La cause de béatification du prêtre français Gabriel Longueville (1931-1976) et de son vicaire, un franciscain argentin, Carlos Murias (1945-1976) avance : la cause diocésaine s’est conclue positivement à La Rioja (Argentine), dimanche dernier, 17 mai. Les dossiers scellés sont envoyés à Rome.

Les deux prêtres ont été assassinés le 18 juillet 1976. L’évêque de La Rioja, Mgr Enrique Angelelli (1923–1976) a lui aussi été assassiné pendant la dictature la même année, et sa cause avance également. Les causes ont été ouvertes avec l’approbation de la Conférence épiscopale, alors présidée par le cardinal Jorge Mario Bergoglio : c’est lui qui a signé le document officiel en mai 2011.

Compagnons dans le martyre

Gabriel Longueville naît en Ardèche en 1931. Il est ordonné prêtre en 1957. En 1969, il est envoyé en Argentine par son évêque, Mgr Jean Hermil, comme prêtre « fidei donum ».

Il est nommé curé de la paroisse d'El Salvador à El Chamical. Il est enlevé avec son vicaire, Carlos de Dios Murias à la maison de l’une des religieuses chez qui ils avaient dîné. Les hommes armés se présentèrent comme étant de la Police fédérale et demandèrent aux prêtres de les accompagner à La Rioja. Mais ils furent au lieu de cela emprisonnés à la base de l’armée de l’air de Chamical : il y furent interrogés, torturés et assassinés.

Deux jours plus tard, une équipe d’ouvriers des chemins de fer trouvèrent les corps des deux prêtres sur un terrain vague rebaptisé « Les Martyrs », sur la Route 38, à 5 km de Chamical, criblés de balles, les yeux bandés, et avec des signes de tortures. Ils avaient crevé les yeux du franciscain et lui avaient mutilé les mains.

Un oratoire a été construit en leur mémoire au lieu-dit: des centaines de pèlerins s’y rassemblent chaque année, le 18 juillet.

Leurs noms dans le Livre de la Vie

A la nouvelle de leur mort, l’évêque, Mgr Angelelli célébra une messe pour eux, le 22 juillet. Il n’avait pas de doute : « les noms de Gabriel et de Carlos sont écrits dans le Livre de la Vie. » Dans son homélie, il évoquait en effet le « sang des martyrs » en interrogeant : « Qu’est-ce que signifie martyr ou témoin, témoin de la résurrection du Seigneur ? »

Sa réponse : « Est témoin celui qui a vu, celui qui a touché, celui qui a entendu et celui qui a fait l’expérience et celui qui a été élu et plus encore envoyé pour aller et dire à tous : « Le Seigneur est ressuscité ! » C’est pourquoi ce sang est bienheureux, c’est le sang martyr, répandu pour l’Evangile, pour le Nom du Seigneur, et pour vous servir et vous annoncer la Bonne nouvelle de la paix, la Bonne nouvelle du bonheur, selon ce que nous avons lu dans saint Matthieu. »

« La question, a continué l’évêque, n’a pas d’autre contenu il est donc absurde de ne pas le comprendre. L’Evangile le dit, il le dit l’évêque de La Rioja. J’ai le devoir de l’annoncer en premier, moi qui dois le prêcher d’abord à moi-même et ensuite à vous, et aussi quand on vous insulte, qu’on vous persécute, qu’on vous calomnie pour Son Nom. Sentez-vous heureux parce que vos noms sont écrits dans le Ciel. Comme les noms de Gabriel et de Carlos sont écrits dans le Livre de la Vie. Ils ont été des témoins, des témoins du contenu des Béatitudes : « Heureux les pauvres, heureux les doux, heureux les miséricordieux… ». »

Le martyre de l’évêque

Les autorités militaires interdirent la diffusion du communiqué de l’évêché sur la mort des deux prêtres.

Le 4 août suivant, Mgr Angelelli mourut à son tour, alors qu’il était au volant de sa voiture. Les autorités militaires présentèrent sa mort en accident de la route : il y a de fortes présomptions qu’il s’est agit d’un assassinat.

Le 7 décembre 2012, le tribunal fédéral de La Rioja a condamné à al prison à vie l’ancien commandant de l’armée Luciano Benjamin Menendez, l’ancien vice-commodore, Luis Fernando Estrella, et l’ancien chef de la police, Domingo Benito Vera, pour des crimes contre l’humanité commis dans cette province pendant la dictature militaire et pour l’assassinat des deux prêtres.

L’évêque de La Rioja, Mgr Roberto Rodriguez, a accueilli al sentence en disant : « C’est aujourd’hui l’heure de la vérité qui permet la justice et nous apportera la paix. »

C’est le 19 juillet 2010 que Mgr Rodriguez a annoncé son intention d'ouvrir, en décembre, le procès de béatification des pères Gabriel Longueville et Carlos Murias. Il souhaitait joindre à leur cause celle de Wenceslao Pedernera, un laïc assassiné à la même époque.

Ouvert au niveau diocésain le 31 mai 2011, le procès diocésain s’est donc achevé dimanche dernier.

Rappelons que pour la béatification d’un martyr, aucun miracle autre que son martyre n’est requis. Il faut ensuite effectivement un miracle authentifié comme dû à l’intercession du martyr pour sa canonisation éventuelle.

Joie du diocèse de Viviers

L’évêque du diocèse d’origine du P. Longueville, Viviers, Mgr François Blondel – aujourd’hui administrateur apostolique – s’est réjoui, au micro de RCF, lundi, 18 mai, que « la première étape vers la béatification de Gabriel Longueville et de Carlos Murias » se soit achevée « positivement » le 17 mai, au cours d’une célébration solennelle et que tout le matériel de l’instruction ait été transmis à Rome.

Il indiquait le sens de ce procès : « Le souvenir de Gabriel, enfant d’Etables et prêtre de Viviers, reste présent chez nous. Son martyre est un signe fort de la foi vivante et missionnaire de l’Eglise de France dans les années 1970. C’est un démentit à ceux qui veulent voir dans cette période un moment de laisser aller ecclésial. »

Il a précisé que « la cause de Gabriel et de Carlos rejoint celle de Mgr Angelelli, l’évêque de la Rioja : celui-ci est venu dès le lendemain de la découverte des corps et il fut lui-même assassiné quelques semaines après ».

« A Rome, disait-il, on souligne que ces causes avancent vite car le Pape, argentin, y est attentif. Il connaissait bien Mgr Angelelli, il avait accompagné le Supérieur général des Jésuites dans le diocèse, il restait profondément marqué, il parlait d’un berger qui parlait avec son peuple… j’ai rencontré une église persécuté entièrement, peuple et berger. »

Il faisait cette confidence : « Quand en octobre dernier j’ai salué le Pape François, je lui ai simplement dit, je suis l’évêque de Gabriel Longueville et il a eu alors un bon sourire. Quel beau message de Pentecôte n’est ce pas ?! »

Mourir pour Dieu, l’Eglise, pour le peuple

Récemment, lors d’une conférence de presse au Vatican, le P. Gustavo Gutierrez, op, a fait observer ce que dit le Document d’Aparecida sur le martyre, ce qui fait évoluer la notion classique d’assassinat « en haine de la foi ». Car les martyrs d’Amérique latine, pendant les dictatures, ont été tués par des baptisés,  des « chrétiens qui se disaient chrétiens ».

Il souligne que le document du CELAM approuvé à l’assemblée d’Aparecida (le grand sanctuaire marial du Brésil) précise que les martyrs d’Amérique latine ont été assassinés à la fois « pour Dieu, pour l’Eglis e et pour le peuple ». C’est une notion qui n’était pas connue jusqu’ici par la tradition : les martyrs d’Amérique latine ont donc « ajouté quelque chose » du fait d’être morts « pour la justice, pour l’amour du peuple ». Les évêques l’avaient déjà dit à l’assemblée du CELAM de Puebla.
Le passage du document d’Aparecida auquel le théologien fait allusion est le suivant : « Nous voulons nous souvenir du témoignage courageux de nos saints et de nos saintes, et de ceux, non canonisés qui ont vécu l’Évangile dans sa radicalité et ont donné leur vie pour le Christ, pour l’Église et pour leur peuple » (n. 98).

C’est « très intéressant », commente le théologien du Pérou, pour comprendre ce que signifie le martyr, « témoin » : « témoin pour procurer la justice, respecter la dignité humaine », en cela, « quelque chose a changé » dans la compréhension du martyre.

Le P. Gustavo Gutierrez ajoute immédiatement que « le peuple » ne peut pas être séparé de Dieu ni de l’Eglise et que cette conception de la notion de martyre lui « semble très intéressant et très riche ».

Ajoutons que le document d’Aparecida dit aussi cet engagement des évêques d’Amérique latine: « Nous nous engageons à travailler pour que notre Église Latino-américaine et des Caraïbes continue à être, avec plus de véhémence, compagne de route de nos frères les plus pauvres, y compris jusqu’au martyre » (n. 396).

Deux religieuses françaises

Les prêtres et les religieux et religieuses tués pendant le “Processus de réorganisation nationale” sont , aux côtés de Carlos Muria et Gabriel Longueville, le prêtre capucin Carlos Bustos,  les religieuses françaises Alice Domon et Léonie Duquet, les père pallottins Alfredo Leaden, Pedro Dufau et Alfie Kelly. Il faut y ajouter la mort de Mgr Angelelli, que le cardinal Bergoglio a bien connu, et de l’évêque de San Nicolas, Carlos Ponce de Leon.

Alice Domon est née en 1937 dans le département français du Doubs. Elle est entrée chez les Sœurs des Missions Étrangères de Notre-Dame de La Motte en 1957. Devenue Sœur Caty, elle est partie pour l’Argentine en 1957 pour s’occuper d’enfants handicapés pusi d’un bibonville. Elle soutenait le mouvement des Mères – de disparus - de la Place de Mai.  Elle a été enlévée le 8 décembre 1977  dans l’église de Santa-Cruz à Buenos Aires, avec 11 membres des Mères de la Place de Mai.

Léonie Duquet, née également dans le Doubs, en 1916. Elle a été enlevée deux jours après Alice Domon, chez elle, à Ramos Mejia dans la banlieue sud de la capitale. Toutes deux furent conduites à l’ École Mécanique de la Marine (ESMA), sinistre centre de torture.

La plupart des femmes arrêtées furent torturées pendant une dizaine de jours. Puis on jeta leurs corps, sous anesthésie, dans le Rio de la Plata, vers le 18 décembre.  Le corps d’Alice Domon n'a jamais été retrouvé. Celui de Lépnie Duquet si.
L’ex-capitaine Astiz, qui avait infiltré le réseau des Mères de la Place de Mai, a été condamné par contumace à la prison à perpétuité pour l’enlèvement et le meurtre de ces deux religieuses, en France, en 1990. Il a ensuite été condamné à perpétuité par la justice argentine, le 26 octobre 2011.

En 2005, le nom d’Alice Domon et Léonie Duquet a été donné à une rue du 13e arrondissement de Paris.

En tout, il y a eu 16 victimes françaises de la "sale guerre", parmi les 30.000 disparus durant la dictature militaire argentine (1976-1983).