La Prière eucharistique (8) Le Sanctus (2)
Des mots chargés d’histoire
En chantant « Saint, saint, saint le Seigneur… », nous étions avec Isaïe dans le temple de Jérusalem. En chantant « Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur », nous sommes aussi dans le temple. Cette bénédiction était prononcée par les prêtres qui accueillaient les pèlerinages montant à Jérusalem pour les trois grandes fêtes annuelles. On peut imaginer les pèlerins de Nazareth, parmi lesquels Marie, Joseph et Jésus, accueillis par ces mots lorsqu’ils vinrent fêter la Pâque avec l’enfant, maintenant âgé de douze ans.
Cette bénédiction nous est conservée dans le psaume 117-118 (versets 26-27) :
Béni soit au Nom du Seigneur celui qui vient !
De la maison du Seigneur, nous vous bénissons !
Rameaux en mains, formez vos cortèges jusqu’auprès de l’autel.
Avec le temps, « celui qui vient » était devenu une manière de désigner le Messie attendu, celui qui viendrait instaurer le règne de Dieu, définitivement. En « celui qui vient », ce serait le Seigneur lui-même qui agirait. C’est ce que nous lisons dans le dernier des douze « petits prophètes », Malachie, dont le nom renvoie à l’idée de « règne ». Dans les éditions de la Bible, Malachie est le dernier livre de l’Ancien Testament, même s’il est bien loin d’être le dernier dans l’ordre chronologique.
Voici que je vais envoyer mon messager
pour qu’il fraye un chemin devant moi.
C’est ce que réalisera Jean-Baptiste, comme le dit Zacharie dans le Benedictus : « Et toi, petit enfant, tu seras appelé prophète du Très-Haut et tu prépareras ses chemins. »
Malachie continue :
Et soudain, il entrera dans son sanctuaire,
le Seigneur que vous cherchez.
Et l’Ange de l’Alliance que vous désirez,
le voici qui vient !
Ce passage de Malachie (3, 1) est lu, dans la liturgie, dans le cycle de Noël : le 23 décembre et le 2 février, en la solennité de la Présentation du Seigneur au temple de Jérusalem.
Jésus : celui qui vient
L’expression « celui qui vient », apparemment anodine, est donc lourde de sens dans la langue biblique. Nous la retrouvons chez saint Jean : Jésus est celui qui vient dans le monde, selon la belle profession de foi de Marthe, sœur de Lazare (Jean 11, 27). Mais c’est aussi le sens de la question posée par Jean-Baptiste dans sa prison : « Es-tu celui qui doit venir ? » (Matthieu 11, 3).
L’acclamation « Béni, celui qui vient au nom du Seigneur » se trouve dans les quatre évangiles, au jour de l’entrée solennelle de Jésus à Jérusalem, que nous fêtons le dimanche que les braves gens continuent d’appeler le « dimanche des rameaux ». « Rameaux en mains, formez vos cortèges », disait le psaume déjà cité.
Tous les évangélistes citent le même verset du psaume. Mais, comme toujours, il y a quelques variantes entre les évangélistes. Saint Matthieu écrit : « Hosanna au fils de David ! Béni soit celui qui vient au Nom du Seigneur ! Hosanna au plus haut des cieux ! » (21, 9). Saint Marc : Hosanna ! Béni soit celui qui vient au Nom du Seigneur ! Béni soit le Royaume qui vient, de notre père David ! Hosanna au plus haut des cieux ! » (11, 9-10). Saint Luc : « Béni soit celui qui vient, le Roi, au Nom du Seigneur ! Paix dans le ciel et gloire au plus haut des cieux ! » (19, 38). Saint Jean : « Hosanna ! Béni soit celui qui vient au Nom du Seigneur et le roi d’Israël ! » (12, 13).
Tous ont en commun d’accentuer la note messianique en parlant du « fils de David », du « Royaume » ou du « roi ». Sur l’écriteau de la croix, Pilate fera inscrire, par dérision : « Roi des Juifs ». Il ne savait pas si bien dire. Il aurait même pu aller plus loin et inscrire : « roi de l’univers ».
Saint Matthieu et saint Luc ajoutent : « au plus haut des cieux. » Saint Luc, en joignant la « paix » à la « gloire », nous renvoie à la nuit de Noël et à la proclamation des anges. De Noël à Pâques, c’est le même mystère de salut qui s’accomplit.
L’acclamation « Béni soit … » est encadrée par un double « Hosanna ». Par son étymologie, le mot se rattache à l’idée de « salut ». Peut-être, au temps de Jésus, cette origine proprement religieuse était-elle passée au second plan et l’expression était-elle devenue un simple cri de triomphe. Une sorte de « hurrah » hébraïque. Mais dans le contexte de la Passion toute proche, le sens originel reprend toute sa valeur. Celui qui vient est bien celui qui va « donner le salut ».
Le Benedictus dans la liturgie
Quand le Sanctus donna lieu à d’amples polyphonies, le Benedictus fut renvoyé après la consécration. Béni soit, effectivement, celui qui vient à nous par le sacrement de l’Eucharistie. Mais l’Eucharistie n’est pas une présence ponctuelle, une visite provisoire, du Seigneur. Elle fait mémoire de l’histoire du salut dans sa totalité. Le venit de la liturgie latine peut s’entendre aussi bien du passé que du présent. Béni soit celui qui est venu, une fois pour toutes et définitivement, prendre chair en notre humanité. Béni soit celui qui vient, aujourd’hui, par les œuvres de l’Esprit Saint.
Mais « il vient » est aussi, dans l’Apocalypse, le signe d’une promesse : « Je suis l’Alpha et l’Oméga, dit le Seigneur Dieu, ‘Il est, Il était et Il vient’, le Maître de tout » (Apocalypse 1, 8). « Il vient » et non « Il sera » : ce qui serait seulement l’affirmation de son éternité. « Il vient » ouvre sur un achèvement, encore attendu.
Dans l’acclamation qui salue Jésus lorsqu’il entre à Jérusalem, et qui est reprise sommairement dans la liturgie, nous trouvons des réalités essentielles dans l’Ecriture : la bénédiction, le Nom du Seigneur, la venue du Règne. Toutes réalités qu’expriment aussi les premières demandes du Pater.