La Prière Eucharistique (13)

« La nuit même où il fut livré… »

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La Prière Eucharistique (13) : « La nuit même où il fut livré… »

Le Jeudi saint, le prêtre ajoute : « c’est-à-dire aujourd’hui ». A l’intention de ceux qui lisent cette chronique au moment où elle paraît, j’anticipe dans la lecture de la Prière III pour être en phase avec la Semaine Sainte. Je reviendrai en arrière dans la prochaine chronique.

Eucharistie et Passion, intimement liées

En latin, les termes de la Prière sont ceux-là mêmes de la 1ère épître de saint Paul aux Corinthiens : « J’ai moi-même reçu ce qui vient du Seigneur, et je vous l’ai transmis : la nuit où il était livré… » (I Corinthiens 11, 23). Le français a précisé « la nuit même » pour ceux qui n’auraient pas bien compris. Saint Matthieu et saint Marc sont aussi clairs : « Après avoir chanté les psaumes… » qui accompagnent le repas pascal, « ils partirent pour le Mont des Oliviers ». Saint Luc rapporte, après le repas, un dialogue avec les apôtres et enchaîne : « Jésus sortit pour se rendre, selon son habitude, au mont des Oliviers… »

L’intention de tous ces auteurs est donc bien nette : l’institution de l’Eucharistie et la Passion sont liées. Chronologiquement, à coup sûr. Mais logiquement ? Si la liturgie rappelle cette notation chronologique, c’est pour manifester le lien qui unit, à tout jamais, l’Eucharistie et la Passion. Qui dit « Passion » dit la Mort et la Résurrection du Seigneur : « élevé » sur la Croix, comme dit saint Jean, le Christ est déjà victorieux.

Presque toutes les Prières eucharistiques ont une formule analogue pour introduire le récit de l’institution. « La veille de sa Passion… », dit le Canon romain. La Prière II reprend les mots de la Tradition apostolique : « Au moment d’être livré et d’entrer librement dans sa Passion… », traduction d’une expression latine encore plus paradoxale dans sa brièveté (Qui cum Passioni voluntarie traderetur…)

Comme pour l’entrée triomphale à Jérusalem le jour des « Rameaux », Jésus a organisé ce repas qu’il prend avec les apôtres, « les Douze », précise saint Matthieu. Y compris Judas, au moins au début, car, au cours du repas, « il sortit ; c’était la nuit ». Dans les deux cas, Jésus associe les disciples à la préparation de l’événement : « Allez au village… » ; « Allez à la ville, chez un tel… » Il avait fait de même quand il avait fallu nourrir la foule : il avait envoyé les disciples recueillir ce qu’ils pouvaient. La collecte avait d’ailleurs été maigre.

L’annonce de sa Pâque

Lors de la Cène, Jésus a-t-il suivi intégralement le rituel du repas pascal ? Dans les récits, il n’est pas question de l’agneau. Jésus, mis à mort le lendemain, est le véritable Agneau pascal. Inversement, saint Luc signale une première coupe, avec une parole sur la venue du Royaume, comme dans le repas pascal juif, dans l’attente des derniers temps. Le chant des psaumes, lui aussi, correspond bien à un repas pascal.

Quoiqu’il en soit du rituel exact, nous sommes dans l’ambiance de la Pâque : « Mon temps est proche ; je veux célébrer la Pâque avec mes disciples. »

Chaque année, en célébrant le repas pascal, les Juifs font mémoire de leur libération d’Egypte. Dans la nourriture même qui se trouve sur la table, chaque élément rappelle symboliquement cette histoire. Le plus jeune enfant de la famille interroge le père pour avoir le sens de ce repas exceptionnel.

Jésus, par sa mort et sa résurrection, opère, au bénéfice de toute l’humanité, la libération du péché. L’Eucharistie en est le mémorial : nous reviendrons sur ce mot dans une autre chronique.

Ses adversaires reprochaient à Jésus de manger et de boire, contrairement à Jean-Baptiste. De fait, les repas sont nombreux dans les récits évangéliques. Ils n’ont pas tous une dimension pascale. Mais le repas du Jeudi saint, et donc l’Eucharistie, n’a aucun sens en dehors de la Passion. Le corps est « livré » ; le sang est « versé ». La désaffection des chrétiens par rapport à l’Eucharistie a peut-être, entre autres causes, le désir inconscient d’oublier la Passion.

A trois reprises, Jésus avait annoncé aux apôtres sa Passion. Les disciples avaient pu constater que l’hostilité montait. Ils voulaient le dissuader de monter à Jérusalem : « Rabbi, tout récemment, les Juifs cherchaient à te lapider et tu y retournes ? » (Jean 11, 8). Le soir même du Jeudi saint, dans saint Jean, Jésus explique le sens de ce qu’il vient de faire en lavant les pieds de ses disciples : « Je vous dis ces choses dès maintenant, avant qu’elles n’arrivent ; ainsi, lorsqu’elles arriveront, vous croirez que, moi, Je suis » (Jean 13, 19).

A partir du moment où Jésus sera arrêté, il sera happé par la mécanique de la violence. Il sera comme l’agneau qu’on mène à l’abattoir (Isaïe 53, 7). Dans ce repas dont il prend l’initiative et par les paroles qui accompagnent le don de son corps et de son sang, il manifeste la liberté de son offrande. Il manifeste qu’il est Amour. Il ne se suicide pas mais il se livre.

Et dans Saint Jean ?

Les récits des trois évangiles synoptiques et de saint Paul (le premier à avoir été mis par écrit) rejoignent le Quatrième évangile. Saint Jean ne rapporte pas l’institution de l’Eucharistie, amplement évoquée dans le Discours sur le Pain de Vie (chapitre 6). Mais le prologue du Lavement des pieds convient parfaitement à l’institution de l’Eucharistie. « Avant la fête de la Pâque, sachant que l’heure était venue pour lui de passer de ce monde à son Père, Jésus, ayant aimé les siens qui étaient dans le monde, les aima jusqu’au bout. » (Jean 13, 1) J’aime mieux dire : « … mit le comble à son amour. »

« Au cours du repas », continue saint Jean, il lave les pieds de ses disciples : « scandale pour les Juifs », et pour Pierre le tout premier ; « folie pour les païens », que nous sommes encore. « Scandale » et « folie », ce sont les termes que saint Paul emploie dans la Première épître aux Corinthiens, déjà citée.

Le lavement des pieds a d’autant plus de relief que, chez saint Jean, le Christ, même dans la Passion, reste souverain. Par le geste de la veille au soir, il montre que la souveraineté est dans le service, librement consenti avec son Père. L’Eucharistie ne dit pas autre chose.   

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Jacques Perrier

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