« Dieu ou rien » : c'est le titre du livre d'entretien sur la foi publié (aux Ed. Fayard) par le cardinal Robert Sarah, Préfet de la Congrégation pour le culte divin et la discipline des sacrements. Il invite notamment l'Occident à « réveiller le génie du christianisme », comme il l'explique dans cet entretien avec Zenit dont voici le second volet. Après avoir évoqué le "génie du christianisme" et en quelque sorte le "génie de l'Afrique" dans le premier volet, le cardinal Sarah explique ici l'importance du dialogue avec l'islam et il offre quelques répère pour l'Année sainte extraordinaire de la Miséricorde divine.

Le dialogue avec l’islam est possible

Le cardinal Sarah évoque en particulier les relations entre christianisme et islam en Afrique : « Jusqu’à ces derniers temps, les chrétiens et les musulmans vivaient en parfaite harmonie. Par exemple au Sénégal, qui compte 95% de musulmans, ou en Guinée, où vivent 73% de musulmans et à peine 4 % de chrétiens, nous n’avons jamais été confrontés à un conflit opposant chrétiens et musulmans. A la cathédrale Sainte Marie de Conakry, à Noël, autant de chrétiens que de musulmans affluent en grande nombre pour entendre le message d'un Dieu qui s’approche des hommes parce qu’il les aime. Le fanatisme, avec les fleuves de sang qu’il fait couler et la violence barbare qu’il déploie, est venu très tardivement, dans les années 75, après que certains Africains aient été formés dans des universités islamiques en Arabie saoudite ou en Libye, ou ailleurs. Des luttes religieuses et des massacres ont rarement vu le jour en Afrique. Ce qui se passe aujourd’hui, au nom de l’Islam, est de la pure barbarie perpétrée par des barbares sans Dieu, sans Foi ni loi ».

Mais il exprime sa conviction que « le dialogue est toujours possible » : « On a vécu dans une grande harmonie, et surtout chrétiens et musulmans se stimulent mutuellement dans la fidélité à la prière. Par exemple quand un chrétien entend le muezzin à 4 h du matin, il est interpellé et stimulé à donner, lui aussi, le Primat à Dieu et à la prière. Et nous, à notre tour, nous stimulons les musulmans à vivre une prière qui ne soit pas seulement un acte extérieur ou rituel mais une relation personnelle et intime avec Dieu qui compromet ma vie, ma vie professionnelle, familiale, toute mon existence et tout mon être. La prière devient alors une harmonie parfaite de l’esprit et du corps, baignant tous deux dans la clarté de la lumière divine ».

Si le dialogue est difficile « sur le plan théologique », le cardinal préconise de privilégier « le plan pratique, le plan social, une étroite collaboration pour la défense de la vie, de la dignité de la personne humaine, de la religion dans le monde, de la famille. Dans certains domaines de l’existence humaine nous sommes proches des musulmans et je crois que c’est à ce niveau-là qu’on peut insister en vue d’une meilleure connaissance mutuelle et d’un combat commun en faveur des valeurs humaines fondamentales. Mais il faut que le dialogue soit éclairé, sincère, ouvert, respectueux, qu’il ne soit pas ingénu ni dépourvu de contenu. Il doit être mené sans dissimulation ni fermeture, dans la vérité, l’humilité et la loyauté ».

Il diagnostique en Occident un « manque de transmission des valeurs et de l’héritage chrétien » conduisant notamment de jeunes européens à rejoindre les djihadistes au Moyen-Orient : « Aujourd’hui on ne communique plus l’héritage qui a façonné notre culture, notre civilisation, à nos enfants. Tout est centré sur la technologie, sur la réussite humaine, politique et économique, mais les valeurs humaines, chrétiennes, religieuses, morales, sont absolument ignorées ou négligées. »

Mais accuser les religions d'être à l'origine de la violence, « c’est une mauvaise analyse », estime-t-il : « Ceux qui combattent, tuent et terrorisent au nom de Dieu, ce ne sont pas des croyants, ils combattent au nom d’une idole qu’ils ont créée eux-mêmes, une idole à laquelle ils attribuent leurs idées, leurs ambitions politiques ou économiques... Ils utilisent Dieu et la religion pour combattre, tuer, humilier, violer, mais ils combattent surtout pour leurs idéologies ».

La miséricorde, mission de l’Église

Enfin, le cardinal salue l'Année Sainte de la Miséricorde annoncée par le pape François le 13 mars dernier : « Cette Année de la Miséricorde réveille l’Église à sa mission. Dieu nous a envoyés pour manifester sa miséricorde, son amour à toute la création. La mission de l’Eglise, c’est de prêcher la conversion et révéler l’Amour et la miséricorde à tous les hommes ».

Cependant il ne s’agit pas de « miséricorde à l’eau de rose » : « Détrompons-nous : cette année jubilaire ne se contente pas de nous maintenir dans une nonchalance paresseuse et une fausse idée d’un Dieu miséricordieux qui pardonne mais n’exige rien de notre part. Oui, Dieu pardonne lorsque notre cœur entend son appel à la conversion, lorsque nous accueillons sa Parole et que l’Evangile nous transforme progressivement mais radicalement. On ne met pas le vin nouveau de la miséricorde divine dans des vieilles outres. Si nous combattons énergiquement et véritablement contre nos péchés, si nous abandonnons le mal, Dieu nous inonde d’Amour et de pardon ». Peut-on se vêtir d’une robe de soie lorsqu’on patauge dans la boue et qu’on ne montre aucun désir d’en sortir ?

Il souligne que le pape François poursuit l'apostolat de la miséricorde de ses prédécesseurs : « Je pense qu’à travers les souffrances de Benoît XVI comme celles de Jean-Paul II, l’Église a connu une grande expansion, un grand rayonnement, qui n’est rien d’autre que l’amour de Dieu qui touche  les hommes, et les atteint pour les régénérer. »

Le cardinal rappelle que c'est Jean-Paul II qui a institué le Dimanche de la Miséricorde, dans l'octave de Pâques : le saint pape « a connu ce qu’est la miséricorde parce qu’il a vécu le communisme et la persécution, et que son corps a été traversé par une souffrance énorme, qu'il a expérimentée jusqu’à la dernière minute lorsqu’il ne pouvait même pas dire un mot. Dans la souffrance extrême, sa crucifixion physique, Jean-Paul a vécu et touché de ses mains la miséricorde divine ». La miséricorde n’est pas un discours, mais une expérience des exigences de l’Amour divin tel qu’il s’exprime au sommet de la Croix.

C’est en effet « à travers la misère de la souffrance », en union avec celle du Christ, que l'homme peut « goûter ce qu’est la vraie miséricorde de Dieu ». « Nous ne pouvons pas rester dans notre nonchalance, dans notre péché pour dire que Dieu est miséricorde. Il faut participer à sa croix, à sa souffrance. C’est dans la conversion et l’adhésion aux exigences de l’Evangile que l’on goûte véritablement la présence paternelle de Dieu dans notre vie. Alors on accueillera mieux sa miséricorde qui est régénératrice, qui nous divinise – parce que la miséricorde nous porte à Dieu – nous assimile à Dieu et nous rend, comme Lui, capables de pardonner, de porter les souffrances des autres, de vivre avec les autres pour soulager leurs souffrances », conclut-il.

Avec Constance Roques

Propos recueillis par Anita Bourdin