"Je voulais que la joie authentique que les enfants lui exprimaient ne fasse pas oublier le scandale du mal qui les frappe chaque jour", explique le P. Matthieu Dauchez, qui révèle à Zenit les coulisses de la visite impromptue du pape François au centre des enfants des rues de la Fondation Anak-tnk, à Manille, le 16 janvier dernier. Il est le directeur de la fondation.
Zenit - Pouvez-vous raconter à nos lecteurs comment s'est passée cette visite impromptue, hors programme, du pape François?
P. Matthieu Dauchez - La visite du Saint Père fut une énorme surprise. Après avoir célébré la messe à la cathédrale de Manille le 16 janvier au matin, il a rejoint à pied l'un des centres de la fondation, dans lequel étaient réunis la plupart des enfants des rues. Ils espéraient le voir passer, ils l'ont vu entrer! Ce fut un moment inoubliable. Il est resté une quinzaine de minutes avec les enfants, sans prononcer de grands discours, mais en passant la plus grande partie du temps à les serrer fort dans ses bras. La compassion était le thème de son voyage aux Philippines, il en a fait une réalité toute simple et vécue avec les enfants des trottoirs de Manille.
Qu'est-ce que vous lui avez dit? Et qu'est-ce qu'il vous a dit?
Je n'ai dit que quelques mots brefs au Saint-Père pour lui présenter les enfants qu'il avait devant lui. Je voulais qu'il sache que les centaines de sourires qu'il voyait cachaient des histoires parfois très difficiles. Je voulais que la joie authentique que les enfants lui exprimaient ne fasse pas oublier le scandale du mal qui les frappe chaque jour. J'ai parlé la plupart du temps en anglais pour que tout le monde comprenne, mais j'ai terminé par une phrase en français que le Saint-Père comprend mieux, en lui disant : "Ces enfants, pauvres parmi les pauvres sont le trésor de notre Eglise, ils sont nos maîtres de joie." Puis le Pape François s'est approché de moi et dans un français impeccable m'a remercié pour le travail fait auprès de ces enfants et de ces familles et a terminé son petit mot d'encouragement en me disant : "Ces enfants sont la chair du Christ."
Quel impact sur les enfants qui ont été d'une spontanéité merveilleuse comme si déjà ils connaissaient le Saint-Père?
Lorsque la sécurité du Pape nous a appris que le Saint-Père allait entrer dans le centre, je me suis effectivement demandé quelles devaient être les règles à suivre pour l'accueillir… mais les enfants ne s'encombrent pas de ces problèmes. Le petit Alvin qui avait comme mission d'accueillir le Saint-Père s'est simplement jeté dans ses bras. Et le Saint-Père l'a naturellement serré très fort. On avait l'impression de voir jouée devant nous la peinture du Fils prodigue de Rembrandt. Ensuite le Pape François s'est approché des enfants qui l'attendaient tous avec une grande excitation et il a pris le temps d'en saluer le plus possible. La scène était terriblement touchante et j'ai eu beaucoup de mal à contenir mes larmes : le Vicaire du Christ venait à la rencontre des plus rejetés… En repensant à toutes les histoires terribles de ces enfants, je réalisais en pleurant que j'assistais à une scène évangélique.
Pensez-vous que cette visite ait eu un impact aussi sur le Pape François ?
Assurément puisqu'il a fait référence à sa rencontre avec les enfants des rues lors de ses homélies à d'autres moments de son voyage. Il y a bien sûr le fait de mettre en acte ses paroles. Le Saint-Père se montre d'une grande cohérence : il ne fait pas que parler et encourager mais il le montre dans ses actes. Je crois toutefois que l'impact le plus grand pour lui fut d'être plongé dans une atmosphère de joie immense et authentique. Il a compris profondément que ces enfants, partageant de manière intime les souffrances du Christ en croix, partagent inévitablement sa joie dont il est la source.
Combien d'enfants accueillez-vous et depuis quand, et comment?
La fondation ANAK accueille près de 1 000 enfants répartis dans différents programmes : les enfants des rues, les jeunes des rues avec un handicap, les enfants des bidonvilles et les enfants chiffonniers de la décharge de Manille. Elle a commencé son action en 1998 et fêtera son 17e anniversaire l'été prochain. L'un des principes de l'action menée est d'aller à la rencontre des plus pauvres. Les éducateurs des rues vont donc jour et nuit retrouver les groupes et les gangs d'enfants dans les rues de Manille pour faire connaissance, se faire apprivoiser et tenter de les convaincre de quitter la rue pour rejoindre la fondation. Toutefois il faut bien comprendre que l'aspect matériel n'est jamais la raison pour laquelle un enfant quitte la misère des trottoirs. Il n'est prêt à rejoindre la fondation que lorsqu'il sent qu'il ne sera plus considéré comme un objet bon qu'à être jeté à la poubelle, mais bien comme un enfant qui peut aimer et être aimé comme tous les enfants du monde. L'attention à chacun est le plus grand défi des éducateurs de la fondation. C'est une mission d'amour.
Comment un prêtre français part-il pour Manille au secours des enfants?
Providentiellement bien-sûr. Je n'aurais jamais imaginé en entrant au séminaire en 1995 que je me retrouverai quelques années après à fouler le sol des Philippines. En 1998, lorsque la fondation a été fondée par un prêtre jésuite, nous sommes trois séminaristes et un laïc (l'actuel président d'ANAK-Tnk en France) à l'avoir rejoint pour l'aider dans cette tâche. Mais bien vite, sur place, on comprend que les fruits ne se portent que dans la durée et quand il s'agit d'aider des enfants rejetés, c'est notre vie entière qu'ils réclament… Mais je sais à quel point je suis privilégié de travailler auprès de ces enfants et tout le personnel qui se dévoue jour et nuit pour eux car ils nous offrent des leçons de courage quotidien. A tel point que ma question aujourd'hui est plutôt: "Comment aurai-je pu ne pas partir?"
Les larmes de Glyzelle ont ému le monde entier: avez-vous eu des "retour"? Est-ce que son appel - "Pourquoi y a -t-il si peu de gens qui viennent nous aider?" - a déjà reçu des réponses?
Il y avait deux questions pour être plus précis. La première concernait le scandale du mal qui touche ces plus petits: le Saint-Père a remarquablement répondu, non par des mots mais par ces gestes touchants de compassion. Il a serré Glyzelle Iris et Jun dans ses bras. C'était la plus belle réponse au mal. La deuxième question était une forme d'appel effectivement : pourquoi si peu de monde pour les aider? Les plus belles réponses sont certainement celles des anonymes qui, sans renfort de publicité, cherchent à comprendre comment aider le prochain dans le besoins. Glyzelle Iris représente non seulement tous ces enfants délaissés dans les rues des grandes capitales, mais aussi tous les pauvres de notre monde, tous ceux qui subissent le plus terrible fléau qu'est l'indifférence. Si les larmes de Glyzelle Iris ont poussé l'un ou l'autre à aller visiter son voisin isolé, c'est un fruit magnifique de cette scène qui a fait le tour du monde!
De quoi avez-vous le plus besoin aujourd'hui, de bras, de fonds, comment vous aider?
Notre premier et plus urgent besoin, c'est la prière. Nous pouvons offrir aux enfants des rues de Manille le cadre le plus parfait, nous ne saurons pas pour autant atteindre les blessures de leurs coeurs. Seul le Bon Dieu agit au fond des coeurs, la prière est donc la plus belle aide que l'on peut nous apporter. Prier pour la guérison des coeurs, prier pour la paix, le pardon. Ce sont les plus grands miracles auxquels on assiste ici. Le soutien matériel est nécessaire bien-sûr aussi. Le site internet www.anak-tnk.or g donne toutes les informations utiles.