Primauté et collégialité selon le pape François (2)

Une réforme de l’exercice de la primauté fait partie de la nouvelle évangélisation

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« Primauté et collégialité selon le pape François. Pour sortir de la léthargie »: sous ce titre, L’Osservatore romano du 31 janvier, en italien, a publié la conférence donnée par le cardinal nommé Gerhard Ludwig Müller, en Espagne, à Valence.

« Une réforme de l’exercice de la primauté fait aussi partie de la nouvelle évangélisation », fait observer l’archevêque qui ajoute: « Evangelii gaudium veut unir l’Église de l’intérieur, afin que le peuple de Dieu ne se mette pas d’obstacle dans son service missionnaire pour le salut et l’aide dont l’humanité a besoin ».

Il fait aussi remarquer que « le fait même que, dans l’ordination sacramentelle du Successeur, on renvoie à la consécration de la part d’ « évêques proches d’autres Églises » manifeste la dimension collégiale et universelle du ministère épiscopal ».

L’archevêque préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi est intervenu à Valence, à l’université catholique Saint-Vincent martyr, à la douzième édition des Conversations de droit canonique. Le cardinal élu a donné une conférence intitulée « Collégialité et exercice de l’autorité suprême dans l’Église ». En voici quelques extraits dans notre traduction de la seconde partie.

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La communion fraternelle des évêques de l’Église universelle « cum e sub Petro » se fonde sur la sacralité de l’Église et elle est, par conséquent, de droit divin. On ne pourrait mener une lutte de pouvoir entre forces centralistes et particularistes qu’au prix d’une désacralisation de l’Église. Il resterait, en fin de compte, une Église sécularisée et politisée qui ne se distinguerait d’une Ong que par le grade. Ce serait en opposition totale avec l’exhortation apostolique Evangelii gaudium.

En tant que genre littéraire, cette exhortation apostolique n’est pas un texte dogmatique, mais parénétique. Elle a pour base dogmatique la doctrine sur l’Église de Lumen gentium, expliquée avec la plus grande autorité magistérielle (Evangelii gaudium, n.17). Ce qui intéresse le pape, c’est de surmonter la léthargie et la résignation face à l’extrême sécularisation, et de mettre fin aux oppositions paralysantes entre idéologies traditionnalistes et modernistes à l’intérieur de l’Église. En dépit des tempêtes et des vents contraires, la petite barque de Pierre doit à nouveau hisser les voiles de la joie, pour Jésus qui est avec nous. Et les disciples doivent sans peur saisir le gouvernail, pour faire avancer avec force la mission de l’Église.

Si, à l’extérieur, l’Église se montre déchirée et hostile, il ne faut pas s’attendre à ce qu’elle soit perçue comme un témoin crédible de l’amour de Dieu et à ce qu’on apprenne à l’aimer comme une mère. Il est pourtant important de comprendre le service épiscopal comme une réalité sacramentelle dans l’Église sacramentelle et de ne pas le confondre avec celui de modérateur d’associations purement humaines.

L’épiscopat, en effet, est une charge que Dieu a établie dans l’Église jusqu’à la fin des siècles (Lumen gentium, n.18). Les évêques, institués par l’Esprit-Saint (cf. Actes des apôtres, 20, 28), guident le troupeau du Christ à la place de Dieu (Lumen gentium, n.19). À travers la consécration sacramentelle, l’Esprit-Saint est donné « de telle sorte que les évêques, d’une façon éminente et patente, tiennent la place du Christ » (ibid. n.21). Dans l’accomplissement de leur service, ils sont « vicaires et légats du Christ » (ibid. n.27).

Le fait même que, dans l’ordination sacramentelle du Successeur, on renvoie à la consécration de la part d’ « évêques proches d’autres Églises » manifeste la dimension collégiale et universelle du ministère épiscopal. La communauté particulière ne se constitue pas elle-même et ne constitue pas non plus son propre ministère. La consécration épiscopale insère symboliquement l’évêque dans le collège épiscopal et lui confère la responsabilité de l’Église catholique une et universelle, qui existe dans la « communion des Églises » (« communio ecclesiarum »).

Dans son Église locale, l’évêque est le « principe visible et le fondement de l’unité » (ibid., n.23). Cela concerne la communion de tous les fidèles et le collège de ceux qui assument une charge : les prêtres, les diacres et les autres responsables dans l’Église. L’unique ministère épiscopal n’absorbe pas la multiplicité des missions et des services. Le ministère épiscopal non seulement empêche l’effritement des services particuliers, mais aussi promeut leur multiplicité dans leur singularité et garantit l’unité de l’unique Église dans le témoignage, dans la liturgie et dans la diaconie.

Puisque le collège épiscopal sert l’unité de l’Église, il doit porter en lui le principe de son unité. Cela ne peut qu’être l’évêque d’une Église locale, et non le président d’une fédération d’associations ecclésiastiques régionales et continentales. Cela ne peut pas non plus être un simple principe impersonnel (décision majoritaire, délégation de droits à un organe directeur élu, etc.). Puisque la nature intime du ministère épiscopal est le témoignage personnel, le principe de l’unité de l’épiscopat s’incarne toujours dans une personne.

Selon la conception catholique, le principe personnel de l’unité, à l’origine comme dans son exercice actuel, est donné dans l’évêque de Rome. Comme évêque, il est le Successeur de Pierre, qui a incarné lui-même l’unité du collège des apôtres.

La représentation du ministère pétrinien comme mission épiscopale est décisive pour la théologie du primat, comme l’est aussi la compréhension du fait que ce ministère n’est pas de droit humain mais divin, dans la mesure où il ne peut être exercé qu’en vertu d’un charisme conféré personnellement dans l’Esprit-Saint par mandat du Christ. « Mais, pour que l’épiscopat lui-même fût un et indivis,il [Le Pasteur éternel Jésus-Christ] a mis saint Pierre à la tête des autres apôtres, instituant, dans sa personne, un principe et un fondement perpétuels et visibles d’unité de la foi et de communion » (ibid., n.18 ; Pastor aeternus, Denzinger Hünermann 3051).

Dans Evangelii gaudium, le pape a à l’esprit une pratique améliorée, correspondant à la civilisation mondialisée et numérique actuelle. Bien que le primat et l’épiscopat fassent partie de la nature de l’Église, les formes dans lesquelles ils se sont concrétisés dans l’histoire sont nécessairement diverses. L’invitation du pape à une nouvelle perception de la collégialité des évêques est exactement le contraire d’une relativisation du service de l’unité de la part de tous les évêques et fidèles dans la foi révélée – qui lui a été confiée directement par le Christ -, de la vie commune à partir de la grâce sacramentelle et de la mission de transmettre l’unité des hommes en Dieu (Lumen gentium, n.1).

Puisque le ministère épiscopal est de nature collégiale, en vertu de la consécration et de la mission canonique, il est aussi donné à l’évêque de participer au soin et à la responsabilité du bien de l’Église universelle : « Le soin d’annoncer l’Évangile sur toute la terre revient au corps des pasteurs […] C’est pourquoi les évêques, chacun pour sa part, dans toute la mesure où l’accomplissement de sa propre charge le lui permet, doivent accepter d’entrer en communauté d’effort entre eux et avec le successeur de Pierre, à qui a été confiée, à titre singulier, la charge considérable de propager le nom chrétien » (ibid., n.23).

Reconnaissant l’apostolat fécond réalisé par les conférences épiscopales déjà ex
istantes, et souhaitant que ces organes soient institués partout, le concile Vatican II en donne aussi une brève définition : « Une conférence épiscopale est en quelque sorte une assemblée dans laquelle les prélats d’un pays ou d’un territoire exercent conjointement leur charge pastorale en vue de promouvoir davantage le bien que l’Église offre aux hommes, en particulier par des formes et méthodes d’apostolat convenablement adaptées aux circonstances présentes » (Christus Dominus, n.38,1).

La réalisation théologique et pratique du service des conférences épiscopales rendu à l’Église universelle et aux Églises particulières qui en font partie, a été développée et concrétisée ultérieurement dans le motu proprio Apostolos suos. En fait aussi partie la compétence magistérielle des évêques en général, qui appartiennent à une Conférence (cf. n.21 ; Code de droit canon, can.753). Elle est au service de l’unité de la foi et de la réalisation concrète dans une zone culturelle. La référence au Successeur de Pierre, principe visible de l’unité de l’Église, pour chaque concile œcuménique, chaque synode particulier et chaque conférence épiscopale, est constitutive et de droit divin, lequel doit être à la base de tout droit codifié. Une conférence épiscopale ne pourra jamais émettre une déclaration dogmatique contraignante séparée, ou carrément relativiser des dogmes définis et des structures sacramentelles constitutives (par exemple faire dépendre son propre ministère magistériel et pastoral d’organismes de simple droit canonique). Les tendances séparatistes et un comportement autoritaire ne feraient que nuire à l’Église. La Révélation a été confiée, pour être gardée fidèlement, à l’Église une et universelle, guidée par le pape et par les évêques dans l’unité avec lui (Lumen gentium, n.8 ; Dei Verbum, n.10).

L’Église catholique est une « communion d’Églises » (« communio ecclesiarum ») et non pas une fédération d’Églises régionales ou une association mondiale de communautés ecclésiales confessionnellement proches qui, par tradition humaine, respecteraient l’évêque de Rome comme on respecte un président honoraire. En effet, nation, langue et culture ne sont pas des principes constitutifs de l’Église, qui réalise dans le Christ l’unité des peuples et en témoigne ; ce sont plutôt des moyens indispensables à travers lesquels toute la richesse et la plénitude du Christ se déploient dans ceux qui sont rachetés.

Evangelii gaudium veut unir l’Église de l’intérieur, afin que le peuple de Dieu ne se mette pas d’obstacle dans son service missionnaire pour le salut et l’aide dont l’humanité a besoin. Dans son exhortation apostolique, le pape François trace « quelques lignes susceptibles d’encourager et d’orienter dans toute l’Église une nouvelle étape d’évangélisation, pleine de ferveur et de dynamisme » (n.17).

Traduction de Zenit, Hélène Ginabat

Avec l’aimable autorisation de L’Osservatore Romano

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Gerhard Ludwig Müller

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