesuré à la faim de milliers de gens, le miracle a dépassé les douze corbeilles (Mt 14,20). Chez tous les artisans, la puissance est inférieure au désir des clients ; ils ne peuvent pas faire tout ce que demandent leurs clients. Les réalisations de Dieu, au contraire, surpassent les désirs. Et il est dit : «Rassemblez les morceaux, de manière qu’absolument rien ne périsse» (Jn 6,12) pour qu’on ne pense pas que le Seigneur n’a agi qu’en imagination. Mais, lorsque les restes auront été conservés un jour ou deux, ils croiront que le Seigneur a agi en vérité, et que ce ne fut pas une vision inconsistante.