Lutter contre le trafic des êtres humains: ce que l'Eglise peut faire

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Prévention, accueil, plaidoyer, réseau

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« Ce que l’Eglise peut faire » pour lutter contre la traite des êtres humains est répertorié dans ce document présenté au Vatican ce 29 avbril par le cardinal Antonio Maria Veglio, président du Conseil pontifical pour la pastorale des migrants et des réfugiés. Ce thème a été l’objet de la réflexion de l’Académie pontificale des sciences sociales. Le document avait été annoncé lors de la conférence de presse de conclusion des travaux, par sa présidente, Mme Margaret Archer.

Principalement, le document recommande de « soutenir et entreprendre des activités de prévention », notamment en direction des personnes à risque, des professionnels ou de l’opinion publique.

Seconde recommandation: « fournir un abri sûr aux victimes de la traite dans les pays de destination, de transit et d’origine (pour les victimes de la traite rapatriées) ; fournir une assistance sociale, médicale, psychologique et juridique individuelle, ainsi que des formations professionnelles », mais aussi assistance spirituelle.

Troisième recommandation: développer le« plaidoyer politique » pour « affronter les causes profondes de la traite, en cherchant à plaider en faveur d’alternatives pour les groupes vulnérables ». 

Quatrième recommandation, le travail en réseau pour « travailler, à la fois nationalement et internationalement, dans des réseaux interdisciplinaires, où la collaboration entre autorités, ONG et organisations internationales s’améliore » et pour « établir des réseaux au sein de l’Église et des organisations confessionnelles ».

Voici le texte intégral du document, publié par le dicastère.

Engagement chrétien

“Crées à l’image de Dieu, traités comme des esclaves…”

« La personne humaine ne devrait jamais se vendre ou s’acheter comme une marchandise. Celui qui l’utilise et l’exploite, même indirectement, se rend complice de ce mépris. »

Pape François

Introduction

Chaque année, des milliers de personnes sont trompées et vendues comme esclaves pour le travail forcé, la prostitution ou la mendicité. En d’autres mots, elles deviennent victimes de la traite humaine.

La traite humaine est une forme moderne d’esclavage. Elle comprend le fait de contrôler une personne par la force ou la coercition dans le but de la soumettre au travail forcé ou à l’exploitation sexuelle, les liens d’endettement ou toute autre forme de servitude. La traite humaine dépouille ses victimes de leur liberté et viole leur dignité de personne humaine créée à l’image de Dieu. C’est aussi, avant tout et surtout, un crime.

Une fois qu’une personne tombe victime de la traite, s’échapper de cette situation est toujours très difficile et souvent dangereux. Les survivants de la traite, s’ils réussissent à fuir, sont presque inévitablement confrontés à une multitude de difficultés. Ils n’ont aucun accès aux droits légaux, à la couverture médicale et aux services de conseil. Ils peuvent se retrouver confrontés à la criminalisation et à la persécution, ainsi qu’à la stigmatisation et à la discrimination, et cela ne concerne pas que la personne victime de la traite, mais aussi sa famille et son environnement. En outre, toute assistance est souvent pour eux dépendante de leur collaboration avec les autorités, sans qu’il soit fait cas du danger auquel cela pourrait les exposer.

Selon les estimations de l’OIT, il y a au moins 2,4 millions de personnes victimes de la traite à tout moment. Cependant, il n’y a que quelques milliers de condamnations pour traite humaine chaque année[1]. La plupart des victimes ne sont pas identifiées et de ce fait il ne leur est jamais fait justice pour le tort infligé[2]. Malgré la prise de conscience croissante et des mesures de détection et de répression, la traite reste une entreprise à faible risque et très rentable. L’OIT estime que les profits annuels réalisés à travers la traite des êtres humains s’élèvent à pas moins de 32 milliards de $US.

« Les causes fondamentales » de la traite humaine dans les pays d’origine comprennent la spoliation des droits humains élémentaires et de l’accès aux besoins de base, donc la pauvreté extrême, dont sont en particulier victimes les femmes, le manque de stabilité politique, sociale et économique, les situations de conflit armé et d’oppression, le statut inférieur des femmes dans certaines cultures et la violence domestique.

Dans les pays de destination, la traite se produit à cause de la demande d’ouvriers peu chers et exploitables, entre autres à la ferme, dans les poissonneries, sur les chantiers, pour le travail domestique. Le manque de respect pour la dignité humaine aboutit aussi à la traite pour mariage forcé ou pour le prélèvement d’organes. La « culture de l’indifférence » comme l’a appelée le pape François, porte à la violence et aux mauvais traitements. Elle n’est pas suffisamment contrastée par les autorités, l’opinion publique, les éducateurs et l’Église.

Les autres « facteurs » sont : le manque de conscience publique sur la traite dans le large public et parmi les groupes cibles vulnérables en particulier ; le potentiel de profit élevé pour ceux qui se lancent dans l’activité criminelle de la traite humaine ; l’absence d’une législation anti-traite efficace, et même si une telle législation existe, l’inefficacité de l’application de cette législation par les autorités responsables. C’est souvent le résultat de la corruption, d’obstacles aux canaux de migration légale vers les pays ayant une économie plus forte et/ou vers les régions ayant de meilleures perspectives.

Les efforts pour combattre la traite des êtres humains devraient chercher à cerner et affronter toutes ou du moins la plupart des causes ci-dessus. Une difficulté particulière est posée par la complexité de l’approche au côté « demande » du phénomène. Dans beaucoup de cas, le « demandeur » peut même ne pas être conscient que la personne est victime du crime de traite. Cette difficulté requiert donc un large spectre d’efforts dans la sensibilisation des masses, à travers les médias, à travers des programmes d’éducation, à travers le débat public et à travers les Églises.

La traite humaine est un « business international » à croissance rapide et très lucratif, qui inexorablement porte à la destruction de la vie de centaines de milliers de personnes. Le phénomène est de dimension internationale et ne peut être traité dûment qu’à travers des efforts combinés.

L’Église, y compris les congrégations religieuses, les organisations catholiques et les fidèles, ont un potentiel unique et – par défaut – l’obligation de s’impliquer dans un effort coordonné au niveau mondial pour combattre la traite des êtres humains.

Ce que l’Église peut faire

Prévention et sensibilisation : soutenir et entreprendre des activités de prévention, principalement à travers la sensibilisation. Les activités de sensibilisation peuvent viser lesgroupes à risque, (p. ex. les personnes qui ont l’intention de migrer en quête d’un travail loin de chez elles, au sein ou en-dehors de leur propre pays, les migrants en situation irrégulière, ou les groupes q
ui, à cause de leurs circonstances, courent davantage le risque de tomber victimes du crime de traite), leséducateurs et professionnels (comme les médecins, les prêtres, les infirmières, les travailleurs sociaux non spécialisés et les fonctionnaires gouvernementaux), ou legrand public.

Assistance aux victimes de la traite : fournir un abri sûr aux victimes de la traite dans les pays de destination, de transit et d’origine (pour les victimes de la traite rapatriées) ; fournir une assistance sociale, médicale, psychologique et juridique individuelle, ainsi que des formations professionnelles pour permettre aux victimes de trouver du travail. Pour être efficace, l’assistance devrait aussi faire particulièrement attention à la guérison spirituelle de la victime de la traite et à sa pleine réhabilitation spirituelle et mentale, afin de lui permettre de gérer la souffrance à vie que la traite ne manque jamais de provoquer.

Plaidoyer : le travail de plaidoyer politique est aussi important que l’assistance aux victimes de la traite, et devrait en particulier affronter les causes profondes de la traite, en cherchant à plaider en faveur d’alternatives pour les groupes vulnérables. Le plaidoyer dans les pays de destination et envers les institutions internationales devrait viser spécifiquement à assurer qu’une législation appropriée est en place et qu’elle est dûment appliquée au niveau national et international pour protéger les victimes de trafic, pour punir les trafiquants et pour garantir les droits des victimes de la traite, mais aussi être dirigé envers les politiques migratoires et économiques qui réduisent la vulnérabilité des personnes à la traite. Enfin, le plaidoyer devrait mettre en lumière le besoin d’éradiquer le travail forcé et favoriser la promotion de conditions de travail décentes.

Réseautage : Il est très important de travailler, à la fois nationalement et internationalement, dans des réseaux interdisciplinaires, où la collaboration entre autorités, ONG et organisations internationales s’améliore. En même temps, il faut aussi établir des réseaux au sein de l’Église et des organisations confessionnelles, afin de renforcer la collaboration et la coordination des différents efforts, ainsi qu’avec les partenaires œcuméniques d’autres églises. Le réseautage devrait viser à améliorer l’assistance transfrontalière et la protection des victimes de la traite. Le réseautage est aussi un outil pour le plaidoyer commun en quête d’une amélioration de la législation au niveau international et national et à sa mise en pratique.

À cette fin, les organisations chrétiennes, y compris les membres de Caritas qui sont impliqués ou pensent s’impliquer dans le combat contre la traite humaine peuvent utiliser un instrument et outil déjà existant dans le réseau Caritas Internationalis – Christian Organisations Against Trafficking in humans NETwork (COATNET). Ce réseau comprend des forums de discussion et d’échange de bonnes pratiques, un renforcement des capacités, il plaide au niveau mondial au nom de ses membres, et favorise aussi la coopération entre membres et avec les parties prenantes (www.coatnet.org).

Par où commencer

Aider à la prévention et à la sensibilisation sur la traite dans les communautés chrétiennes de base, les écoles, les paroisses et les centres sociaux à travers des homélies, des discussions et d’autres moments importants. Les informer des dangers de la traite, des risques de tomber en proie à des agences de recrutement peu scrupuleuses, de la nécessité de garder ses documents et d’autres dangers encore (consulter le site web de COATNET www.coatnet.org pour plus de renseignements)Organiser des événements de prière et d’information pour la Journée internationale de prière et de prise de conscience contre la traite humaine (Journée internationales de la traite, le 8 février, jour de la Saint Bakhita), promue par le Conseil Pontifical pour la Pastorale des Migrants et des Personnes en Déplacement, le Conseil Pontifical ̏Justice et Paix ̋ et l’Union internationale des Supérieurs généraux (UISG et USG). Du matériel de prière peut être consulté sur www.coatnet.orgDévelopper des projets visant à offrir une aide aux victimes, en particulier juridique et psychosociale, et un soutient spirituelÉtablir une collaboration avec les organisations locales aidant les victimes (pour l’aiguillage et la hotline) et les organisations d’application des lois, construire des alliances. Rejoindre COATNET pour une meilleure coordination de la stratégie confessionnelle et une voix unie sur la scène internationalePlaider pour des lois contre la traire et leur application dans votre paysDévelopper vos propres lignes guides en fonction de votre contexte local

Les bonnes pratiques qui peuvent être répliquées dans votre contexte

Projet de Caritas Sri Lanka, Caritas Liban et Caritas Népal : Réseautage entre les pays émetteurs et récepteurs de travail pour prévenir l’exploitation du travail et aider les victimes.

Caritas Sri Lanka diffuse l’information sur les services fournis par Caritas Liban et Caritas Jordanie aux migrants et aux victimes de la traite et sur leurs abris pour les aspirants migrants durant leurs programmes de sensibilisation d’avant départ. Caritas Sri Lanka aide les familles des victimes de la traite humaine au Liban et en Jordanie. Une fois informées, Caritas Liban et Caritas Jordanie localisent les victimes et partagent l’information en leur rendant visite dans les centres de détention et dans les maisons de leurs employeurs. Caritas Sri Lanka fournit une aide à l’aéroport à ces victimes, à leur arrivée.

Plaidoyer international

Caritas Internationalis, en collaboration avec les organisations internationales de la société civile, ont participé au processus de pression pour une convention sur le travail décent pour les travailleurs domestiques, ce qui comprend les migrants et les mineurs de moins de 18 ans. Cette convention (convention OIT 189/2011) a été adoptée durant la CIT 2011, puis ouverte à la ratification. CI a préparé un guide pour ses OM expliquant la Convention et afin qu’ils puissent relever le défi de faire un travail de plaidoyer au niveau national et d’exiger de leurs gouvernements nationaux respectifs qu’ils modifient leurs lois, pour les rendre plus favorables aux travailleurs domestiques et qu’ils les alignent à la Convention, pour se préparer à sa ratification. Dans le même guide, CI analyse certains des articles de la convention qui sont très pertinents pour les travailleurs domestiques mineurs et pour les travailleurs domestiques migrants. Pour les travailleurs domestiques migrants, il y a des dispositions importantes telles qu’un contrat qui devrait être signé avant le départ du pays d’origine et être valide dans le pays de destination. Il y a aussi des dispositions pour le suivi des agences de recrutement internationales et des sanctions pour celles qui ne respectent pas les règles. Il y a aussi le principe de l’accès aux mécanismes de redressement. Pour toutes ces raisons, il est très important de promouvoir la ratification de cette convention pour protéger les droits de tous les travailleurs domestiques, y compris des migrants, ce qui préviendrait aussi la traite.

CI a organisé/participé à divers événements pour promouvoir la ratification de la convention et des témoins de Caritas nationales ont suivi certains d’entre eux, ou encore des responsables du plaidoyer de CI ont raconté leurs histoires à des publics internationaux pour leur faire mieux comprendre la gravité de la question et l’importance d’assurer que le travail domestique devi
enne un travail formalisé et régulé par la loi et par des accords nationaux.

Plaidoyer national

Secours Catholique – Caritas France a cherché à mettre ensemble la connaissance et l’expertise de la société civile en créant un grand réseau national de la société civile pour suivre la mise en œuvre du « Plan d’action nationale de lutte contre la traite 2014 – 2016 ». Ce collectif de 23 organisations françaises appelé « Ensemble contre la traite des êtres humains », coordonné par Secours Catholique, a rencontré différents fonctionnaires gouvernementaux pour rappeler au Gouvernement que la mise en œuvre du Plan d’action nationale et d’une importance capitale.

Le Plan d’action nationale est à présent décrété et est sur le point d’être mise en œuvre, ce qui est une étape majeure vers de meilleures mesures de prévention et de protection pour les victimes de la traite humaine. Secours Catholique et ses partenaires seront vigilants sur la mise en œuvre du plan : des fonds suffisants devraient y être dédiés, et toutes les formes de traite humaine devraient être combattues, avec le respect qui se doit aux victimes, en particulier les plus vulnérables telles que les enfants.

Projet sur la sensibilisation parmi les chefs religieux communautaires

Caritas Albanie coordonne des initiatives communes entreprises avec l’Église orthodoxe et les Églises évangéliques en Albanie pour sensibiliser les consciences contre la traite humaine. Un groupe œcuménique, qui comprend des chefs d’églises orthodoxes, catholiques et protestantes, a été créé pour unir les forces contre la traite. Le Coordinateur national sur la traite et le Ministère des affaires intérieures ont aussi participé aux réunions du groupe. Il organise des programmes de formation pour les jeunes, qui sont impliqués dans les activités sociales dans leurs paroisses, et pour les groupes de femmes, rencontre les institutions publiques responsables de la lutte contre la traite, telles que la police (pour aiguiller les victimes vers les services fournis par les Églises), les prisons (en offrant des services sociaux et formatifs aux femmes victimes). Le groupe organise aussi des campagnes de sensibilisation communes au niveau national pour chaque communauté.

Les activités du groupe comptent aussi la participation de communautés musulmanes. Le groupe a aussi établi une coopération avec le clergé et les religieux, et en particulier avec les prêtres, les sœurs religieuses et les imams, de pays voisins comme la Macédoine et le Kosovo.

Les projets ci-dessus peuvent être pris comme exemples à reproduire dans son propre contexte. Les membres de COATNET peuvent diffuser plus d’informations issues de leur expérience et dans certains cas, pourraient fournir une assistance technique. Vous trouverez plus de renseignements sur le travail du réseau sur notre site web: www.coatnet.org

[1] Selon le Rapport Trafficking in Persons (TIP) produit par le gouvernement US, le nombre estimé de condamnations en 2014 est de 5776. (http://www.state.gov/j/tip/rls/tiprpt/2014/?utm_source=NEW+RESOURCE:+Trafficking+in+Persons+R)

[2] En 2014, le nombre de victimes identifiées est de 44 758 (selon le même Rapport TIP)

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ZENIT Staff

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