Prière eucharistique III: « Il prit le pain… Il prit la coupe… » (2)

Dans cette 24e chronique sur les prières eucharistiques, Mgr Jacques Perrier, évêque émérite de Tarbes-Lourdes, poursuit sa lecture théologique et spirituelle de la Prière eucharistique III (6e volet). Il évoque le « vin nouveau, vin de la Nouvelle Alliance ».

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Quand le psaume 103-104 chante le Créateur et la création, il préfigure ce que dit notre Prière eucharistique (chronique 10) : « Toute la création proclame ta louange. » Le psalmiste admire la nature mais se garde d’oublier « les plantes à l’usage des humains »

pour qu’ils tirent le pain de la terre

et le vin qui réjouit le cœur de ‘homme,

pour que l’huile fasse luire les visages

et que le pain fortifie le cœur de l’homme.

(psaume 103-104, 14-15)

La vigne du Seigneur

Le vin et la vigne tiennent une place notable dans l’Ancien Testament. Certes, les auteurs savent que toute ivresse n’est pas mystique. Si Holopherne n’avait pas tant bu, Judith ne lui aurait pas coupé la tête. Mais, en elle-même, la vigne est un bienfait. Pouvoir cultiver sa vigne assez longtemps pour en cueillir les fruits est le signe d’une période de paix.

La vigne est si précieuse qu’elle est un des symboles qui figurent le peuple d’Israël. Dieu a entouré Israël de soins amoureux, comme le propriétaire le fait pour sa vigne. Il en attendait de beaux fruits : pourquoi en a-t-elle produit de mauvais (Isaïe 5) ? Si bien que la coupe peut être remplie du péché des hommes et, donc, de la colère de Dieu. Dans le livre de l’Apocalypse (chapitre 15, 7-16, 21), sept coupes «remplies de la colère de Dieu » rappellent les plaies qui ont frappé l’Egypte idolâtre et esclavagiste.  

Il reste quelque chose de cela dans l’expression familière « la coupe est pleine ». Mais la colère n’est pas le dernier mot de Dieu : « Le calice, la coupe de ma fureur, tu n’y boiras plus jamais » (Isaïe 51, 22).

En Israël, quelques hommes s’engageaient ou étaient voués à s’abstenir de vin. Jean-Baptiste était de ceux-là : « Il ne boira, ni vin, ni boisson fermentée » (Luc 1, 15). Jésus n’était pas de ceux-là puisque lui-même reconnaît être considéré comme « une glouton et un ivrogne ». Les repas chez Lévi, chez Zachée ou chez le Pharisien ne devaient pas être rigoureusement austères.

Les coupes du repas pascal

L’évocation du repas pascal en Exode 12 (chronique 23) ne mentionnait pas de vin. Son usage s’est introduit en signe de fête, comme la coutume de manger allongés et accoudés, qui n’est pas une posture vulgaire : à la fête de la pâque, chaque Juif est un prince.

A l’époque de Jésus, le rituel était bien établi. En plus de l’agneau, du pain azyme et des herbes amères, le repas pascal comporte quatre coupes qui doivent être bues par tous les convives. A chacune de ces coupes est rattaché un aspect de l’Histoire du Salut. Par exemple : la Création, le sacrifice d’Isaac, la libération d’Egypte, l’ouverture aux nations païennes. Ou bien : les quatre types de souffrance auxquels les Hébreux étaient soumis  et dont ils ont été délivrés. Ou encore : Dieu les a fait sortir d’Egypte, les a libérés de l’esclavage, les a acquis comme ses serviteurs et a fait du Peuple sa fiancée, son épouse.

Quelles que soient les interprétations, la référence principale est toujours la libération d’Egypte et l’exode. Comme le signifient les autres éléments du repas pascal.

Une cinquième coupe est versée en l’honneur d’Elie, le prophète qui doit préparer la venue du Messie en préparant le Peuple à l’accueillir. Les convives ne boivent pas cette coupe. Jésus a proclamé qu’en Jean-Baptiste, « Elie est déjà venu » (Matthieu 17,

Il n’est pas assuré que la Dernière Cène ait été, en tous points, le repas pascal. Cependant, saint Luc signale bien plusieurs coupes. Deux, plus exactement. A propos de la première, il dit : « Je ne boirai plus du fruit de la vigne jusqu’à ce que vienne le Règne de Dieu. » Il manifeste ainsi que c’est la fin d’un certain ordre.

« Après le repas », disent ensemble saint Luc et saint Paul, il prit une autre coupe, celle de la nouvelle Alliance en son sang versé  « pour vous » (saint Luc), « pour la multitude » (saint Matthieu et saint Marc). La liturgie, ne voulant rien laisser perdre, réunit les deux formulations : « pour vous et pour la multitude ».

Vin nouveau, vin de la Nouvelle Alliance

Le Jeudi Saint, le pain azyme, pur de tout vieux levain, devient le Pain de Vie, le Corps du Christ livré pour nous. Le vin devient le signe de la Nouvelle Alliance, dans le Sang du Christ. Le vin nouveau ne doit pas être conservé dans de vieilles outres (Luc 5, 38). Saint Paul, en utilisant le symbole du pain, disait la même chose (chronique 23) : « Purifiez-vous du vieux levain pour être une pâque nouvelle. » 

On ne peut s’empêcher de penser à Cana. C’est le « commencement » des signes donnés par Jésus à ses disciples et suscitant leur foi. Le commencement annonce la fin, l’ « accomplissement », le dernier repas où Jésus donne un autre signe de sa Passion, en lavant les pieds de ses disciples.

Quand Jésus parle de la « coupe », il a en vue sa Passion. Aux disciples qui veulent des places dans le gouvernement du Royaume, il demande s’ils peuvent boire « la coupe que je vais boire » (Matthieu 20, 22). Plus directement encore, à Gethsémani, Jésus prie pour que « s’il est possible, cette coupe s’éloigne de moi. Cependant, non ma volonté, mais la tienne ». « La coupe que m’a donnée le Père, ne la boirai-je pas ? » (Jean 18, 11)

Nous avions évoqué la « coupe » de la colère de Dieu. Certes, le Père n’est pas en colère contre son Fils. Le Père ne se venge pas sur son Fils. Mais il y a bien eu une mort, une mort au péché, une fois pour toutes ; une mort dans la détresse, conséquence du péché. Détresse extrême de Celui qui a pris sur lui le péché du monde. Le ciel s’est obscurci ; la terre a tremblé : le salut ne s’est pas opéré dans l’euphorie.

Le Christ a crié vers son Père et son cri, en notre nom, a été entendu (Hébreux 5, 7-10). Le sang versé est devenu « la coupe de bénédiction » (1 Corinthiens 10, 16), « la coupe du salut », comme dit le Canon romain. Chaque fois que nous buvons à cette coupe, nous annonçons la mort du Seigneur, jusqu’à ce qu’il vienne.

 

Rétractation : sur la foi d’un article que je croyais sérieux, j’avais écrit : « toutes les recensions de la Dernière Cène précisent que Jésus prit ‘le’ pain et non, simplement, ‘du’ pain. » Il est vrai que les manuscrits ne sont pas tous d’accord mais, en gros, c’est faux. 

 

 

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Jacques Perrier

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