La population immigrée, composante incontournable de la société

« La valeur de l’immigration », publication de la Fondation Leone Moressa

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« Le moment est venu de reconnaître la population immigrée non plus comme un problème à endiguer mais comme une composante incontournable de la société contemporaine qui présente des caractéristiques et des exigences spécifiques » : c’est la conviction de la Fondation italienne « Leone Moressa » qui préconise une « connaissance approfondie de la complexité » de l’immigration pour « une nouvelle vision du phénomène ».

A l’occasion de la parution en langue italienne de « La valeur de l’immigration » (« Il valore dell’immigrazione »), un ouvrage de la Fondation « Leone Moressa » sur les thèmes de l’immigration et des stéréotypes, Zenit a interrogé Enrico Di Pasquale, directeur scientifique de la Fondation.

Le livre a été présenté le 29 janvier 2015 à la Présidence du Conseil des ministres, entre autres par le député Khalid Chaouki et par Federico Soda, directeur du bureau pour la Méditerranée de l’Organisation internationale pour les migrations (OIM).

Zenit – Quelle est la mission de votre Fondation ?

Enrico Di Pasquale – La Fondation Leone Moressa est un institut de recherche né en 2002, spécialisé dans l’étude des phénoménologies et des problématiques relatives à la présence étrangère sur le territoire, avec une attention particulière portée à l’économie de l’immigration.

Pour diffuser une connaissance de la valeur économique des étrangers en Italie, la Fondation Leone Moressa encourage la recherche scientifique à travers le recueil et l’élaboration de données sur le phénomène migratoire et sur les relations multi-ethniques.

Par ailleurs, l’activité de recherche est un instrument précieux pour faire des propositions concrètes visant à distinguer des parcours d’intégration et pour évaluer les impacts des politiques migratoires. C’est pour cette raison que la Fondation propose des activités d’information et de sensibilisation, organise des séminaires, débats et colloques, et collabore activement avec les institutions, les associations et les organisations du territoire.

Y a-t-il un changement, aujourd’hui, dans la communication sur l’immigration ?

Ces dernières années, en Italie, on a déjà beaucoup fait pour améliorer l’approche médiatique de l’immigration : en 2008, la Carte de Rome est entrée en vigueur : il s’agit du code déontologique sur les migrants, demandeurs d’asile, réfugiés et victimes de la traite, signé par le Conseil national de l’Ordre des journalistes et par la Fédération nationale de la presse italienne, en collaboration avec le Haut Commissariat aux réfugiés de l’ONU (UNHCR). En 2012, les lignes-guides pour l’application de la Carte de Rome ont été élaborées ; c’est un instrument pratique au service des acteurs de l’information qui sont d’accord sur la nécessité d’un plus grand soin dans les pratiques professionnelles concernant les thèmes de l’immigration et du droit d’asile.

Cependant, depuis presque trente ans, c’est-à-dire depuis que le phénomène migratoire a pris des dimensions importantes en Italie aussi, l’immigration est présentée sur la scène publique comme un problème. Un problème d’ordre public qui appelle des politiques de restriction… Cette représentation du phénomène migratoire a rendu plus aigus les sentiments xénophobes, les discriminations et les violences à l’encontre des immigrés.

Quels conseils donneriez-vous pour mieux communiquer sur le phénomène de l’immigration ? Pour effacer les stéréotypes négatifs ?

L’utilisation d’expressions comme « urgence » ou « vagues », qui renvoient à l’idée d’une invasion de migrants, contribue à représenter l’immigration comme un événement exceptionnel ou transitoire, détaché des dynamiques réelles des flux migratoires. Si l’on confronte les chiffres des migrants arrivés en Italie par bateau, par exemple, au nombre de permis de travail accordés par les pays d’accueil ou à celui des regroupements familiaux, on se rendra plus facilement compte de la portée de cette déformation. Le moment est donc venu de reconnaître la population immigrée non plus comme un problème à endiguer mais comme une composante incontournable de la société contemporaine qui, à l’égal de toutes les autres, présente des caractéristiques et des exigences spécifiques. La connaissance approfondie d’une telle complexité peut peut-être représenter le premier pas vers une nouvelle vision du phénomène de l’immigration.

Pouvez-vous exposer plus précisément la valeur de l’immigration pour le pays d’accueil ?

Que l’on considère, par exemple, que le vieillissement de la population autochtone fait des étrangers une ressource importante pour les systèmes économique, fiscal et des retraites.

Pour ne citer que quelques données à titre d’exemple, les étrangers qui travaillent en Italie sont 2,4 millions, soit 10,5% de l’ensemble. Par rapport aux Italiens, les étrangers représentent un taux d’emploi plus élevé (58,1% contre 55,3%).

Même si l’on considère que tous les aspects liés à l’économie de l’immigration ne sont pas monnayables (que l’on pense par exemple au rôle joué par les aides à domicile étrangères dans le système social), il a été démontré combien les revenus issus de l’immigration sous forme de contributions sociales, d’impôts sur le revenu et d’autres impôts sont de très loin supérieurs aux dépenses publiques pour l’immigration (dépenses sociales, pour l’intégration et pour la lutte contre l’immigration irrégulière). En particulier, les contributions sociales versées par les étrangers ayant un travail se montent à 9 milliards d’euros, à ajouter aux presque 5 milliards d’impôts sur le revenu et aux 2,5 milliards d’autres recettes. Si l’on estime les dépenses publiques pour l’immigration à 12,6 milliards d’euros, le solde est de presque 4 milliards d’euros.

Cette donnée, qui peut sembler surprenante à première vue, s’explique en réalité simplement en observant la structure démographique de la population étrangère. Puisque le système d’assurance sociale italien est basé sur le principe selon lequel la population active soutient celle inactive, il est évident que la population étrangère, en moyenne plus jeune que la population italienne, remplit une fonction de maintien du système des retraites.

Enfin, en 2013, le « PIB produit par les immigrés », c’est-à-dire la valeur ajoutée produite par les étrangers qui travaillent se monte à 123 milliards d’euros, équivalant à 8,8% de la richesse totale italienne.

Le pape François a beaucoup insisté sur la « mondialisation de l’indifférence » : quel est le message du pape qui vous a le plus touché ?

Le pape rappelle fréquemment les situations de pauvreté et de conflit répandues dans le monde. Il est sûr que, quand on parle d’immigration en Italie, on ne peut pas ne pas tenir compte de la situation globale, avec des conflits en augmentation (Syrie, Irak, Afrique du Nord, Afrique centrale, etc.) et, en conséquence, les migrations forcées : en 2014, d’après le Haut Commissariat aux réfugiés de l’ONU, plus de 5,5 millions de personnes ont fui des situations de guerre ou de persécution. Une situation qui augmente forcément les flux de réfugiés vers l’Europe et l’Italie, et les difficultés de gestion de ces flux.

Un second synode sur la famille est en préparation : comment votre Fondation pourrait-elle contribuer à la réflexion sur la famille migrante ?

Les difficultés des familles immigrées, actuellement, dépendent essentiellement de la situation économique et sociale de notre pays. Au-delà de cela, il s’y ajoute des difficultés liées
à la situation spécifique : la loi sur la citoyenneté qui considère comme étrangers les jeunes nés en Italie de parents étrangers ; la réglementation sur le permis de séjour qui lie la résidence en Italie à la situation de travail ; l’augmentation des mouvements xénophobes et racistes au niveau national comme européen.

Traduction de Constance Roques

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Anne Kurian-Montabone

Baccalauréat canonique de théologie. Pigiste pour divers journaux de la presse chrétienne et auteur de cinq romans (éd. Quasar et Salvator). Journaliste à Zenit depuis octobre 2011.

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