Le pape François a dialogué avec les consacrés de son diocèse, samedi 16 mai, dans la Salle Paul VI, après un temps de témoignages, de danses et de chants – dont un chœur de religieuses de Chine – de différents pays et différents continents, de différentes formes de consécration et différents engagements apostoliques.
Le pape a répondu d’abondance de cœur aux questions posées par quatre consacrés représentant des réalités différentes : une moniale contemplative, une laïque consacrée, un religieux engagé engagé en paroisse, et, ci-dessous, un capucin au service des jeunes en détresse.
La quatrième question a en effet été posée par le père Gaetano Greco, tertiaire capucin de l’Addolorata (« Notre Dame des Douleurs »), aumônier de la prison pour mineurs de Casal del Marmo, à Rome, où le pape François est allé célébrer la messe du Jeudi Saint 2013.
Le père Gaetano explique que c’est par obéissance et à contre cœur qu’après le remplacement d’un confrère, pendant quelques semaines, il a dû assumer ce service. Il l’assure désormais, avec joie, depuis 45 ans. Il a posé une question sur la place et le rôle de la femme consacrée dans l’Eglise.
Père Gaetano Greco – La vie consacrée est un don de Dieu à l’Église, un don de Dieu à son peuple. Mais ce don n’est pas toujours apprécié et valorisé dans son identité et dans sa spécificité. Souvent, dans notre Église locale, les communautés, surtout féminines, ont des difficultés à trouver des accompagnateurs et des accompagnatrices, des formateurs, des directeurs spirituels, des confesseurs sérieux. Comment redécouvrir cette richesse ? La vie consacrée, pour 80 %, a un visage féminin. Comment est-il possible de valoriser la présence de la femme et en particulier de la femme consacrée dans l’Église ?
Pape François – Dans sa réflexion, pendant qu’il racontait son histoire, le père Gaetano a parlé de ce « remplacement de 2 ou 3 semaines » qu’il devait faire à la prison pour mineurs. Il y est depuis 45 ans, je crois. Il l’a fait par obéissance. « Ta place est là », lui a dit son supérieur. Et il lui a obéi à contrecœur. Puis il a vu que cet acte d’obéissance, ce que lui avait demandé son supérieur, était la volonté de Dieu. Je me permets, avant de répondre à la question, de dire un mot sur l’obéissance. Quand Paul veut nous dire le mystère de Jésus-Christ, il emploie cette parole ; quand il veut dire comment a été la fécondité de Jésus-Christ, il emploie cette parole : « Il s’est fait obéissant jusqu’à la mort et la mort sur une croix » (cf. Ph 2,8). Il s’est abaissé. Il a obéi. Le mystère du Christ est un mystère d’obéissance, et l’obéissance est féconde. C’est vrai que, comme toutes les vertus, comme tous les lieux théologiques, il peut y avoir la tentation d’en faire une attitude disciplinaire. Mais l’obéissance dans la vie consacrée est un mystère.
Et de même que j’ai dit que la femme consacrée est l’image de Marie et de l’Église, nous pouvons dire que l’obéissance consiste à ressembler à Jésus sur le chemin qu’il a voulu prendre. Et on en voit les fruits. Et je remercie le père Gaetano pour son témoignage sur ce point, parce qu’on dit beaucoup de choses sur l’obéissance – le dialogue préalable, oui, toutes ces choses sont bonnes, elles ne sont pas mauvaises – mais qu’est-ce que l’obéissance ? Allez voir la lettre de Paul aux Philippiens, chapitre 2 : c’est le mystère de Jésus. C’est seulement là que nous pouvons comprendre l’obéissance. Pas dans les chapitres généraux ou provinciaux : là, on pourra approfondir, mais pour la comprendre, c’est seulement dans le mystère de Jésus.
Passons maintenant à la question : la vie consacrée est un don, un don de Dieu à l’Église. C’est vrai. C’est un don de Dieu. Vous parlez de la prophétie : c’est un don de prophétie. C’est Dieu présent, Dieu qui veut se rendre présent par un cadeau : il choisit des hommes et des femmes, mais c’est un cadeau, un cadeau gratuit. La vocation aussi est un don, ce n’est pas un enrôlement de personnes qui veulent emprunter cette route. Non, c’est le don fait au cœur d’une personne ; le don fait à une congrégation ; et cette congrégation est aussi un don. Mais ce don n’est pas toujours apprécié et valorisé dans son identité et dans sa spécificité. C’est vrai. Il y a la tentation d’homologuer les consacrés, comme s’ils étaient tous la même chose. Au concile Vatican II, il y avait eu une proposition de ce genre, d’homologuer les consacrés. Non, c’est un don avec une identité particulière, qui vient à travers le don charismatique que Dieu fait à un homme ou à une femme pour former une famille religieuse.
Et puis un problème : le problème de savoir comment accompagner les religieux. Souvent, dans notre Église locale, les communautés, surtout féminines, ont des difficultés à trouver des accompagnateurs et accompagnatrices, des formateurs, des pères spirituels et des confesseurs sérieux. Soit parce qu’ils ne comprennent pas ce qu’est la vie consacrée, soit parce qu’ils veulent se mettre dans le charisme et donner des interprétations qui font mal au cœur de la sœur…
Nous parlons des sœurs qui ont des difficultés, mais les hommes aussi en ont. Et ce n’est pas facile d’accompagner. Ce n’est pas facile de trouver un confesseur, un père spirituel. Ce n’est pas facile de trouver un homme avec une rectitude d’intention ; et que cette direction spirituelle, cette confession ne soit pas une belle conversation entre amis mais sans profondeur ; ou trouver ceux qui sont rigides, qui ne comprennent pas bien où est le problème, parce qu’ils ne comprennent pas la vie religieuse… Dans l’autre diocèse que j’avais, je conseillais toujours aux sœurs qui venaient me demander conseil : « Dis-moi, dans ta communauté ou dans ta congrégation, n’y a-t-il pas une sœur sage, une sœur qui vit bien le charisme, une sœur qui a une bonne expérience ?… Fais la direction spirituelle avec elle ! – Mais c’est une femme ! – Mais c’est un charisme des laïcs ! ». La direction spirituelle n’est pas un charisme exclusif des prêtres ; c’est un charisme des laïcs ! Dans le monachisme primitif, les laïcs étaient les grands directeurs.
Maintenant, je lis la doctrine, justement sur l’obéissance, de saint Silouane, ce moine du Mont Athos. Il était charpentier, il faisait le charpentier, puis l’économe, mais il n’était même pas diacre ; c’était un grand directeur spirituel ! C’est un charisme des laïcs ! Et les supérieurs, quand ils voient qu’un homme ou une femme dans cette congrégation ou dans cette province, a un charisme de père spirituel, il faut chercher à aider à se former, pour faire ce service. Ce n’est pas facile. Une chose est le directeur spirituel et une autre est le confesseur. Au confesseur, je vais dire mes péchés, je sens les coups de bâton ; et puis il me pardonne tout et j’avance. Mais au directeur spirituel, je dois dire ce qui se passe dans mon cœur.
L’examen de conscience n’est pas le même pour la confession et pour la direction spirituelle. Pour la confession, tu dois chercher où tu as manqué, si tu as perdu patience ; si tu as éprouvé de l’envie : ces choses, des choses concrètes, qui sont des péchés. Mais pour la direction spirituelle, tu dois faire un exam
en sur ce qui s’est passé dans ton cœur, cette motion de l’esprit, si j’ai eu une désolation, si j’ai eu une consolation, si je suis fatigué, pourquoi je suis triste : ce sont les choses dont parler avec le directeur ou la directrice spirituelle. C’est cela. Les supérieurs ont la responsabilité de chercher qui dans la communauté, dans la congrégation, dans la province, a ce charisme, donner cette mission et les former, les aider en cela.
Accompagner sur la route, c’est marcher pas à pas avec le frère ou avec la sœur consacrée. Je crois que sur ce point nous sommes encore immatures. Nous ne sommes pas mûrs sur ce point, parce que la direction spirituelle vient du discernement. Mais quand tu te trouves devant des hommes et des femmes consacrés qui ne savent pas discerner ce qui se passe dans leur cœur, qui ne savent pas discerner une décision, c’est un manque de direction spirituelle. Et cela, seuls un homme sage, une femme sage peuvent le faire. Mais aussi formés ! Aujourd’hui, on ne peut pas y aller seulement avec de la bonne volonté ; aujourd’hui, le monde est très complexe et les sciences humaines nous aident aussi, sans tomber dans le psychologisme, mais elles nous aident à voir le chemin. Les former par la lecture des grands, des grands directeurs et directrices spirituels, surtout du monachisme. Je ne sais pas si vous avez un contact avec les œuvres du monachisme primitif : que de sagesse de direction spirituelle on y trouvait ! C’est important de les former avec cela. Comment redécouvrir cette richesse ?
La vie consacrée a pour 80 % un visage féminin : c’est vrai, il y a plus de femmes consacrées que d’hommes. Comment est-il possible de valoriser la présence de la femme, et en particulier de la femme consacrée, dans l’Église ? Je me répète un peu dans ce que je veux dire : donner aussi à la femme consacrée cette fonction dont beaucoup pensent qu’elle n’appartient qu’aux prêtres ; et aussi concrétiser le fait que la femme consacrée est le visage de l’Église notre Mère et de Marie notre Mère, c’est-à-dire avancer sur la maternité ; et la maternité, ce n’est pas seulement faire des enfants ! La maternité consiste à accompagner la croissance ; la maternité consiste à passer des heures aux côtés d’un malade, d’un fils malade, d’un frère malade ; c’est dépenser sa vie dans l’amour, dans cet amour de tendresse et de maternité. Sur ce chemin, nous trouverons davantage le rôle de la femme dans l’Église.
Le père Gaetano a touché différents thèmes, c’est pour cela qu’il m’est difficile de répondre… Mais quand on me dit : « Non ! Dans l’Église, les femmes doivent être chefs de dicastère, par exemple ! ». Oui, c’est possible, dans certains dicastères c’est possible ; mais ce que tu demandes là, c’est un simple fonctionnalisme. Ce n’est pas cela, redécouvrir le rôle de la femme dans l’Église. C’est plus profond et cela va sur cette route. Oui, qu’elle fasse ces choses, qu’elles soient promues – actuellement, à Rome, nous en avons une qui est recteur d’une université, et bien tant mieux ! – ; mais ce n’est pas un triomphe. Non, non. C’est quelque chose de grand, c’est quelque chose de fonctionnel ; mais l’essentiel du rôle de la femme– je vais le dire en termes non théologiques – consiste à faire en sorte qu’elle exprime le génie féminin. Quand nous traitons un problème entre hommes, nous arrivons à une conclusion, mais si nous traitons le même problème avec les femmes, la conclusion sera différente. Elle ira sur cette route, mais plus riche, plus forte, plus intuitive. C’est pour cela que la femme dans l’Église doit avoir ce rôle ; il faut expliciter, aider à expliciter de nombreuses manières le génie féminin.
Je crois qu’avec cela, j’ai répondu comme j’ai pu aux questions et à la tienne. Et à propos de génie féminin, j’ai parlé du sourire, j’ai parlé de la patience dans la vie de communauté, et je voudrais dire un mot à cette sœur de 97 ans que j’ai saluée : elle a 97 ans… Elle est là, je la vois bien. Levez la main, pour que tout le monde la voie… J’ai échangé deux ou trois mots avec elle, elle me regardait avec des yeux limpides, elle me regardait avec ce sourire de sœur, de maman et de grand-mère. En elle, je veux rendre hommage à la persévérance dans la vie consacrée. Certains croient que la vie consacrée est le paradis sur terre. Non ! Peut-être le purgatoire… Mais pas le paradis ! Ce n’est pas facile de continuer. Et quand je vois une personne qui a dépensé toute sa vie, je rends grâce au Seigneur. À travers vous, ma sœur, je remercie toutes et tous les consacrés. Merci beaucoup !
© Traduction de Zenit, Constance Roques