Evangélisation et unité : le pape François a indiqué ces deux tâches aux baptisés, mais il avertit: la foi est « toujours révolutionnaire ».
C’est ce que le pape a souligné dans son homélie, au Parc du Bicentenaire de Quito (Equateur), ce mardi 7 juillet, en présence d’un million et demi de personnes.
L’évangélisation est une tâche à laquelle le baptisé ne peut se dérober, quelles que soient les circonstances extérieures, fait observer le pape : « C’est à ce monde rebelle que Jésus nous envoie, et notre réponse n’est pas de faire les distraits, d’arguer que nous n’avons pas les moyens ou que la réalité nous dépasse. Notre réponse répète le cri de Jésus et accepte la grâce ainsi que la tâche de l’unité. »
Le pape insiste sur le lien entre évangélisation et unité : « Le désir d’unité suppose la joie douce et réconfortante d’évangéliser, la conviction d’avoir un bien immense à communiquer et qu’en le communiquant, il s’enracine ; et quiconque a vécu cette expérience acquiert plus de sensibilité pour les besoins des autres. »
Pour cela, il plaide pour « l’inclusion à tous les niveaux »: « Mettre l’Eglise en état de mission nous demande de recréer la communion », déclare le pape. Il précise ce qu’il entend par communion : « Soyez des témoins d’une communion fraternelle qui devient resplendissante ! Qu’il serait beau que tous puissent admirer comment nous prenons soin les uns des autres. »
Le pape a appelé au don de soi, typique de la « révolution » chrétienne : « En se donnant, l’homme se retrouve lui-même avec sa véritable identité de fils de Dieu, semblable au Père et, comme lui, donneur de vie, frère de Jésus, auquel il rend témoignage. C’est cela évangéliser, c’est cela notre révolution – parce que notre foi est toujours révolutionnaire -, c’est cela notre cri le plus profond et le plus constant. »
Voici le texte intégral de son homélie.
A.B.
Homélie du pape François
La parole de Dieu nous invite à vivre l’unité pour que le monde croie.
J’imagine ce susurrement de Jésus lors de la dernière Cène comme un cri en cette messe que nous célébrons au “Parc du Bicentenaire”. Imaginons-le ensemble. Le bicentenaire de ce Cri de l’Indépendance de l’Amérique hispanique. C’était un cri, né de la conscience de manque de libertés, la conscience d’être objet d’oppression et de pillages, « sujets aux convenances contingentes des puissants du moment » (Evangelii gaudium, n. 213).
Je voudrais qu’aujourd’hui les deux cris coïncident sous le beau défi de l’évangélisation. Non pas par des paroles pompeuses, ni par des termes compliqués, mais qu’il jaillisse, ce cri, de la « joie de l’Evangile » qui « remplit le cœur et toute la vie de ceux qui rencontrent Jésus. Ceux qui se laissent sauver par lui sont libérés du péché, de la tristesse, du vide intérieur, de l’isolement » (Evangelii gaudium, n. 1), de la conscience isolée. Nous autres, ici réunis, tous ensemble autour de la table avec Jésus, nous sommes un cri, une clameur née de la conviction que sa présence nous incite à l’unité, « indique un bel horizon, qui offre un banquet désirable » (Evangelii gaudium, n.14).
“Père, qu’ils soient un pour que le monde croie”, c’est ainsi qu’il l’a souhaité en regardant le ciel. Cette demande jaillit chez Jésus dans un contexte d’envoi : comme tu m’as envoyé dans monde, moi aussi, je les envoie dans le monde. En ce moment, le Seigneur est en train de faire l’expérience dans sa propre chair de ce qui est pire dans ce monde qu’il aime, même ainsi, à la folie : intrigues, méfiances, trahison, mais il ne cache pas la tête, il ne se lamente pas. Nous aussi nous constatons chaque jour que nous vivons dans un monde lacéré par les guerres et la violence. Ce serait superficiel de penser que la division et la haine affectent seulement les tensions entre les pays ou les groupes sociaux. En réalité, elles sont la manifestation de cet “individualisme diffus” qui nous sépare et nous oppose (cf. Evangelii gaudium, n. 99), de la blessure du péché dans le cœur des personnes, dont la société et la création entière souffrent les conséquences. Précisément, c’est à ce monde rebelle, avec ses égoïsmes, que Jésus nous envoie, et notre réponse n’est pas de faire les distraits, d’arguer que nous n’avons pas les moyens ou que la réalité nous dépasse. Notre réponse répète le cri de Jésus et accepte la grâce ainsi que la tâche de l’unité.
A ce cri de liberté lancé il y a un peu plus de 200 ans, il n’a manqué ni conviction ni force, mais l’histoire nous relate qu’il a été indiscutable seulement quand il a laissé de côté les individualismes, la volonté de leadership uniques, le manque de compréhension d’autres processus de libération ayant des caractéristiques différentes mais pas pour autant antagoniques.
Et l’évangélisation peut être le véhicule d’unité des aspirations, des sensibilités, des espoirs et même de certaines utopies. Bien sûr que oui ; nous le croyons et le crions. Je l’ai déjà dit : « Tandis que dans le monde, spécialement dans certains pays, réapparaissent diverses formes de guerre et de conflits, nous, les chrétiens, nous insistons sur la proposition de reconnaître l’autre, de soigner les blessures, de construire des ponts, de resserrer les relations et de nous aider ‘‘à porter les fardeaux les uns des autres’’ » (Evangelii gaudium, n. 67). Le désir d’unité suppose la joie douce et réconfortante d’évangéliser, la conviction d’avoir un bien immense à communiquer et qu’en le communiquant, il s’enracine ; et quiconque a vécu cette expérience acquiert plus de sensibilité pour les besoins des autres (cf. Evangelii gaudium, n. 9). D’où la nécessité de lutter pour l’inclusion à tous les niveaux, en évitant des égoïsmes, en promouvant la communication et le dialogue, en encourageant la collaboration. Il faut ouvrir le cœur au compagnon de route sans craintes, sans méfiances. « Se confier à l’autre est quelque chose d’artisanal ; la paix est artisanale » (Evangelii gaudium, n. 244) ; il est impensable que brille l’unité si la mondanité spirituelle fait que nous sommes en guerre entre nous, dans une recherche stérile de pouvoir, de prestige, de plaisir ou de sécurité économique. Et ceci au détriment des plus pauvres, des plus exclus, des plus sans défense, de ceux qui perdent leur dignité bien qu’elle soit frappée tous les jours.
Cette unité est déjà une action missionnaire “pour que le monde croie”. L’évangélisation ne consiste pas à se livrer au prosélytisme, – le prosélytisme est une caricature de l’évangélisation – mais à attirer à travers notre témoignage ceux qui sont éloignés, à s’approcher humblement de ceux qui se sentent loin de Dieu et de l’Eglise, se rapprocher de ceux qui se sentent jugés et condamnés a priori par ceux qui se sentent parfaits et purs, nous rapprocher de ceux qui sont craintifs ou de ceux qui sont indifférents pour leur dire : « Le Seigneur t’appelle toi aussi à faire partie de son peuple et il le fait avec grand respect et amour » (Evangelii gaudium, n.113). Parce que notre Dieu nous respecte jusqu’à nos bassesses et à notre péché. Cet appel du Seigneur, avec quelle humilité et quel respect le décrit le texte de l’Apocalypse : « Je suis à la porte et je frappe » ! Si tu veux ouvrir, il ne force pas, il ne fait pas sauter la serrure, il sonne simplement, il frappe suavement et il attend. Voilà notre Dieu.
L
a mission de l’Eglise, comme sacrement de salut, correspond à son identité comme Peuple en chemin, ayant pour vocation d’incorporer dans sa marche toutes les nations de la terre. Plus intense est la communion entre nous, plus s’en trouve favorisée la mission (cf. Jean-Paul II, Pastores gregis, n. 22). Mettre l’Eglise en état de mission nous demande de recréer la communion, car il ne s’agit pas d’une action uniquement vers l’extérieur … nous réalisons la mission aussi à l’intérieur et nous sommes en mission vers l’extérieur « comme une mère qui va à la rencontre, une maison accueillante, une école permanente de communion missionnaire » (Document d’Aparecida, n. 370).
Ce rêve de Jésus est possible parce qu’il nous a consacrés, pour “eux je me sanctifie moi- même, afin qu’ils soient, eux aussi, sanctifiés dans la vérité” (Jn 17, 19). La vie spirituelle de l’évangélisateur naît de cette vérité si profonde, qui ne se confond pas avec quelques moments religieux qui apportent un certain soulagement ; Jésus nous consacre pour susciter une rencontre personnelle avec lui, qui alimente la rencontre avec les autres, l’engagement dans le monde, la passion évangélisatrice (cf. Evangelii Gaudium, n. 78).
L’intimité de Dieu, incompréhensible pour nous, se révèle à nous à travers des images qui nous parlent de communion, de communication, de don, d’amour. Voilà pourquoi l’union que Jésus demande n’est pas une uniformité mais l’« harmonie multiforme qui attire » (Evangelii gaudium, n. 117). L’immense richesse de ce qui est varié, de ce qui est multiple, atteignant l’unité chaque fois que nous faisons mémoire de ce Jeudi saint, nous éloigne de la tentation de propositions unicistes plus proches des dictatures, des idéologies ou des sectarismes. La proposition de Jésus est concrète, elle est concrète, ce n’est pas une idée. Allez et faites de même, dit-il à celui qui lui a demandé : « qui est mon prochain ? », après le récit de la parabole du Bon Samaritain. Allez et faites de même. La proposition de Jésus n’est pas non plus un arrangement fait à notre mesure, dans lequel nous posons les conditions, choisissons les composantes et excluons les autres. Cette religiosité d’élite. Jésus prie pour que nous fassions partie d’une grande famille, dans laquelle Dieu est notre Père et tous nous sommes frères. Personne n’est exclu. Cela ne se fonde pas sur le fait d’avoir les mêmes goûts, les mêmes inquiétudes, les mêmes talents. Nous sommes frères parce que, par amour, Dieu nous a créés et nous a destinés, de sa propre initiative, à être ses enfants (cf. Ep 1, 5). Nous sommes frères parce que « Dieu a envoyé l’Esprit de son Fils dans nos cœurs, et cet Esprit crie ‘‘Abba’’, c’est-à- dire : Père ! » (Ga 4, 6). Nous sommes frères parce que, justifiés par le sang de Christ Jésus (cf. Rm 5, 9), nous sommes passés de la mort à la vie, devenus “cohéritiers” de la promesse (cf. Ga 3, 26- 29; Rm 8, 17). C’est le salut que Dieu réalise et que l’Eglise annonce avec joie : faire partie du “nous” divin.
Notre cri, en ce lieu qui rappelle ce premier cri de la liberté, actualise celui de saint Paul : « Malheur à moi si je n’annonçais pas l’Evangile !» (1 Co 9, 16). Ce cri est si urgent et pressant comme celui de ceux qui désirent l’indépendance. Il a une fascination semblable, le même feu qui attire. Mes frères, ayez les sentiments de Jésus ! Soyez des témoins d’une communion fraternelle qui devient resplendissante !
Qu’il serait beau que tous puissent admirer comment nous prenons soin les uns des autres. Comment mutuellement nous nous encourageons et comment nous nous accompagnons. Le don de soi est celui qui établit la relation interpersonnelle qui ne se génère pas en donnant des “choses”, mais en se donnant soi-même. Dans tout don, s’offre la personne même. “Se donner” signifie laisser agir en soi-même toute la puissance de l’amour qui est l’Esprit de Dieu et ainsi faire place à sa force créatrice. Et se donner même dans els moments les plus difficiles, comme ce Jeudi Saint de Jésus, où il savait comment se tissaient les trahisons et les intrigues mais il a continué et il s’est donné, il s’est donné à nous même avec son projet de salut. En se donnant, l’homme se retrouve lui-même avec sa véritable identité de fils de Dieu, semblable au Père et, comme lui, donneur de vie, frère de Jésus, auquel il rend témoignage. C’est cela évangéliser, c’est cela notre révolution – parce que notre foi est toujours révolutionnaire -, c’est cela notre cri le plus profond et le plus constant.
[Texte original: Espagnol]© LEV, et Zenit (Anita Bourdin) pour les passages ajoutés par le pape François