Aristote a pris comme point de départ de son étude, non pas les récits mythiques aux sources invérifiables qui, comme l’horizon, s’éloignent plus on avance. Vers l’an 350 avant Jésus Christ, il prend une décision historique pour la démarche de la pensée : son point de départ sera le réel. Puisqu’il est question de tenter de comprendre de quoi sont faits les êtres vivants, étudions des êtres vivants.
Aristote va donc mener deux débats, l’un avec les disciples atomistes de Démocrite qui prétendent que tous les êtres vivants, plantes, animaux, êtres humains sont faits par hasard, c’est-à-dire sans aucune intervention d’intelligence, affirmation qui constitue encore le fondement du matérialisme. Interprétation que lui, Aristote, tient pour mania (folie).
Sur un autre front, Aristote est engagé dans un second débat, avec Platon, à propos de la structure des mêmes êtres vivants…(1) La matière est-elle autonome ? Peut-elle être active ?
Or chacun peut constater que la découverte de l’ADN vient apporter une réponse très intéressante à ces deux débats menés de front. Grâce à notre connaissance toute récente du message génétique, nous voyons bien que les atomes (malgré les souhaits de Démocrite et de tout le courant atomiste dont il est le père fondateur) les atomes sont incapables de s’organiser tout seuls, sans intelligence, pour faire un rhododendron, un alligator, un être humain. Les atomes ont besoin des instructions rédigées sur le message génétique de l’individu en question. Car un message génétique c’est de l’information contenue de façon particulièrement intelligente sur un support, comme sur les pages d’un livre, sur une partition ou sur un plan d’architecte. (2)
Il y a bien de l’intelligence à l’œuvre, car un message intelligible et intelligent est toujours l’œuvre d’une intelligence. Personne ne sait où se situe cette intelligence organisatrice, ni qui elle est, mais les chercheurs poursuivent leurs recherches.
En attendant, nous avons trouvé la réponse à la question de la semaine dernière qui occupait Platon : Mais alors ? Si l’individuation par la « matière » est impossible, si ce n’est pas la « matière » qui me différencie de mon voisin, c’est quoi ?
Aristote répondait déjà : « C’est le plan de construction ».(3)
Que disent les biologistes d’aujourd’hui ? Ils disent comme lui : « C’est le plan de construction. » En effet, nous savons avec certitude que la « matière », les « atomes », sont bien incapables de nous différencier puisque je suis constitué des mêmes atomes que mon voisin. Mes atomes sont même identiques à ceux des animaux et des plantes ! Et même des cailloux ! Il n’existe pas d’atomes différents, d’atomes spéciaux, pour constituer d’un côté la « matière inerte » et de l’autre la « matière animée »… Ce sont les mêmes atomes !
D’où la conclusion : l’ancienne formulation ignorante qui parlait de « matière vivante » est devenue totalement obsolète : la « matière vivante » n’existe pas. Ce qui est vivant ce n’est pas de la « matière », mais un organisme, autrement dit un « psychisme » comme disait déjà Aristote. Un principe qu’il nommait « psychè-anima-âme, porteur d’instructions pour les atomes. Une psyché qui organise des atomes identiques à ceux qui constituent ce caillou, mais dans une organisation telle que nous n’avons pas affaire à un caillou de matière « inerte » mais à une plante ou un animal ou un virus, un monocellulaire qui n’est en aucun cas « de la matière vivante », mais que l’on peut nommer : de la matière « animée », c’est-à-dire organisée par un principe organisateur qui donne des instructions aux atomes (qui ne sont pas vivants).
Platon croyait que la matière était responsable de l’individuation, il s’était trompé. Et dans ce débat, c’est son élève Aristote qui avait raison. Non pas que « la science ait réponse à tout » mais en l’occurrence, ici comme souvent, la lecture du « livre de la nature » par les sciences expérimentales nous délivre de fausses croyances qui entravaient l’exercice normal de notre intelligence pour tenter d’y voir clair dans cet Univers.
L’autre débat, avec Démocrite : « les atomes sont- ils capables de s’organiser tout seuls, sans aucune intelligence organisatrice, pour faire des êtres vivants ? » Oui, affirme encore aujourd’hui le grand courant « matérialiste » issu de Leucippe et Démocrite. Étrange affirmation à l’heure où les chercheurs apprennent à « lire » le message génétique ! Cette lecture, ce « séquençage de l’ADN » nous enseigne au contraire que les atomes reçoivent des instructions précises pour me construire en tant qu’être humain. Ils obéissent également aux instructions qui vont faire de moi un individu masculin ou féminin, la couleur de ma peau et celle de mes cheveux et de mes yeux ne sont pas aléatoires non-plus, elles dépendent également des instructions intelligentes de mon message génétique lui-même rédigé à partir de la rencontre des deux messages de mes parents. Aristote avait vu juste une fois de plus et son hypothèse de l’existence d’un dieu intelligent ou d’un brillant organisateur (démiurge) qui faisait beaucoup rire les partisans de Démocrite, ne fait plus rire personne. Son hypothèse d’une intelligence créatrice est à prendre au sérieux, puisque non seulement il faut de l’intelligence pour constituer des êtres vivants, mais aussi pour construire tout ce qui est composé. Car on apprend que dans l’Univers, tout se fait par transmission d’information. Pour tout commencement, était l’information, le message, les instructions, le plan de construction. Et sans information, rien ne fut…
(A suivre la semaine prochaine)
- Voir les épisodes précédents. http://www.brunor.fr/PAGES/Pages_Chroniques/57-Chronique.html
- Voir les chroniques 11, 12 et 13 http://www.brunor.fr/PAGES/Pages_Chroniques/11-Chronique.html
- Voir le tome 5 des indices pensables, L’Être et le néant sont dans un bateau.
- Voir le nouveau livre : rendre au hasard ce qui est au hasard par Brunor. 150 pages, 60 dessins inédits. 10 euros. Chez Brunor éditions. Ou lire chronique 32