Résumé des épisodes précédents: Le professeur Dicke, de la Princeton University, se rend à Crawford Hill (New Jersey ) pour expertiser un étrange problème d’interférence sur une antenne de 20 pieds, destinée à communiquer avec les satellites… On se croirait dans un film d’espionnage, mais cette histoire est vraie, elle se passe en mai 1965… (1)
Dans la régie de cette antenne qui ressemble à un de ces étonnants décors dessinés par Edgar P. Jacobs, le créateur de Blake et Mortimer, les experts sont occupés à s’affairer. Au bout de plusieurs heures de travail, de calculs et de vérifications, après concertation avec son équipe, le professeur Dicke se tourne vers Penzias et Wilson, les deux ingénieurs qui les ont appelés en renfort. Le problème ? Tenter de résoudre l’énigme de ce bruit parasite qu’ils captent de façon omniprésente dans toutes les directions de l’Univers, et dont ils voudraient bien se débarrasser. Dicke commence par se racler légèrement la gorge comme chaque fois qu’il entreprend de prononcer une déclaration à caractère officiel : Hum Hum… Félicitations Messieurs… Oui, recevez toutes les félicitations de mon équipe, car vous venez, sans le savoir, de découvrir « quelque chose » que de notre côté, nous cherchons depuis près de 15 ans !…
Penzias et Wilson se regardent éberlués : Qu’est-ce qu’il lui prend ? Pourquoi ces « félicitations » ? Est-ce que le célèbre professeur Dicke se moque de nous pour nous faire payer de l’avoir dérangé avec toute son équipe ? Mais on ne les a pas obligés à venir, c’est lui qui a tenu à faire le déplacement, toutes affaires cessantes… Et quelle est cette « chose » que nous aurions trouvé ?
Wilson ose une question : Si vous cherchez cette « chose » depuis 15 ans… Alors vous savez ce que c’est…
– Vous croyez qu’on peut leur dire patron ? Demande l’un des experts
– Bientôt, on pourra le dire au monde entier, répond Dicke, tout ça nous dépasse ou plutôt, nous précède de tant de milliards d’années ! … Messieurs, cette chose que nous cherchons depuis 15 ans pour essayer valider les calculs de Lemaître (2), Friedman, Gamov et Hubble, cette chose que vous avez trouvé sans la chercher, ce n’est autre que « le fonds diffus cosmologique ». Ou si vous préférez : le rayonnement fossile du Big Bang.
– Quoi ?!? S’esclaffent comme un seul homme Penzias et Wilson : quoi, cette, cette interférence parasite ?!… Ce serait le… le rayonnement du Big Bang ? La trace d’un commencement de l’Univers ? C’est impossible !
Dicke ne se laisse pas démonter : En effet, ce serait absolument impossible si ce Big Bang n’était qu’une fiction… Mais votre découverte confirme que ce n’est pas une fiction : mais une réalité.
Vous savez ce que vous captez avec votre antenne ? Vous captez, en pointant dans n’importe quelle direction du Cosmos, ce qu’il reste de la quantité phénoménale de chaleur et d’énergie qui étaient présentes au commencement de notre Univers. Bien sûr, chaleur et énergie se sont dissipées avec l’expansion de l’espace et les milliards d’années écoulées depuis ces premiers temps (3). Cette puissance d’énergie a progressivement donné naissance aux atomes et à la matière et cette chaleur considérable s’est dissipée mais elle reste mesurable sous forme de rayonnement électro magnétique. Elle a connu tous les stades en passant par l’ultra-violet, puis l’infra-rouge et nous avions postulé qu’il serait possible de la capter sous forme de micro-ondes, ce que vous avez réussi à faire, avec votre antenne, en croyant que ce n’est qu’une vulgaire « interférence ». Après 15 ans de recherches infructueuses, nous étions en train de construire une antenne un peu comme la vôtre, qui allait bientôt être opérationnelle sans savoir que si près de nous, vous captiez ce rayonnement fossile qui vous agaçait…
Penzias : Mais qu’est-ce qui vous fait croire que c’est bien le… le Big Bang ?
Dicke : Les théories de Gamov fondées sur les calculs de Friedman et Lemaître, qui, sans se concerter, avaient apporté une des thèses les plus révolutionnaires du début du XX° siècle : l’Univers est en expansion, il ne cesse d’augmenter en volume (si l’on peut dire), il n’est pas stationnaire et puisqu’il est plus grand aujourd’hui qu’hier, il y a donc eu un moment dans le passé où il a été microscopique, il a donc eu un « commencement ».
Le professeur Dicke poursuit : Si cette théorie était vraie comme semblaient le confirmer les observations de Hubble qui voyait les galaxies s’éloigner, ou comme précisait Lemaître : « l’Univers s’étirer » et se refroidir dans cette expansion, alors on devrait pouvoir capter ce qui reste de ce rayonnement considérable et de cette chaleur inimaginable du commencement de notre Univers. You got it ! Vous l’avez fait ! Vous avez capté cela. Félicitation messieurs, vous aurez sûrement une médaille !
En effet, Penzias et Wilson recevront le Prix Nobel de physique en 1978, pour cette découverte validée par la science et cette haute distinction honorifique mondiale. Mais on comprendra que cette nouveauté a pu être particulièrement controversée et soumise à des critiques de la part de la communauté scientifique, dont elle bouleversait le paradigme (4). Car, de fait, elle change radicalement notre vision du monde en apportant une réponse scientifique à une question que l’humanité se posait depuis trois mille ans : l’Univers est-il éternel dans le passé ? Ou bien : a-t-il eu un commencement ?
Nous aurons une pensée pour le malaise métaphysique que ce bouleversement allait provoquer chez l’un des deux découvreurs : Wilson. Sans doute fut-il assez difficile pour lui d’admettre qu’il avait contribué, par cette découverte commune, à apporter la confirmation d’une théorie à laquelle il répugnait tout simplement, pour des motifs que nous découvrirons la semaine prochaine… (5)
(A suivre…)
Voir les précédentes chroniques sur le Big Bang : http://www.brunor.fr/PAGES/Pages_Chroniques/44-Chronique.html
Erratum : le Chanoine Lemaître n’appartenait pas à la « Compagnie de Jésus » (Jésuites) mais à la fraternité des « Amis de Jésus ».
Aujourd’hui on parle de 13,81 milliards d’années
Paradigme : représentation du monde. Voir la chronique 45- Un paradigme perdu…
Voir : Le Hasard n’écrit pas de messages. Scénario et dessin Brunor (SPFC éditions)
et pendant qu’on y est, voir la nouveauté : L’Être et le néant sont dans un bateau, du même auteur (Brunor Editions. 2014)
Voir les épisodes précédents sur www.brunor.fr ou sur le site de Zenit http://www.zenit.org/fr/googlesearch?q=les%20indices%20pensables