Le chemin qui a conduit les Légionnaires du Christ au Chapitre général et l’engagement de renouveau à l’intérieur de la Légion: autant de questions posées par le P. Federico Lombardi, SJ, porte-parole du Saint- Siège et directeur de Radio Vatican, au cardinal Velasio De Paolis, Délégué pontifical pour les Légionnaires du Christ.
L’interview a été diffusée sur Radio Vatican le jeudi 9 janvier à 12h. Il s’agit du texte écrit intégral publié sur le site de Radio Vatican, la rediffusion sonore étant plus brève.
P. Lombardi – Quel a été le chemin qui a conduit les Légionnaires du Christ au Chapitre général et à l’engagement de renouveau à l’intérieur de la Légion?
Card. De Paolis – Je voudrais d’abord préciser que ce chemin n’est pas le début de l’affaire de la Légion et de Regnum Christi, mais qu’il est plutôt une étape. La première étape est l’affaire du Fondateur ; la deuxième la visite de la part des cinq évêques envoyés par le Saint-Père pour se rendre compte de cette réalité ; et la troisième étape, justement, est la nomination du Délégué pontifical. Pourquoi est-il important de le souligner ? Parce que la visite des cinq Visiteurs apostoliques a eu un résultat de réflexion, d’évaluation et donc aussi de pondération sur le futur. Quand le Saint-Père a nommé le Délégué pontifical, il avait déjà émis un jugement sévère sur l’œuvre du Fondateur de la Légion, mais pas au point d’en détruire la réalité même, au niveau substantiellement positif : c’est-à-dire, si le Pape nomme un Délégué, il nie implicitement qu’il faille donner un jugement substantiellement négatif sur la Légion. Lui-même, au début de la Bulle de nomination, dit : « Il y a un grand nombre de prêtres zélés et engagés sur le chemin de sainteté ». C’est justement parce que cette promesse de confiance existait que cette étape – qui a commencé avec la nomination du Délégué pontifical – était donc plutôt une nomination positive. C’est qu’il s’agissait de parcourir le chemin auprès des Légionnaires pour les conduire, à travers une période de réflexion, de renouveau – un renouveau notamment pénitentiel – à revoir leur charisme, à réécrire leurs Constitutions avant de retrouver une situation positive à l’intérieur de l’Église. Il faut bien le dire car, d’une certaine manière, l’examen sur le Fondateur était considéré comme clos ; on considérait aussi que les visites apostoliques dans les différents lieux étaient terminées. Il fallait alors œuvrer à l’intérieur de l’Institut pour faire réfléchir les personnes et les aider à dépasser les difficultés. Voilà en quoi a consisté notre mission. Le Pape dit que la tâche principale, parmi les autres, est la révision des Constitutions. Ils avaient des Constitutions qui n’avaient pas été rédigées selon les critères de l’après-Concile, mais elles avaient encore des critères traditionnels. C’était un texte très long, lourd, confus même, où l’on ne distinguait pas les normes constitutionnelles des autres. Il s’y reflétait une mentalité qui ne distinguait pas, dans les règles extérieures de vie, la gradualité des lois, l’importance des lois. On ne distinguait pas la substance des règles extérieures de vie, d’autres normes qui sont utiles, nécessaires même, mais pas caractéristiques. Un océan de normes dans lequel le charisme était noyé ou, tout du moins, diffus ; il était donc difficile de l’identifier. Voilà la tâche principale.
P. Lombardi – Comment avez-vous procédé avec vos collaborateurs pour affronter la situation ?
Card. De Paolis – Au début, nous avons rappelé aux Légionnaires ce que les Visiteurs avaient dit, car c’est par là que nous devions commencer. Nous avons présenté les observations des Visiteurs au cours de diverses conférences à tous ceux qui se trouvaient alors à Rome ; environ 400-500 séminaristes et prêtres. Les conférences étaient enregistrées et elles étaient ensuite envoyées à toute la Légion et aussi à Regnum Christi, qui est une réalité plus large que la Légion. Quand nous avons commencé, il y avait presque – on peut le dire – une division en deux groupes. L’un affirmait que l’intérieur du gouvernement de l’Institut avait été pollué et donc que, d’une certaine manière, on ne pouvait rien espérer de nouveau. Un autre groupe, au contraire, n’arrivait pas à saisir la nouveauté ; pour eux, tout était positif, ils pensaient même que leur caractéristique, qui les avait empêché de tomber dans les défauts des autres Instituts religieux, était justement celle d’être une réalité bien structurée. Mais ces derniers étaient en réalité tombés dans un piège beaucoup plus dangereux, celui du Fondateur même ! Au cours du chemin, nous avons rencontré des problèmes relatifs aux conséquences du comportement du Fondateur vis-à-vis des victimes. Nous avons rencontré des problèmes d’ordre économique, parce que les Légionnaires n’étaient pas aussi riches qu’on le pensait : la situation économique avait empiré, au niveau mondial à cause de la crise financière et au niveau institutionnel, pour eux, parce que la perte de réputation avait fait baisser le nombre d’élèves de leurs écoles et, par conséquent, les rentrées financières. Mais le sujet qui a demandé le plus de travail a été celui des Constitutions. La question principale était de les réviser, surtout quelques points nodaux. Lesquels ? Certains avaient déjà été corrigés. La distinction claire, plus claire et précise entre le for interne et le for externe, le for sacramentel et le for, disons, « disciplinaire » ou extérieur. Il fallait surtout réaffirmer une autorité qui ne soit pas arbitraire, mais qui doit œuvrer à l’intérieur du Conseil. Ils avaient ensuite une certaine constitution d’autorité très diffuse et fractionnée, avec beaucoup d’éléments d’incertitude. En gros, nous avons reconduit tout le problème à la réalisation des Constitutions selon les indications du Concile, de l’après-Concile et particulièrement du Code de Droit Canonique. C’est autour de ce sujet que le plus gros du travail a été produit. Ensuite, il y a eu la tâche de renouveler les supérieurs, qui était très importante : au début, nous avons fait que les supérieurs restent en poste. C’était une exigence nécessaire : en arrivant, effet, comment pouvions-nous agir et gouverner sans connaître la réalité ? Il nous a semblé plus utile et plus efficace de maintenir les supérieurs, mais sous le contrôle de notre présence : nous avons donc fait l’effort d’être toujours présents à leurs Conseils généraux. Ils pouvaient disposer de leur gouvernement, mais ils ne pouvaient rien décider sans notre présence. Il y a donc eu cette osmose de dialogue constant : une fois par semaine, au moins, nous avions les rencontres des deux Conseils. J’avais, moi, mon Conseil et ils avaient leur Conseil. Nous avons donc mis en marche ce dialogue où nous avons traité tous les grands problèmes : les problèmes du Fondateur ; les problèmes de la formation ; les problèmes de Regnum Christi ; et aussi les problèmes disciplinaires, puisque, même s’ils n’étaient pas très nombreux, dans la Légion, aussi, il y avait aussi des cas de prêtres qui s’étaient rendus coupable d’un délit dans l’Église, tout comme, du reste, il y en a dans les autres Instituts. Voici donc le cadre général dans lequel nous avons agi.
P. Lombardi – Je crois que le Chapitre a maintenant, substantiellement, deux missions : renouveler le gouvernement par les élections et approuver de nouvelles Constitutions. Mais si le travail des Constitutions a déjà été accompli, en quo
i le Chapitre doit-il encore intervenir pour ces dernières ?
Card. De Paolis – Nous avons distingué le Chapitre en trois grandes étapes. La première étape est une vérification du chemin parcouru : un examen de conscience – nous l’avons appelé comme cela – fait par rapport aux accusations qui ont été présentées. Comment nous les avons vérifiées et quel engagement nous devons assumer pour dépasser ces difficultés. On a aussi reconnu une démarche de pénitence qui devrait porter à reconnaître, publiquement même, ces responsabilités ; une démarche de chacun de savoir assumer même la souffrance qui dérive de cette situation, comme expiation pour renouveler la Légion et donc aussi pour qu’elle retrouve sa juste place à l’intérieur de l’Église. Le deuxième moment devrait être la nomination des nouveaux supérieurs qui devront ensuite gouverner l’Institut. Le troisième moment, la révision des Constitutions, qui devrait être, justement, comme vous le disiez, simple, parce que nous y avons travaillé dans ces trois années et demi. Toute la Congrégation a été consultée et nous avons présenté aux capitulants (ndt : prêtres légionnaires du Christ délégués au Chapitre) un texte des Constitutions, avec le support des sources et du chemin parcouru. Il faut espérer que, maintenant, cela ne prenne pas trop de temps, même si le chemin, en connaissant les situations, pourrait aussi présenter des obstacles, car tous ont un peu envie de faire des propositions supplémentaires. Mais il est vrai aussi que le texte qui sera émis par le Chapitre ne sera pas le texte définitif, car il devra ensuite être présenté au Saint-Père pour la révision et, ensuite, pour l’éventuelle approbation définitive.
P. Lombardi – Un point qui est très important dans cette affaire est le rapport entre le Fondateur et le charisme. En général, dans les instituts religieux, le charisme est en lien étroit avec l’expérience et la personne du Fondateur : dans ce cas, néanmoins, il fallait les séparer radicalement. Pensez-vous qu’on ait réussi à identifier un charisme autonome, le séparer de la personne du Fondateur ?
Card. De Paolis – Ce sujet nous concernait seulement en partie car, implicitement, cela avait déjà été jugé par les conclusions des Visiteurs et par les actes posés successivement. Si l’on avait constaté une inséparabilité entre le Fondateur et l’Institut, cela aurait été fini ; mais en prévoyant que la Congrégation puisse aller de l’avant sur le chemin avec le charisme, on admettait implicitement qu’elle avait probablement déjà un charisme valide. Il est également vrai, néanmoins, que le Saint-Père, dans la Bulle de nomination, parle de revoir le charisme en profondeur. Nous avons essayé de le faire. Nous avons inséré ce charisme à l’intérieur d’une réalité plus grande qui existait autour du Fondateur, celle de Regnum Christi. On a réussi à reconnaître le charisme de Regnum Christi, qui est vécu à des niveaux différents, selon les vocations, par des laïcs, des laïcs consacrés et des prêtres religieux. Et il nous semble que la détermination de ce charisme est assez précise. Plus que de « charisme » (un terme un peu problématique), nous avons préféré (surtout moi) suivre le Code (de Droit canonique) et parler de « patrimoine », du « patrimoine de l’Institut », c’est-à-dire des éléments institutionnels. En effet, si nous nous bornons au charisme comme moment source et spirituel, nous sommes un peu en difficulté. Mais si nous pensons aux aspects institutionnels et, donc, à un charisme remis à l’Église et approuvé par l’Église, on peut l’identifier : ce sont les prêtres religieux, les laïcs, les laïcs consacrés, qui veulent vivre le Mystère de Jésus qui annonce le Règne. C’est la spiritualité typique de la royauté du Christ : la royauté du Christ non pas sous l’aspect triomphant, mais sous l’aspect de Jésus qui triomphe à partir de la Croix. Puis la piété eucharistique très accentuée et la piété mariale. Finalement, l’apostolat, c’est-à-dire l’annonce du Règne du Christ, particulièrement par la création des universités et des études supérieures. Si nous pensons à tout cela, il nous a semblé que la physionomie, la spiritualité de cet Institut est assez claire et précise.
P. Lombardi – Dans tout ce chemin, votre évaluation est que le corps de la Légion et du Mouvement Regnum Christi, dans ses aspects essentiels, a réagi positivement, avec disponibilité, à ce chemin de renouveau, au point de pouvoir vraiment avoir confiance, maintenant, qu’il soit sur un chemin renouvelé, ou bien sommes-nous encore un peu en chemin ?
Card. De Paolis – Je voudrais dire avant tout que notre travail a porté surtout sur les supérieurs car c’était le sujet principal, sujet qui avait suscité toute la discussion sur la Légion, qui s’était centrée sur son Fondateur, qui était supérieur et supérieur absolu ! Qu’il suffise de penser – ils l’affirment – qu’il faisait et défaisait, et qu’il ne se servait même pas du Conseil ! Le problème était donc justement de les éduquer à une forme de gouvernement, où les supérieurs soient transparents, observent le système de l’Église et respectent les règles. Dans cette perspective, puisque nous ne pouvions pas en si peu de temps être présents dans toutes les provinces de la Légion, et avec toutes les questions dont nous devions nous occuper, nous avons suivi la démarche de coopérer avec les supérieurs, ou plutôt de chercher à ce que les supérieurs coopèrent avec nous pour le renouveau, particulièrement sur l’exercice de l’autorité. En tout cela, nous étions convaincus que, la Légion dotée de supérieurs aptes, la route serait prise et pourrait donc se poursuivre. Je pense pouvoir dire que cela a été fait. On a aussi pu dépasser des tensions internes, qui se sont présentées également : bien sûr, elles n’ont pas complètement disparu, mais la grande majorité s’est retrouvée compacte. Je pense que le Chapitre commence sous de bons auspices car il y aura encore bien sûr des tendances d’ouverture et de fermeture de certains, mais la tendance fondamentale est une acceptation du schéma des Constitutions présenté. La caractéristique à souligner est l’obéissance absolue à l’Église. Je me souviens, dès le début, avoir écrit dans une lettre qu’en conservant cette fidélité et obéissance à l’Église, le chemin ne pourrait être que positif. Et je pense qu’effectivement, cette obéissance à l’Église a été présente : je ne les ai jamais entendu murmurer contre l’autorité de l’Église, contre nous qui avions été mis à cette place. Bien sûr, l’un ou l’autre, mais c’est normal… Sous cet aspect, nous pouvons espérer qu’effectivement, ces Constitutions pourront être adaptées à leur objectif, les accompagneront dans leur renouveau, porteront un bon fruit. Elles devront ensuite être approuvées par le Saint-Siège quand elles auront été émises par le Chapitre Général.
P. Lombardi – Ce Chapitre affronte-t-il seulement les problèmes du renouveau de la Légion, ou bien également de la plus large et très grande réalité de Regnum Christi ?
Card. De Paolis – Je pense que notre chemin, sous cet aspect, a été un chemin nouveau car, auparavant, Regnum Christi était plutôt un appendice de la Légion : mais on a pris meilleure conscience que chaque groupe a sa propre autonomie, son identité et son mode de vie, mais qu’à la fois, tous forment ensemble, disons, car aujourd’hui on parle de « mouvement », un Mouvement. Bien sûr, le terme « mouvement » ne définit pas complètement cette réalité, puisqu’il s’agit d’un ensemble de personnes qui veulent s’engager, au sein de l’Église, dans Regnum Christi, selon leur propre vocation. Une grande unité, donc, entre
des laïcs, des laïcs consacrés et des prêtres religieux engagés dans une coopération étroite : ce sont des choses qu’il faut encore définir ultérieurement. Mais il est important de souligner aussi que, d’une certaine manière, ce qui a secoué la Légion avec les scandales, n’a pas touché ce grand Mouvement de Regnum Christi. C’est pourquoi il y a une grande part, une grande réalité ecclésiale qui demeure intacte et qui sert l’Église particulièrement dans le domaine de la culture religieuse, des universités catholiques et pontificales et qui est prometteuse.
P. Lombardi – Cette affaire a été mise en route par un mandat donné par le Pape Benoît XVI ; aujourd’hui, entre temps, il y a aussi eu un changement de Pontificat et nous avons maintenant le Pape François. Le Pape François est-il entré en pleine connaissance de cette affaire, vous sentez-vous accompagnés par lui, est-il bien informé sur ce qui se passe ?
Card. De Paolis – Dans ces trois années et demi, je me suis adressé plusieurs fois au Saint-Père Benoît XVI et je lui ai fait des rapports ponctuels. Mais nous avons été pris par surprise au dernier rapport puisqu’après la remise du rapport, le Pape a renoncé à sa charge. Quand le nouveau Pape a été nommé, j’ai senti le devoir de lui présenter ce rapport ; il m’a immédiatement appelé (ce qui veut dire qu’il a accordé de l’importance au sujet, même si je n’avais rien demandé de particulier, j’avais juste informé de la situation) ; il m’a donc immédiatement appelé et, après quelques jours, il m’a écrit une lettre, dans laquelle il me confirmait dans mon travail, il approuvait le programme que je lui avais présenté – c’était justement le programme des dates du Chapitre Général – et il demandait que je le tienne informé du chemin de préparation du Chapitre. A la fin du mois de novembre, début décembre, j’ai remis au Saint-Père des textes de préparation. Le Pape a été très attentif, très proche et il veut justement suivre le chemin que nous parcourons car – ce sont ses mots – « il sent la grand responsabilité, comme Successeur de Pierre, d’accompagner la vie religieuse et consacrée ».
P. Lombardi – Avec le Chapitre, il est prévu que soit élu un nouveau gouvernement de l’Institut. Peut-on déjà prévoir que, si tout se passe comme on le souhaite, le mandat du Délégué sera conclu, ou bien est-il possible que le Délégué doive ensuite accompagner le chemin ultérieur ?
Card. De Paolis – Le mandat du Délégué, donné à l’époque par Benoît XVI, n’incluait pas de temps précis, mais le terme était lié à la tenue du Chapitre extraordinaire. Après le Chapitre extraordinaire, le mandat arrive à son terme.
Traduction : Légionnaires du Christ de France