« En dépit de tous nos efforts, nous ne pouvons pas "comprendre" le mystère de la Trinité, mais nous pouvons faire quelque chose de encore plus beau : entrer en elle », en « adorant », souligne le P. Cantalamessa.
Le P. Raniero Cantalamessa, ofmcap., prédicateur de la Maison pontificale, a prononcé sa deuxième prédication de carême sur le thème « Orient et Occident face au mystère de la Trinité », ce vendredi 6 mars 2015, dans la chapelle Redemptoris Mater du Vatican, en présence du pape et de la Curie romaine.
Le thème des méditations de cette année est « Deux poumons, une seule respiration. Orient et Occident unis dans la profession de la même foi » : il s'agit de « cesser d’insister à tout prix sur les différences et de partager plutôt ce que nous avons en commun et qui nous unit dans une seule et même foi », a-t-il expliqué au début de sa prédication.
Points communs et différences
Dans leur conception du mystère de la Trinité, « tous les deux, latins et grecs, partent de l’unité de Dieu ; aussi bien le symbole grec que le symbole latin commence en disant : "Je crois en un seul Dieu" », a souligné le P. Cantalamessa.
Il a expliqué la différence d'approche entre les deux : « Chez les latins, l’unité est encore impersonnelle ou pré-personnelle ; c’est l’essence de Dieu qui se réalise dans le Père, le Fils et le Saint Esprit, sans être pensée naturellement comme étant préexistante aux personnes. Dans la théologie latine, le traité "De Deo uno" sur l’unicité de Dieu, a toujours précédé le traité "De Deo trino", sur la Trinité. »
« Chez les Grecs, au contraire, l’unité est déjà personnalisée, car pour eux "l’unité c’est le Père, à partir de qui et vers qui s’énumèrent les autres personnes". Le premier article du credo des Grecs récite lui aussi "Je crois en un seul Dieu le Père tout puissant" (Credo in unum Deum Patrem omnipotentem), sauf qu’ici le "Père tout puissant" n’est pas détaché d’“un seul Dieu”, comme dans le credo latin, mais forme avec lui un tout. La virgule n’est pas placée après le mot "Dieu", mais après l’adjectif "tout puissant". Le sens est : "je crois en un seul Dieu qui est le Père tout puissant". Pour eux, l’unité des trois personnes divines vient du fait que le Fils est parfaitement (substantiellement) uni au Père, tout comme l’est aussi l’Esprit Saint au Fils. »
Dans le patrimoine théologique commun, a poursuivi le prédicateur, « le Dieu unique des chrétiens est le Père, conçu toutefois non isolement, mais comme étant toujours en train d’engendrer le Fils et de se donner à lui avec un amour infini, un amour qui les unit tous les deux et qui est l’Esprit Saint. L’unité et la Trinité de Dieu jaillissent éternellement d’un seul acte et forment un seul et même mystère ».
Pour le P. Cantalamessa, « la foi chrétienne a besoin que les deux voies d’accès au mystère trinitaire restent ouvertes et viables. Dit schématiquement : l’Église a besoin d’accueillir pleinement l’approche de l’Orthodoxie à la Trinité dans sa vie intérieure (ad intra), c’est-à-dire dans la prière, dans la contemplation, dans la liturgie, dans la mystique ; elle a besoin de tenir compte de l’approche latine dans sa mission évangélisatrice au dehors (ad extra) ».
Annoncer au monde l'amour
Mais ce mystère n'est pas très accessible au « monde non croyant, sécularisé et à ré-évangéliser, qui nous entoure », a-t-il fait observer : ce monde est « dans les mêmes conditions que celui avant la venue du Christ » et il faut « utiliser, à son égard, la même pédagogie que celle utilisée par Dieu dans son révélation à l’humanité ».
Il faut donc « aider nos contemporains à découvrir, avant tout, que Dieu existe, qu’il nous a créés par amour, qu’il est un père très tendre et s’est révélé à nous en Jésus de Nazareth. Pouvons-nous, honnêtement, commencer notre évangélisation, en parlant des trois personnes divines ?... Il est difficile de penser pouvoir présenter aux hommes d’aujourd’hui le mystère trinitaire avec les catégories de substance, hypostase, propriété et relations subsistantes ».
« L’Eglise doit trouver la manière d’annoncer le mystère de Dieu un et trine avec des catégories appropriées et compréhensibles aux hommes de notre temps », a ajouté le P. Cantalamessa en proposant de mettre l'accent sur « l'amour » : « L’amour est "communion" et "relation"; il n’existe pas d’amour entre moins de deux ou trois personnes. Tout amour est le mouvement d’un être vers un autre être, accompagné du désir d’union. Entre les créatures humaines, cette union reste toujours incomplète et transitoire, même dans les amours les plus ardents; seule l’union entre les personnes divines arrive à une telle totalité qu’elle fait des Trois, éternellement, un seul Dieu. Ce langage, l’homme d’aujourd’hui est en mesure de le comprendre. »
Il a conclu en constatant « qu'en dépit de tous nos efforts, nous ne pouvons pas « comprendre » le mystère de la Trinité, mais nous pouvons faire quelque chose de encore plus beau : entrer en elle », en « adorant ».
« Adorer la Trinité, selon un superbe oxymore de saint Grégoire de Nazianze, c’est élever vers elle "un hymne de silence". Adorer c’est reconnaître que Dieu est Dieu et nous des créatures de Dieu. C’est "reconnaître l’infinie différence de qualité entre le Créateur et la créature" ; mais la reconnaître librement, joyeusement, en enfants et non en esclaves. Adorer, dit l’apôtre, c’est "s’élever contre toute injustice des hommes qui fait obstacle à la vérité" (cf. Rom 1, 18). »