Lundi 22 février 1858: sans apparition

L’absence

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Dans une série consacrée aux apparitions de Lourdes, il peut paraître curieux d’écrire un texte pour un jour sans apparition. Au Tour de France, les jours de repos, les commentateurs, eux aussi, se reposent. Il en va autrement pour Lourdes.

Bernadette avait promis de venir « pendant quinze jours », mais, à deux reprises, le 22 et le 26 février, Aquero n’est pas au rendez-vous. Il ne faut pas faire l’impasse sur ces deux jours, car ils font partie du message de Lourdes. Ils sont même très importants car l’expérience de Bernadette rejoint alors la nôtre : la foi traverse des moments d’obscurité.

Pourquoi la Dame ne s’est-elle pas montrée ? Bernadette se le demande. Est-ce de sa faute à elle ? Elle n’a pas de réponse. Mais elle reviendra le lendemain et c’est à partir de ce jour, semble-t-il, qu’elle recevra les trois secrets qu’elle gardera jalousement jusqu’à sa mort. L’absence a-t-elle été l’épreuve qui a permis de franchir un seuil, d’aller plus loin dans l’intimité et la confiance ?

La veille, chez le commissaire, le père de Bernadette avait promis que sa fille chérie ne retournerait pas à la grotte. Lundi matin, Bernadette ne va pas à la grotte. Elle obéit, non pas au commissaire mais à son père. Même sans savoir son catéchisme, elle connaît d’instinct le commandement : « Tes père et mère honoreras… » En plus, elle aime tendrement son père. Elle sait qu’il a déjà eu des ennuis avec la justice. L’accusation de vol était sans fondement et il avait bien fallu le relâcher. Mais il avait quand même fait quelques jours de prison. Pour elle-même, Bernadette se moquait bien d’aller en prison. Sur le sujet, elle plaisantait avec ses juges : il faudrait que les barreaux soient solides ou bien ces Messieurs devraient venir à la prison lui faire le catéchisme. Mais elle ne voulait pas que son père, à nouveau, eût des ennuis.
Bernadette va donc en classe à l’hospice qui fait aussi office d’école pour les filles. Il est tenu par les Sœurs de Nevers présentes à Lourdes depuis des années. La supérieure n’est pas loin de penser comme le commissaire : ces histoires d’apparition ne sont qu’une comédie, des « carnavalades » : mardi dernier était le Mardi gras.

La matinée se passe. Bernadette rentre au cachot, sans doute pour un maigre repas. Elle repart, toujours décidée à obéir. Mais, à l’approche de l’école, une force irrésistible l’entraîne vers la grotte. Comme l’école est en face de la gendarmerie, elle est aperçue. Deux gendarmes la suivent. La rumeur se répand dans Lourdes. On rapporte le cierge de tante Lucile. Une petite foule se rassemble à la Grotte. Comme les autres jours, Bernadette prie le chapelet. Le déroulement des apparitions n’était pas toujours le même mais, aujourd’hui, Bernadette a beau prier, la Dame n’apparaît pas.

En vingt-quatre heures, que de coups durs ! Comparaître devant Jacomet, entendre son père promettre au commissaire que la petite n’y retournerait pas, obéir à son père, puis désobéir, venir quand même pour, finalement, ne pas « la » voir. Ceux qui croient Bernadette sincère sont déçus ; ceux qui n’y croient pas, triomphent ; les autorités soufflent : « et si c’était fini ! »

Les nuages s’accumulent : civil avec le commissaire et la menace de la prison ; moral, familial et affectif avec la question de l’obéissance ; spirituel, avec l’absence de la Dame. Il y aurait de quoi douter. Pourtant, Bernadette sait bien qu’elle ne s’est pas trompée et n’a pas trompé son monde en disant qu’elle a vu Aquero six fois, qu’elle était très belle, qu’elle lui avait parlé, qu’elles priaient ensemble. Elle lui avait demandé de venir pendant quinze jours. Il est vrai que la Dame ne lui avait pas promis, elle-même, de venir. Mais pourquoi n’est-elle pas venue ?
Qui peut l’éclairer ? Bernadette n’hésite pas. Le soir même, elle se rend à l’église. Elle se confie à l’abbé Pomian, comme le samedi 13 février. Il lui fait cette réponse magnifique : « On n’a pas le droit de t’en empêcher. » Bernadette ne cause aucun trouble. Le pouvoir civil n’a donc aucun droit sur elle. Et n’a donc pas, non plus, le droit d’exiger quoi que ce soit des parents à l’égard de leur fille. En matière de droits de l’homme, l’abbé Pomian, qui ne semble pas avoir été un dangereux gauchiste, donne, ce jour-là une magnifique leçon. Les régimes autoritaires ont toujours eu la même attitude à l’égard du fait religieux : le cantonner dans les églises, quand ils ne les détruisent pas. Les Etats seront toujours inquiets devant la liberté religieuse, car l’Esprit Saint souffle où il veut.

Les parents de Bernadette, quant à eux, voient leur fille si triste qu’ils ne se sentent plus le cœur de lui interdire de retourner à la Grotte. Tant pis pour ce que pensera le commissaire ! La veille, par ses menaces, il avait commis un abus de pouvoir : les parents ne sont donc pas tenus en conscience.

Espérons que Bernadette s’est endormie dans la paix : demain matin, dès les six heures, elle descendra vers Massabielle. Mais la Dame viendra-t-elle ?

Marie,
Au long de ta vie, tu as connu bien des épreuves.
Quand il avait douze ans, tu as perdu ton Fils pendant trois jours.
Ses chemins étaient déconcertants.
Le Fils a éprouvé sa Mère.
Toi-même, tu as éprouvé Bernadette
Pour que sa foi grandisse.   
Aux heures d’obscurité, soutiens notre foi.
Au Nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit.
Amen !

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Jacques Perrier

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