"Loué sois-tu": présentation du métropolite Jean Zizioulas de Pergame

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Pour la première fois, un représentant du patriarche oecuménique de Constantinople a participé à la présentation d’une encyclique au Vatican. L’importance historique de cet événement nous a décidés à proposer à nos lecteurs dès aujourd’hui la traduction intégrale de l’intervention du métropolite Jean de Pergame. Il n’hésite pas à parler de “péché écologique” et diagnostique avec le pape François la “crise spirituelle” sous-jacente.

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Introduction

Je voudrais tout d’abord exprimer ma profonde gratitude pour l’honneur d’être invité à prendre part à cet événement du lancement de la nouvelle encyclique de Sa Sainteté le pape François « Laudato Si’». Je suis également honoré par le fait que Sa Toute-Sainteté le Patriarche œcuménique Bartholomée m’a demandé de vous transmettre sa joie personnelle et sa satisfaction pour la publication de l’encyclique. Comme certains d’entre vous le savent déjà, le Patriarcat œcuménique a été le premier dans le monde chrétien à attirer l’attention de la communauté mondiale sur la gravité du problème écologique et sur le devoir de l’Église d’exprimer sa préoccupation et d’essayer de contribuer, par tous les moyens spirituels à sa disposition, à la protection de notre environnement naturel. Ainsi, dès l’année 1989, le patriarche œcuménique Dimitrios a publié une encyclique adressée aux fidèles chrétiens et à toutes les personnes de bonne volonté, dans laquelle il soulignait la gravité du problème écologique et ses dimensions théologiques et spirituelles. Cela a été suivi par une série d’activités, telles que des conférences internationales de responsables religieux et d’experts scientifiques, ainsi que des séminaires pour les jeunes, les ministres de l’Église, etc. sous les auspices de l’actuel patriarche œcuménique  Bartholomée, visant à promouvoir une conscience écologique parmi les chrétiens en particulier, et plus largement dans la communauté des hommes et des femmes.

La publication de l’encyclique Laudato Si’ est donc une occasion de grande joie et de satisfaction pour les orthodoxes. En leur nom, je tiens à exprimer notre profonde gratitude à Sa Sainteté pour s’être exprimé avec autorité afin d’attirer l’attention du monde sur la nécessité urgente de protéger la création de Dieu des dommages que nous, les humains, infligeons par notre comportement à l’égard de la nature. Cette encyclique vient à un moment critique dans l’histoire humaine et aura sans aucun doute un retentissement dans le monde entier sur la conscience des personnes.

Ceux qui liront l’encyclique seront impressionnés par la profondeur et la rigueur avec laquelle le problème écologique est traité et sa gravité mise en évidence, ainsi que par les suggestions et propositions sur la façon d’agir pour faire face à ses conséquences. Il y a, dans ses pages, matière à réflexion pour tous : le scientifique, l’économiste, le sociologue et surtout les fidèles de l’Église. Mes commentaires se limiteront à la richesse de la pensée théologique et de la spiritualité de l’Encyclique. Le temps et l’espace ne me permettent pas de rendre pleinement justice au traitement de ces aspects. Je me bornerai aux points suivants :

a) La signification théologique de l’écologie ;

b) La dimension spirituelle du problème écologique ;

c) L’importance œcuménique de l’Encyclique.

 

1. Théologie et écologie

Qu’est-ce que l’écologie a à voir avec la théologie ? Dans les manuels traditionnels de théologie, il n’y a guère de place pour l’écologie et l’on peut dire la même chose des parcours d’enseignement des écoles de théologie catholiques, orthodoxes et protestantes. L’encyclique consacre un chapitre entier (ch. 2) à montrer les profondes implications écologiques de la doctrine chrétienne de la création. Il souligne que, selon la Bible, « la vie humaine est enracinée dans trois relations fondamentales et étroitement liées avec Dieu, avec notre prochain et avec la terre elle-même (par. 66). Cette troisième relation, i.e. avec la terre, a très souvent été ignorée par la théologie chrétienne au point que l’historien américain Lynn White, dans un article maintenant connu de la revue « Scientist » (1967), accusait la théologie chrétienne d’être responsable de la crise écologique moderne. Car il est vrai que, dans la théologie chrétienne, l’être humain a été élevé au-dessus de la création matérielle au point de permettre aux humains de la traiter comme de la matière pour la satisfaction de leurs besoins et de leurs désirs. L’être humain a été dé-naturalisé et, dans son abus et son mauvais usage du commandement biblique donné au premier couple humain – « multipliez-vous, remplissez la terre et soumettez-la » (Gen 1,28) – l’humanité était encouragée à exploiter la création matérielle sans restriction et sans respecter son intégrité et même son caractère sacré.

Cette attitude à l’égard de la création a non seulement conduit à un mauvais usage de la doctrine biblique mais a, en même temps, contredit des principes fondamentaux de la foi chrétienne. L’un d’eux est la foi dans l’incarnation du Christ. En assumant la nature humaine, le Fils de Dieu a pris sur lui la création matérielle dans sa totalité. Le Christ est venu pour sauver la création tout entière par son incarnation, et pas seulement l’humanité ; car, selon saint Paul (Rm 8,23), « la création tout entière gémit, elle passe par les douleurs d’un enfantement » dans l’attente de son salut par l’humanité.

L’autre principe fondamental de la foi chrétienne qui a des implications écologiques importantes concerne le cœur même de l’Église, qui est la sainte eucharistie. Dans la célébration de l’eucharistie, l’Église offre à Dieu le monde matériel sous la forme du pain et du vin. Dans ce sacrement, l’espace, le temps et la matière sont sanctifiés ; ils sont élevés au Créateur avec reconnaissance, comme ses dons à notre égard ; la création est solennellement déclarée don de Dieu et les êtres humains, au lieu d’agir en propriétaires de la création, agissent en tant que ses prêtres, qui l’élèvent à la sainteté de la vie divine. Cela rappelle les paroles émouvantes de saint François d’Assise par lesquelles s’ouvre l’encyclique : « Loué sois tu, mon Seigneur, pour sœur notre mère la Terre ». Comme l’ont expliqué saint Grégoire Palamas et d’autre Pères grecs, la création tout entière est imprégnée de la présence de Dieu par ses énergies divines ; tout annonce la gloire de Dieu, comme le dit le psalmiste, et l’être humain conduit ce chœur cosmique de glorification au Créateur, en tant que prêtre de la création. Cette façon de comprendre la place et la mission de l’humanité dans la création est commune à la tradition chrétienne de l’Orient comme de l’Occident et elle est d’une importance particulière pour la culture d’une philosophie écologique.

2. La dimension spirituelle

Comme cela ressort clairement de l’encyclique, la crise écologique est essentiellement un problèmes pirituel. La juste relation entre l’humanité et la terre ou son environnement naturel a été cassée avec la Chute à la fois extérieurement et en nous, et cette rupture est le péché. L’Église doit maintenant introduire dans son enseignement sur le péché le péché contre l’environnement, le péché écologique. La repentance doit être étendue pour couvrir aussi les dommages que nous infligeons à la nature, comme individus et comme sociétés. Cela doit être porté à la conscience de tout chrétien qui se soucie de son salut.

La rupture de la juste relation entre l’humanité et la nature est due à la montée de l’individualisme dans notre culture. On a fait de la poursuite du bonheur individuel un idéal à notre époque. Le péché écologique est dû à l’avidité humaine qui aveugle les hommes et les femmes au point d’ignorer et de mépriser la vérité de base selon laquelle le bonheur d’un individu dépend de sa relation avec le reste des êtres humains. Il y a une dim
ension sociale dans l’écologie, que l’encyclique fait ressortir avec clarté. La crise écologique va de pair avec la propagation de l’injustice sociale. Nous ne pouvons pas affronter avec succès la première sans traiter avec l’autre.

Le péché écologique est un péché non seulement contre Dieu mais aussi contre notre prochain. Et c’est un péché non seulement contre l’autre de notre époque mais aussi – et c’est grave – contre lesgénérations futures. En détruisant notre planète afin de satisfaire notre avidité de bonheur, nous léguons aux générations futures un monde irrémédiablement abîmé avec toutes les conséquences négatives que cela aura pour leur vie. Nous devons donc agir de façon responsable à l’égard de nos enfants et de ceux qui nous succèderons dans cette vie.

Tout ceci invite à ce que nous pourrions décrire comme un ascétisme écologique. Il est à noter que les grandes figures de la tradition ascétique chrétienne étaient toutes sensibles à la souffrance de toutes les créatures. L’équivalent d’un saint François d’Assise est abondamment présent dans la tradition monastique de l’Orient. Il existe des récits de vie des saints du désert qui présentent l’ascète pleurant sur les souffrances ou la mort de chaque créature et menant une coexistence pacifique et amicale avec les bêtes. Ce n’est pas du romanticisme. Cela jaillit d’un cœur aimant et de la conviction qu’entre le monde naturel et nous-mêmes, il y a une unité et une interdépendance organiques qui nous font partager un destin commun, simplement parce que nous avons le même Créateur.

L’ascétisme est une idée déplaisante dans notre culture actuelle, qui mesure le bonheur et le progrès à l’aune de l’augmentation du capital et de la consommation. Ce serait irréaliste de s’attendre à ce que nos sociétés adoptent l’ascétisme de la façon dont saint François et les Pères du désert de l’Orient l’ont vécu. Mais l’esprit et la philosophie de l’ascétisme peuvent et doivent être adoptés si notre planète veut survivre. La modération de la consommation de ressources naturelles est une attitude réaliste et des moyens doivent être trouvés pour mettre une limite à l’immense gaspillage de matériaux naturels. La technologie et la science doivent consacrer leurs efforts à une telle tâche. On peut trouver beaucoup d’inspiration et d’aide dans l’encyclique elle-même à cet égard.

Enfin, la spiritualité doit pénétrer notre philosophie écologique par la prière. L’encyclique offre de beaux exemples de la manière de prier pour la protection de la création de Dieu. Je trouve émouvant cet extrait des prières citées à la fin de l’encyclique :

O Dieu, donne guérison à nos vies, pour que nous puissions protéger le monde au lieu de le maltraite, que nous puissions semer la beauté, et non la pollution ou la destruction. Touche les cœurs de ceux qui ne recherchent que le gain au détriment des pauvres de la terre. Enseigne-nous à découvrir la valeur de chaque chose, à être remplis d’émerveillement et de contemplation, à reconnaître que nous sommes profondément unis à toutes les créatures, tandis que nous cheminons vers ton infinie lumière.

À ce point, j’aimerais mentionner que, déjà en 1989, le Patriarcat œcuménique avait décidé de dédier le 1er septembre de chaque année à la prière pour l’environnement. Selon le calendrier liturgique orthodoxe, si l’on remonte à l’époque byzantine, cette date est le premier jour de l’année ecclésiastique.

L’office liturgique du jour inclut des prières pour la création et le Patriarcat œcuménique a commandé à un hymnographe contemporain du Mont Athos de composer des hymnes propres pour ce jour. Le 1erseptembre de chaque année est maintenant consacré par les orthodoxes à l’environnement. Ne pourrait-il pas devenir une date réservée à cette prière pour tous les chrétiens ? Cela marquerait un pas en avant vers une plus grande proximité entre eux.

Cela me conduit à mon dernier commentaire sur l’encyclique du pape, à savoir son importance œcuménique.

3. L’importance œcuménique de l’encyclique

De mon point de vue, il y a trois dimensions à l’œcuménisme. La première, que nous pouvons appeler l’œcuménisme dans le temps, une expression fréquemment utilisée par l’un des plus grands théologiens orthodoxes du siècle dernier, le regretté père Georges Florovsky. Nous entendons par là l’effort des chrétiens divisés pour s’unir sur la base de leur Tradition commune, l’enseignement de la Bible et les Pères de l’Église. C’est l’objet des dialogues théologiques qui ont lieu dans le mouvement œcuménique de notre époque et il semble que ce soit la forme d’œcuménisme prédominante.

En même temps, un œcuménisme dans l’espace est aussi pratiqué à travers diverses institutions internationales, comme le Conseil mondial des Églises et des organisations œcuméniques similaires qui rassemblent les chrétiens divisés, de sorte que les différents contextes culturels dans lesquels ils vivent puissent être pris en considération dans le recherche de l’unité. Cela a réuni des chrétiens d’Asie, d’Amérique, d’Europe, d’Amérique latine, etc. – une expression de l’universalité de l’Église chrétienne.

À ces deux dimensions qui ont dominé la scène œcuménique ces cent dernières années, nous devons en ajouter, je pense, une troisième qui est habituellement négligée, celle que j’appellerais un œcuménisme existentiel. Je veux dire par là l’effort pour affronter ensemble les problèmes existentiels les plus profonds qui préoccupent l’humanité dans son ensemble – pas seulement dans des endroits ou des catégories de personnes en particulier. L’écologie est sans doute le candidat le plus évident dans ce cas.

Je crois que l’importance de l’encyclique du pape, Laudato Si’, ne se limite pas au sujet de l’écologie en tant que telle. J’y vois une dimension œcuménique importante en ce qu’elle conduit les chrétiens divisés devant une tâche commune qu’ils doivent affronter ensemble. Nous vivons à une époque où les problèmes existentiels fondamentaux débordent nos divisions traditionnelles en les relativisant au point de les faire pratiquement disparaître. Regardez, par exemple, ce qui se passe aujourd’hui au Moyen-Orient : ceux qui persécutent les chrétiens leur demandent-ils à quelle Église ou confession ils appartiennent ? L’unité chrétienne, dans de tels cas, est de facto réalisée par la persécution et le sang – un œcuménisme du martyre.

De même, la menace que fait peser sur nous la crise écologique dépasse ou transcende nos divisions traditionnelles. Le danger qui se présente à notre maison commune, la planète sur laquelle nous vivons, est décrit dans l’encyclique d’une manière qui ne laisse aucun doute sur le risque existentiel auquel nous sommes confrontés. Ce risque nous est commun à tous, indépendamment de nos identités ecclésiastiques ou confessionnelles. Notre effort pour empêcher les conséquences catastrophiques de la situation actuelle doit être également commun. L’encyclique du pape François est un appel à l’unité – unité dans la prière pour l’environnement, dans le même Évangile de la création, dans la conversion de nos cœurs et de nos styles de vie pour respecter et aimer chacun et chaque chose qui nous sont donnés par Dieu. Nous en sommes reconnaissants.

Traduction de Zenit, Constance Roques

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ZENIT Staff

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