Au lendemain de l’assassinat d’un couple de chrétiens accusés de blasphème et brûlés le 4 novembre, dans un four de la briqueterie qui les employait, le Premier ministre Nawaz Sharif a dénoncé « un crime inacceptable », précisant qu’« un Etat responsable ne pouvait tolérer qu’une foule se livre au lynchage au grand jour et dans l’impunité ». Il a appelé le ministre-président du Pendjab, explique Eglises d’Asie (EDA), l’agence des Misisons étrangères de Paris.
C’est en effet au Pendjab que la tragédie a eu lieu: le Premier ministre demande la « fermeté » dans l’application de la loi afin de « punir ceux qui portent la responsabilité de cet acte ». Sur place, la police a interpellé une quarantaine de personnes et des forces de l’ordre ont été déployées pour assurer la sécurité des villages et quartiers habités par les chrétiens, indique la même source
EDA précise que, mariés depuis quelques années, parents de trois enfants, Shahzad Masih, 26 ans, et son épouse, Shama Masih (1), 24 ans (les âges varient selon les sources), s’étaient installés dans le village de Chak 59 (2), non loin de la petite ville de Kot Radha Kishan, à une soixantaine de kilomètres au sud-ouest de Lahore, capitale du Pendjab. Ils avaient trouvé à s’employer dans une briqueterie appartenant à un musulman : des emplois dans lesquels sont cantonnés les membres des minorités religieuses et les plus pauvres de la société pakistanaise. Shama Masih était enceinte de son quatrième enfant.
Dimanche 2 novembre, explique EDA, Shama Masih nettoyait l’habitation de son beau-père, décédé il y a peu, et elle brûlait des vieux papiers considérés par elle comme inutiles (3). Assistant à la scène, un contremaître de la briqueterie, Muhammad Afzal, a accusé la jeune femme de brûler des pages du Coran, un acte criminel selon le Code pénal pakistanais – qui prévoit la peine capitale pour toute offense faite à Mahomet et la prison à vie pour toute profanation du Coran. Criant au blasphème, le contremaître a alors ameuté des habitants des environs et le couple de chrétiens a été enfermé dans un local de la briqueterie.
Selon un autre témoin musulman cité par le chrétien et défenseur des droits de l’homme Sardar Mushtaq Gill, des annonces ont ensuite été faites au haut-parleur de la mosquée locale, accusant Shama Masih de blasphème, continue EDA. Une foule de trois à quatre cents personnes s’est rassemblée mardi, 4 novembre, pour tirer les deux jeunes chrétiens de leur cellule improvisée et les rouer de coups. La suite des événements n’est pas clairement définie. Selon certaines sources, le couple aurait été lynché à mort avant que leurs corps ne soient poussés dans un four de la briqueterie. Selon d’autres, les deux chrétiens étaient encore vivants lorsqu’ils ont été jetés dans le four. Selon Sardar Mushtaq Gill, qui s’est rendu sur place, « les corps ont été brûlés au point de les rendre méconnaissables ».
Au Pakistan, les réactions ont été nombreuses après ce nouveau lynchage sous prétexte de blasphème. Du côté des autorités, outre la déclaration du Premier ministre, le ministre-président du Pendjab, Shahbaz Sharif, a mis sur pied un comité de trois personnes chargées de l’enquête et déclaré que « l’oppression des minorités et les meurtres dont elles sont l’objet devaient cesser ».
Au plan international, Amnesty International a pressé les autorités pakistanaises de déférer devant la justice les coupables de la mort du couple et mis en cause les lois anti-blasphème, qui « doivent être réformées d’urgence, en pourvoyant une protection efficace contre leur usage abusif, jusqu’à leur éventuelle abrogation ».
Au sein de l’Eglise catholique, Mgr Rufin Anthony, évêque d’Islamabad-Rawalpindi, a dénoncé ce nouvel acte de violence extrême comme le symptôme d’un système judiciaire inopérant. « Nous avons déjà vu par le passé des foules qui décident de faire justice par elles-mêmes. De tels incidents n’ont jamais été condamnés par les responsables religieux [musulmans], ce qui n’a fait qu’encourager ces foules à poursuivre leurs actes. Si des mesures concrètes avaient été prises hier, de tels actes barbares ne se produiraient plus aujourd’hui », a-t-il déclaré à l’agence AsiaNews.
Du côté musulman, le Conseil des oulémas du Pakistan a demandé « une enquête impartiale sur l’incident survenu à Kot Radha Kishan ». Exprimant sa « douleur profonde », son président, Muhammad Tahir Ashrafi, a mis en cause l’attitude de la police. La mort du couple de chrétiens n’aurait pas eu lieu « si la police locale n’avait pas fait preuve de négligence ». Si le couple était vraiment coupable de profanation du Coran, interroge Muhammad Tahir Ashrafi, « pourquoi la police n’a-t-elle pas arrêté les époux après la plainte des résidents locaux ? Et s’ils n’étaient pas coupables, pourquoi ne leur a-t-elle pas offert une protection immédiate étant donné la réaction excessive des gens ? »
Enfin, EDA souligne que pour le Pakistan Christian Congress (PCC), parti politique chrétien qui milite pour la création d’un Etat réservé aux chrétiens au sein de la province du Pendjab, la mort du jeune couple est une nouvelle illustration du fait que les lois anti-blasphème fonctionnent comme « un permis de tuer les chrétiens au Pakistan ». Son président, Nazir Bhatti, dénonce « le deux poids – deux mesures » à l’œuvre dans le pays : lorsque le leader de l’opposition, Syed Khurshid Shah, du PPP, est accusé de blasphème, nul ne l’inquiète et ses partisans dénonce une instrumentalisation de la religion, mais lorsque des chrétiens ou des ahmadis sont accusés de blasphème, aucun leader politique musulman ne prend leur défense.
La mort de Shahzad Masih et de Shama Masih intervient, rappelle EDA, peu après la confirmation, le 16 octobre dernier, de la peine de mort prononcée à l’encontre d’Asia Bibi, jeune chrétienne et mère de famille accusée elle-aussi de blasphème. Quelques semaines plus tôt, le 25 septembre, une autre affaire avait mis en exergue les failles du système judiciaire pakistanais face aux lois anti-blasphème : condamné à mort pour blasphème, Muhammad Asghar, un Britannique âgé de 70 ans, a frôlé la mort lorsqu’un gardien de prison lui a tiré dessus ; l’enquête de police a montré que ce gardien avait été influencé par Mumtaz Qadri, celui qui, garde du corps du gouverneur de la province du Pendjab, avait assassiné son propre patron, Salman Taseer, pour les prises de position de ce dernier en faveur d’Asia Bibi et de la réforme des lois anti-blasphème.
(eda/ra)
Notes
(1) Masih n’est pas un nom de famille mais un terme générique désignant un chrétien.
(2) Chak signifie ‘village’ en ourdou. Au Pendjab, l’usage, qui remonte à la colonisation britannique, fait que, souvent, les villages ne sont pas désignés par un nom propre mais le mot ‘Chak’ suivi d’un nombre.
(3) Selon le Pakistan Christian Post, les papiers brûlés par Shama Masih étaient des amulettes que feu son beau-père avait coutume d’util
iser lorsqu’il se livrait à des séances de divination et de magie noire.