Il s’agit d’une « redéfinition de la filiation », avec un glissement vers « une forme contractuelle qui donne lieu à un marché où l’enfant sera un bien que l’on acquiert », estime le Père Bruno Saintôt, responsable du Département Ethique biomédicale au centre Sèvres (Paris).
En France, la Cour de Cassation (Paris) a autorisé, le 3 juillet, l’inscription à l’état civil français d’enfants nés d’une Gestation Pour Autrui (GPA) à l’étranger. Une analyse du site de la Conférence des évêques de France.
Rappelons que la « GPA » est interdite en France et dans la majeure partie des Etats de l’Union européenne, mais aussi le Québec. La GPA signifie qu’une mère est payée pour porter l’enfant d’un couple qui « fournit » l’embryon. Elle « prend en charge » le développement in utero d’un embryon et, à la naissance, remet l’enfant à la ou aux personnes qui l’ont « commandité ». La GPA est souvent considérée comme un esclavage moderne.
Pour le Père Bruno Saintôt, cet arrêt très restreint n’empêchera pas d’autres cas de se poser. Il interroge sur le regard de notre société sur l’enfant : Est-ce quelque chose qu’on acquiert ou une personne qu’on accueille ?
La filiation remise en question
Une redéfinition de la filiation qui est visée, estime-t-il. « Par la volonté et non plus par le lien charnel ». « Jusqu’à présent, le grand repère est qu’un enfant soit le fruit d’une relation entre un homme et une femme. Je pense que nous passons insensiblement à une forme contractuelle qui donne lieu à un marché où l’enfant sera un bien que l’on acquiert » met-il en garde.
Cet événement est l’occasion de réfléchir sur le regard de notre société sur l’enfant. « Si le désir d’enfant est légitime, reconnaît le Père Saintôt, il doit être encadré par une conception du bien de l’enfant et de son intérêt. Sur ce point, les avis sont divergents et le droit n’est pas suffisamment précis. Quel que soit son mode de conception, l’enfant, comme toute personne, a une valeur absolue mais le mode d’engendrement et de gestation doit être en accord avec cette valeur inconditionnelle de la personne et avec les liens humains fondamentaux qui l’appellent à l’existence, c’est-à-dire les liens parentaux. Tout ce qui portera atteinte à ces liens d’engendrement et de gestation en instrumentalisant ceux qui deviendront des fournisseurs de gamètes ou celles qui deviendront des pourvoyeuses de gestation me paraît donc critiquable au regard de nos idéaux républicains et de notre insistance sur la valeur de la personne ».
La PMA, alerte-t-il, « ouvre un énorme marché, qui se trouve justifié par les principes de liberté et d’égalité. Ce sont ces principes qui sont invoqués par le Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes, qui prône la PMA pour toutes les femmes, en couple ou célibataires, mais refuse néanmoins la GPA parce qu’elle « engage totalement une femme pendant 9 mois ». Mais comment, avec les arguments employés, sera-t-il possible de refuser la GPA ? La PMA et la GPA font éclater les consensus dans les partis politiques et dans les mouvements féministes. Il y a là une véritable question qu’il faudrait prendre le temps d’analyser en dehors des polémiques et des revendications démonstratives. »
Sur cet « immense marché », il déplore que l’on considère de plus en plus l’enfant « comme quelque chose que l’on acquiert » et non plus « comme une personne que l’on accueille de manière inconditionnelle ».
« Concevoir un enfant n’est pas un droit. C’est une possibilité pour certains » rappelle-t-il. Or, dans ce domaine, le rôle de la médecine a changé. Alors qu’elle offrait, jusqu’à présent en France, une « remédiation » à l’infertilité constatée entre un homme et une femme, elle peut contribuer à l’élargissement de la possibilité d’acquérir un enfant par toute personne.
« L’enfant n’est plus issu de l’union de la chair – et la GPA en offre l’exemple – mais fait l’objet d’une transaction et d’un contrat. C’est une forme de commande ». En effet, la GPA suppose un contrat de prestation et d’abandon. Il est précisé que la mère abandonne l’enfant à la naissance. La mère reste encore en droit français, notamment après le rappel de la cour de cassation, celle qui accouche. « On entre dans des transactions marchandes même si certains soutiendront une « GPA éthique » qui ne fera appel qu’à des dédommagements » commente le P. Saintôt.
Par ailleurs, qui dit contrat, dit clauses de qualité. « Que fera-t-on d’un enfant non conforme, handicapé ? » s’interroge-t-il. Ce mouvement dans lequel l’enfant fait l’objet d’un contrat ne manquera pas d’accentuer la généralisation des techniques de diagnostics préimplantatoires non invasifs. « Dans le cas de FIV, on pourra de plus en plus définir les qualités de ce qui est acceptable, et on le fera en prenant les décisions qui conviennent à la demande. Qu’est-ce qui pourra s’y opposer dans des pays moins contraignants que la France ? ».
L’Eglise plaide pour une conception unifiée de la parenté
La Cour Européenne des Droits de l’Homme (26/06/2014) insiste sur le droit de l’enfant à connaître son histoire car elle fait partie de son identité. « L’engendrement et la gestation font partie de l’histoire de l’enfant ! On ne peut pas faire comme si c’était une parenthèse. Cela dit quelque chose sur la valeur qu’on lui accorde et sur sa dignité ».
« L’Eglise considère que l’enfant a le droit de naître dans un couple uni et qu’il a le droit de connaître la mère qui l’a porté et le père qui a contribué à son engendrement » poursuit-il.
L’Eglise s’oppose à toute forme de parenté et de maternité éclatées en différentes fonctions : la mère génétique d’un côté, la mère gestatrice de l’autre… « Unir toute ces fonctions a toujours été le grand repère d’une conception unifiée de la personne ; elle refuse de séparer les dimensions physique, psychique et spirituelle de la personne » résume le Père Saintôt. Il ajoute : « L’autre grand critère est que l’enfant soit voulu pour lui-même, même si nos désirs d’enfant sont ambigus. ».
Un certain regard sur la femme et sur l’enfant
Comme cela est déjà le cas en Inde, au Mexique, en Russie ou encore aux Etats-Unis, « beaucoup de femmes seront soumises aux lois du marché » s’inquiète le P. Saintôt. Il ne croit pas un instant à une « GPA éthique », même si la transaction financière serait pudiquement nommée « dédommagement ». Et même maquillé sous le nom de « don d’engendrement », celui-ci n’en sera jamais un puisqu’il y aura contrat et transaction financière.
On sent le P. Saintôt atterré : « Quelles conséquences pour la femme ! Elle doit programmer son désinvestissement psychique dès l’implantation de l’embryon. Elle devra même renoncer à l’éventualité de s’attacher à cet enfant et de vouloir le garder. ».
Dans cette défense des femmes contre une instrumentalisation tarifée, l’Eglise n’est pas seule. Ainsi la philosophe Sylviane Agacinski n’hésite pas à utiliser les concepts marxiste d’aliénation pour s’opposer à la GPA, « aliénation » de la femme utilisée comme « objet de production ».
Alors que le droit des personnes est au cœur des préoccupations de nos sociétés modernes, celui de l’enfant reste dans une espèce de « flou éthique et juridique ». « Le désir des adultes fait de l’enfant un bien à acquérir et no
n plus quelque chose qu’on se donne l’un à l’autre. Que dit-on de la dignité de l’enfant quand on fait cela ? Que dit-on du lien normalement inconditionnel par lequel il arrive au monde ? Doit-on penser que la filiation définie uniquement par la volonté soit un progrès éthique ? »
L’ARRÊT
L’arrêt rendu ce 3 juillet « n’engage pas tout le droit de la GPA » souligne-t-il. La Cour dit simplement que le seul motif de la naissance étant l’aboutissement d’un processus ayant fait l’objet d’une convention de GPA ne suffit pas pour refuser la transcription sur les registres de l’état civil français. Au passage, il définit ce qu’est un parent. « Le père est celui qui a fait une reconnaissance de paternité » remarque-t-il. Il n’est donc plus question du test de paternité suggéré par le Procureur général. La mère reste la femme qui a accouché.
Si l’arrêt la Cour de Cassation maintient l’article 16-7 du Code civil qui rappelle l’interdiction de la GPA, suite à cet arrêt « très restreint », le Père Bruno Saintôt estime que d’autres questions ne manqueront pas d’être posées : « Quid pour deux femmes ? Quid de la retranscription de filiation établie à l’étranger à l’égard des parents d’intention ? » La Cour devra donc sans doute se prononcer à nouveau prochainement. Elle sera sans doute aussi contrainte à aborder – enfin ! – des arguments de fond…