Mgr Paul Richard Gallagher

WIKIMEDIA COMMONS - Bundesministerium für Europa

« Construire des sociétés inclusives », 4 thèses de Mgr Gallagher (4/4)

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Mgr Gallagher évoque « la dimension religieuse du dialogue interculturel », à travers quatre « thèses » dont la quatrième est que « la promotion et la protection du droit à la liberté religieuse sont une tâche fondamentale des États et des organisations internationales ».

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« Les droits de l’homme ne peuvent pas être opposés les uns aux autres », explique Mgr Gallagher.

Mgr Gallagher est intervenu au séminaire organisé par la Mission permanente du Saint-Siège au Conseil de l’Europe, à Strasbourg, lundi 8 juin 2015.

Il souligne qu’il s’agit d’un chemin d’apprentissage : « Ce sont plutôt les personnes, les sujets de ces droits, qui ont besoin d’apprendre quotidiennement à comprendre les droits qu’ils détiennent en commun avec les autres. »

Il fait observer le lien entre les trois composantes de la devise de la France : « Pour employer les mots de la devise de la République française, on ne peut effectivement promouvoir la liberté et l’égalité – LIBERTÉ-ÉGALITÉ – sans accepter le défi de la fraternité – FRATERNITÉ. »

Dans sa conclusion, Mgr Gallagher écrit notamment : « Les religions ont un rôle à jouer dans la construction de sociétés démocratiques qui soient authentiquement inclusives. Comprendre la signification de ce rôle est un signe de sagesse politique de la part des États et des organisations internationales.”

Voici notre traduction de ce quatrième volet et de la conclusion de Mgr Gallagher.

Quatrième thèse : la promotion et la protection du droit à la liberté religieuse sont une tâche fondamentale des États et des organisations internationales

La liberté religieuse ne doit pas être comprise comme quelque chose d’extrinsèque : exactement comme pour tout droit fondamental, il y a une connexion stricte et vitale entre celle-ci et les autres droits fondamentaux, qui forment un tout cohérent reflétant la dignité intrinsèque de la personne humaine qui, à son tour, est le sujet de ces droits. Dans son rapport intérimaire 2013, « Liberté de religion ou de croyance et égalité entre les hommes et les femmes », le rapporteur spécial Bielefeldt a souligné la valeur d’une compréhension holistique des droits de l’Homme, comme ceux qui sont rappelés dans la Déclaration de Vienne adoptée en 1993 lors de la Conférence mondiale sur les droits de l’homme. La Déclaration de Vienne affirmait que « tous les droits de l’homme sont universels, indissociables, interdépendants et intimement liés. La communauté internationale doit traiter des droits de l’homme globalement, de manière équitable et équilibrée, sur un pied d’égalité et en leur accordant la même importance ».

Il est vrai qu’il peut y avoir à certains moments des tensions dans l’exercice de l’un en opposition avec un autre de ces droits, par exemple dans la tension entre le droit à la liberté d’expression et le droit au respect pour ses propres convictions religieuses, comme cela s’est vu récemment. Dans certains cas, il est inévitable que l’État ait à identifier des solutions pour trouver le juste équilibre. Cependant, percevoir les droits fondamentaux comme pouvant être en conflit direct entre eux serait une erreur. Si les droits individuels de l’homme sont l’expression de la dignité de la personne humaine, les droits de l’homme ne peuvent pas être opposés les uns aux autres. Ce sont plutôt les personnes, les sujets de ces droits, qui ont besoin d’apprendre quotidiennement à comprendre les droits qu’ils détiennent en commun avec les autres. Pour employer les mots de la devise de la République française, on ne peut effectivement promouvoir la liberté et l’égalité – LIBERTÉ-ÉGALITÉ – sans accepter le défi de la fraternité – FRATERNITÉ.

Les institutions internationales sont ainsi appelées non seulement à combattre toute discrimination contre les croyances religieuses mais aussi, dans une perspective positive, à promouvoir la liberté religieuse. D’une manière particulière, la protection et la promotion de la liberté religieuse, au même niveau que tous les autres droits fondamentaux, sont une tâche propre à une institution comme le Conseil de l’Europe qui, en sauvegardant et en promouvant les droits de l’homme, établit sa véritable raison d’être.

La liberté religieuse est, en effet, étroitement liée à de très nombreux autres aspects de la sauvegarde des droits de l’homme : je pense à des thèmes comme la non-discrimination, les domaines de l’éducation à l’école et dans la famille, la bioéthique, la citoyenneté démocratique. Je pense à des domaines comme la prévention de la radicalisation et du terrorisme, le traitement des prisonniers, la relation délicate entre la liberté d’expression et le respect de la sensibilité religieuse, et bien d’autres encore.

En effet, la protection du droit à la liberté religieuse a fait l’objet de l’attention à plusieurs occasions dans un certain nombre d’institutions du Conseil de l’Europe. Il suffit de rappeler ici la riche jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme à cet égard, ainsi que les nombreuses déclarations de l’Assemblée parlementaire. D’importants efforts sont actuellement entrepris par le Comité directeur pour les droits de l’homme (CDDH) comme les « Lignes directrices du Comité des ministres aux États membres sur la promotion et la protection des droits de l’homme dans les sociétés culturellement diverses » et la « Compilation des normes existantes du Conseil de l’Europe relatives aux principes de la liberté de pensée, de conscience et de religion ».

On pourrait demander si ceci est suffisant, face aux défis croissants posés par les sociétés multipolaires. Le Saint-Siège, sur la base du principe de l’indivisibilité et de l’interdépendance des droits fondamentaux, comme indiqué ci-dessus, et étant conscient de l’importance du rôle du Conseil de l’Europe, est convaincu que le droit à la liberté religieuse devrait toujours faire l’objet d’une attention particulière ; en même temps, il devrait être inclus et intégré dans toutes les activités et réflexions les plus importantes sur les droits de l’homme. Il serait utile d’entamer une réflexion sur ce thème.

Parallèlement, le Saint-Siège a toujours soutenu les occasions de dialogue – à la fois directement et au niveau institutionnel – entre les autorités civiles et les responsables religieux. Cela vaut au niveau de l’État, mais aussi au niveau des autorités locales et bien sûr, des organisations internationales. Un tel dialogue peut contribuer à la recherche d’une harmonie constructive libre de toute contrainte, dont a parlé le pape François. Reconnaître le rôle propre que jouent les religions dans le dialogue interculturel, en maintenant avec les religions un dialogue ouvert et transparent, est important même d’un point de vue purement politique. Dans le contexte de sociétés multipolaires, si les religions ne participent pas à la solution, elles peuvent facilement devenir une partie du problème.

Dans cette perspective, des rencontres interculturelles organisées ces dernières années sur la dimension religieuse du dialogue offrent une contribution utile, même si celles-ci ne devraient pas être les seules occasions où ont lieu un dialogue parmi les religions et les cultures, et des discussions sur les droits de l’homme. Dans la Recommandation 1962 de 2011 sur la dimension religieuse du dialogue interculturel, organisée par Madame Brasseur en tant que rapporteur, il y avait entre autres la suggestion adressée au Conseil des ministres de la création d’un espace de dialogue. Il était envisagé un groupe de travail composé de membres du Conseil de l’Europe et de représentants de différentes religions et d’organisations non-confessionnelles, dans le but de situer les relations existantes sur une plateforme plus stable et formellement reconnue. Son espoir n’est pas encore devenu réalité bien qu’il soit encore très souhaitable.

Conclusion : Une invitation à redécouvrir la valeur politique de la liberté religieuse comme
facteur contribuant à la réconciliation entre les peuples et comme initiative pour construire une société inclusive

En septembre 1994, Jean-Paul II avait souhaité se rendre à Sarajevo. Le voyage a dû être annulé, à cause du conflit qui avait éclaté et il ne fut possible de s’y rendre que trois ans plus tard. Mais le 8 septembre 1994, le Saint-Père célébra une messe à Castel Gandolfo qui fut retransmise en direct à Sarajevo, au cours de laquelle il affirma : « L’histoire des hommes, des peuples et des nations est remplie de rancœur et d’injustices réciproques. Comme est importante l’expression historique adressée par les évêques polonais à leurs confrères allemands : ‘Nous pardonnons et nous vous demandons pardon !’ Si, dans cette région de l’Europe, la paix a été possible, il semble qu’elle peut aussi venir grâce à l’attitude effective exprimée par les mots que je viens de citer ».

Il n’est pas indifférent que Jean-Paul II, en s’adressant à Sarajevo marquée par la guerre, ait rappelé les mots d’une lettre mémorable de 1965 envoyée à la fin du concile Vatican II par l’épiscopat polonais à leurs frères allemands. Karol Wojtyła lui-même contribua à cette lettre qui a exposé les évêques polonais à la critique de leur gouvernement et de certains de leurs fidèles. S’il est vrai que l’histoire de l’Europe a parfois été marquée par des conflits religieux, plus récemment les confessions religieuses ont grandement contribué à la réconciliation entre les peuples. De ce point de vue, il est très significatif que la prochaine réunion sur la dimension religieuse du dialogue interculturel se tienne à Sarajevo.

Dimanche dernier, un autre pape, cette fois-ci François, s’est rendu à Sarajevo avec un message aussi clair que celui de son saint prédécesseur. Lors d’un rassemblement œcuménique et interreligieux, le pape François déclarait : « Le dialogue interreligieux ici (à Sarajevo), comme partout dans le monde, est une condition indispensable pour la paix et pour cette raison, il est un devoir pour tous les croyants ». Et un peu plus tard, dans le même discours, le Saint-Père ajoutait : « Le dialogue est une école d’humanité en tant que bâtisseur d’unité qui aide à construire une société fondée sur la tolérance et le respect mutuel. »

« Nous pardonnons et nous vous demandons pardon » : ce sont des mots courageux, des mots que l’Église catholique prononce encore aujourd’hui et aide ses fidèles à prononcer. Ce n’est pas un appel fait à la légère. Nous savons bien combien tant de chrétiens dans le monde paient un prix très élevé pour leur fidélité à leurs croyances. Mais nous savons aussi que, même aujourd’hui, le dialogue entre les religions peut apporter une grande contribution à la réconciliation. Ce qui semble désespéré peut pourtant se réaliser avec l’aide de Dieu. Il en fut ainsi dans l’histoire récente – il suffit que nous pensions à la fondation du Conseil de l’Europe – et il peut aussi en être ainsi aujourd’hui si nous pansons les plaies de ce continent et celles qui sont encore vives à travers le monde. 

Enfin, les religions ont un rôle à jouer dans la construction de sociétés démocratiques qui soient authentiquement inclusives. Comprendre la signification de ce rôle est un signe de sagesse politique de la part des États et des organisations internationales. Une culture commune des droits de l’homme ne peut pas servir comme la simple somme des vies d’individus protégées : cette culture doit son existence à une vision de la dignité de la personne humaine qui doit être ouverte à la contribution de toutes les parties d’une société multipolaire, unie par un désir et une recherche communs de la vérité.

© Traduction de Zenit,Constance Roques

 

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Anita Bourdin

Journaliste française accréditée près le Saint-Siège depuis 1995. Rédactrice en chef de fr.zenit.org. Elle a lancé le service français Zenit en janvier 1999. Master en journalisme (Bruxelles). Maîtrise en lettres classiques (Paris). Habilitation au doctorat en théologie biblique (Rome). Correspondante à Rome de Radio Espérance.

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