« Correctement gérée, dans la régularité et la sécurité, l’immigration n’est pas une menace, mais elle peut être une chance pour l’Europe, qui apparaît aujourd’hui fatiguée et vieillie », estime le cardinal Veglio.
Le cardinal Antonio Maria Vegliò, président du Conseil pontifical pour la pastorale des migrants et des personnes en déplacement, a célébré la messe ce dimanche matin, 6 juillet 2014, en la paroisse Saint Gerland de Lampedusa, dans le cadre de l’anniversaire de la visite du pape François sur l’île (8 juillet 2013).
La célébration, transmise en direct sur la télévision RAI-TV, était le moment culminant d’une série d’évènements organisés par le diocèse d’Agrigente pour célébrer cet anniversaire et pour rappeler les milliers de victimes qui ont perdu la vie en mer.
Homélie – XIV dimanche du temps ordinaire (année A)
Chers frères et chères sœurs,
« Où est ton frère ? » : en ce lieu, il y a un an, le Saint-Père François a répété ces paroles du livre de la Genèse. Cette question a rejoint le monde entier, qui regardait avec attention la visite du pape sur cette île de Lampedusa, devenue un lieu symbolique dans le débat sur les migrations.
« Où est ton frère ? » : C’est une question que Dieu a posée au début de l’histoire de l’humanité et qui, aujourd’hui, s’adresse à chacun de nous. Une question sur notre responsabilité vis-à-vis du destin de tant de personnes montées sur « ces barques qui, au lieu d’être un chemin d’espérance ont été un chemin de mort », comme l’a dit le pape François dans son homélie de l’année dernière.
Cette interrogation nous met face à la réalité des faits, nous demandant si, ces derniers mois, quelque chose a changé ou si demeure encore la « globalisation de l’indifférence » dénoncée par le Saint-Père. Concrètement, qu’est-ce qui a été fait ?
Il est important, et c’est un devoir, de reconnaître que beaucoup de petits pas ont été accomplis, beaucoup de mains ont été tendues, beaucoup de bras se sont ouverts. Aujourd’hui, nous remercions les habitants de Lampedusa qui ont été capables de gestes de générosité, en particulier de regarder les migrants dans les yeux et de dire à chacun d’eux : « Tu es mon frère ». Par milliers, ils ont fui les guerres, les tensions ethniques, les conflits et les persécutions, la pauvreté et le manque de perspectives pour l’avenir. Et au cours de ces derniers mois, vous avez été les bras chaleureux qui ont accueilli des hommes et des femmes, des enfants et des jeunes, qui ont accosté sur cette île après des voyages marqués par des menaces et des dangers, mais aussi par l’espérance et le courage.
Et avec vous, il faut reconnaître la générosité de l’Italie. Avec d’autres pays de la Méditerranée, l’Italie marque la frontière du continent européen et, de fait, avant de se préoccuper de défendre ses frontières, elle a été attentive aux drames de l’immigration. Mais la solidarité engage toute la Communauté de l’Union jusqu’à interpeller la Communauté internationale, suscitant aussi parfois chez tous des sentiments de honte devant les cadavres de tant de personnes qui ont trouvé la mort dans des traversées difficiles.
Les questions posées par les flux migratoires touchent avant tout la réalité même de l’immigration : correctement gérée, dans la régularité et la sécurité, elle n’est pas une menace, mais elle peut être une chance pour l’Europe, qui apparaît aujourd’hui fatiguée et vieillie. Comme le disait le pape François il y a quelques semaines, quand l’Europe reconnaît les racines chrétiennes de sa généreuse ouverture à son prochain, le continent rajeunit, puisque ses racines sont caractérisées par l’accueil, le respect de la diversité et la recherche du bien commun.
La construction d’une société plus accueillante requiert une grande disponibilité et de surmonter les préjugés, à travers des gestes quotidiens concrets. Et la conversion du cœur est nécessaire, en demandant continuellement l’aide de Dieu. Dans l’Évangile proclamé dans cette liturgie, le Seigneur nous invite à apprendre de lui qui est doux et humble de cœur, c’est-à-dire de trouver en lui réconfort et repos, en surmontant notre fatigue et notre fragilité.
Certes, la présence et l’arrivée de tant de personnes est un problème grave que nous devrons chercher à résoudre d’une manière ou d’une autre. Toutefois, il est humain et chrétien de manifester à tous la compréhension, tolérance et solidarité. Avec quelle sorte de courage pouvons-nous repousser, rejeter à la mer ou renvoyer dans leur pays d’origine ceux qui fuient parce que leur existence même est menacée ?
Cette question fait émerger le problème important de la juste distribution de la richesse mondiale. Dans l’exhortation apostolique « Evangelii gaudium », le pape François affirme que « il faut toujours se rappeler que la planète appartient à toute l’humanité et que le seul fait d’être né dans un lieu avec moins de ressources ou moins de développement ne justifie pas que des personnes vivent avec moins de dignité » (n. 190).
Dans les années où j’ai vécu au Sénégal comme représentant du Saint-Père, j’étais impressionné et ému chaque fois que je visitais la « Maison des esclaves », sur l’île de Gorée, d’où sont partis tant de jeunes Africains, peut-être des millions, emmenés comme esclaves en Amérique. Dans le passé comme dans le présent, on appauvrit l’Afrique en la privant non seulement de ses ressources mais aussi de ses forces vives.
Je prie le Seigneur afin que les institutions de l’Union européenne et la Communauté internationale se laissent convaincre d’agir avec une meilleure coordination et dans un esprit de collaboration authentique, pour la création d’un monde plus juste, plus solidaire et plus humain.
Je conclus en invoquant l’aide de Dieu :
Seigneur, tu es miséricordieux et grand dans l’amour envers tous,
Nous te demandons que ta tendresse s’étende d’une mer à l’autre.
Donne-nous un cœur comme le tien, capable de regarder son frère et de l’accueillir à bras ouverts, en nous sentant responsables les uns des autres.
Fais de nous des collaborateurs dans la construction de ton Royaume, pour que nous ayons tous la vie et que nous l’ayons en abondance. Amen.
Traduction de Zenit, Constance Roques