Dans leur message de Noël, les évêques catholiques d’Haïti exhortent les baptisés à « changer la méfiance en confiance réciproque et l’exclusion en intégration fraternelle ».
Message de Noël des évêques d’Haïti
1- Nous, Archevêques et Evêques catholiques d’Haïti, réunis en Assemblée plénière ordinaire, à Lilavois, vous saluons dans la foi et vous adressons ce message à l’occasion des fêtes de Noël.
2- Nous venons de célébrer avec le Peuple de Dieu des dix diocèses du pays la clôture de l’Année de la Foi qui a coïncidé avec la Fête du Christ-Roi. Cette célébration qui nous a remplis d’enthousiasme et d’énergie spirituelle nous dispose à entrer dans le temps de l’Avent qui nous prépare à célébrer la Nativité de Notre Sauveur. Et dans quel contexte sociopolitique et géospirituel a-t-il pris naissance !
3- « Quand arriva la plénitude du temps, Dieu envoya son Fils, né d’une femme, né sujet de la Loi afin de racheter les sujets de la Loi » (Galates 4,4). Il naquit dans un pays en proie à l’occupation et à la division. Des factions rivales se dressaient les unes contre les autres, se détestaient voire s’entretuaient : les zélotes s’opposaient aux hérodiens, les esséniens aux sadducéens, les Judéens aux Samaritains, les pharisiens aux publicains, pour ne mentionner que ces rivaux.
4- Le Christ Jésus, au-delà de ces luttes des partis, répondant à des situations conjoncturelles, a voulu s’attaquer à la réalité d’ordre structurel qui les sous-tend : le péché. Face à ce mal, son premier message fut un appel à la conversion radicale adressé à tous sans distinction : « Repentez-vous, car le Royaume des cieux est proche ». (Mathieu 4,17)
5- A ce Royaume de Vie et de Vérité, de Grâce et de Sainteté, d’Amour, de Justice et de Paix, tous, sans exception, sont invités. Mais, pour y accéder, il faut accepter de se convertir à Dieu et à l’autre. Car, seule la conversion à l’Amour, fruit de la victoire du Christ sur le péché, peut réunir les peuples ennemis en un seul : « Il n’y a plus ni juif ni païen, il n’y a plus esclave ni homme libre, il n’y a plus l’homme et la femme, car tous, vous ne faites plus qu’un dans le Christ Jésus ». (Galates 3,28)
6- Le drame sociopolitique de beaucoup de pays, dont le nôtre, ressemble à bien des égards à celui du pays de Jésus. Le destin tragique de notre peuple est jalonné de grandes souffrances et de situations conflictuelles qui entraînent de lourdes conséquences sur la vie de chaque Haïtien et sur l’ensemble de la Nation, rendant toujours difficile notre cohabitation comme peuple. Pourtant, ce que Dieu veut : « C’est la paix pour son peuple et ses amis, pourvu qu’ils ne reviennent à leur folie. » (Psaumes 84,9)
7- Aujourd’hui encore, nous continuons de générer entre nous des situations de méfiance et d’exclusion qui paralysent notre présent, menacent notre avenir et aliènent nos relations avec Dieu, avec nous-mêmes, avec le prochain et avec notre environnement :
– Les luttes fratricides interminables pour le pouvoir ;
– Le manque de respect de l’autre, des normes et des lois ;
– Les critiques négatives et destructrices ;
– La dégradation morale et la déliquescence des mœurs ;
– La gabegie administrative et la corruption ;
– La polarisation politique, cause de blocage ;
– L’intolérance grandissante jusqu’au mépris de l’autre ;
– Le fossé de plus en plus béant entre les nantis et les dépourvus.
8- L’Enfant de Noël a connu Lui aussi ces conditions déshumanisantes et aliénantes. Mais, il les a assumées et transformées pour nous montrer comment nous devons, à notre tour, changer la méfiance en confiance réciproque et l’exclusion en intégration fraternelle.
9- L’Enfant de Noël qui n’a eu comme abri qu’une étable et pour berceau, une mangeoire se fait solidaire des enfants de notre pays abandonnés à eux-mêmes et non scolarisés, des jeunes incertains de leur avenir, des vieillards sans protection sociale, des paysans sans terre ni encadrement, des personnes sans logis, des familles en détresse et des femmes seules privées de secours.
10- L’Enfant de Noël a été victime de menaces et d’exclusion. Marie et Joseph ont dû fuir avec Lui en Egypte. Comme Lui, beaucoup de familles haïtiennes continuent de fuir en affrontant les mers au péril de leur vie, traversant des frontières en essuyant l’humiliation, le rejet, l’exclusion et la négation de leurs droits les plus élémentaires. Dans leur expatriation en quête d’un mieux-être, elles trouvent la maltraitance, l’avilissement, la xénophobie et même la mort.
11- Qui peut comprendre le drame de ce peuple crucifié dans son histoire ? Qui doit vraiment l’aider à trouver un avenir meilleur ?
– Les dirigeants à qui il a confié un mandat, qu’ils soient des hommes et des femmes intègres, crédibles, aimant passionnément leur pays ;
– Les responsables religieux, qu’ils soient des guides spirituels sûrs, des artisans de paix, des personnes moralement intègres capables d’éduquer la conscience du peuple ;
– Les leaders des partis, qu’ils se rappellent que la politique est avant tout un engagement pour la justice et la paix, une recherche désintéressée du bien commun ;
– Les intellectuels, les professionnels, les entrepreneurs, qu’ils mettent leurs capacités multiples et variées au service de la population ;
– Les fonctionnaires et les cadres sur lesquels repose l’administration publique et privée, qu’ils se montrent justes et honnêtes dans l’accomplissement de leur tâche ;
– Les paysans, les ouvriers et les salariés qui portent sur leurs frêles épaules la production nationale, qu’ils s’organisent davantage pour accomplir dans la dignité leur tâche quotidienne ;
– Les hommes et les femmes du peuple, fils et filles de cette terre, qu’ils sachent que le pays a besoin d’eux pour s’engager ensemble sur le chemin de la reconstruction par la réconciliation.
12- Comment en effet pourrions-nous rebâtir ce pays sans vider les contentieux, sans résoudre les conflits qui nous divisent ? Comment y arriver sans une volonté de dialogue qui nous rapproche jusqu’à faire de nos différences notre force, de nos divergences notre richesse ?
13- Cette volonté de dialogue est la condition indispensable pour que Noël soit ce qu’elle doit être : une fête de famille, de communion et d’intégration fraternelles. C’est cette même volonté ferme de dialogue qui rendra hommage aux Pères fondateurs de la Patrie, lesquels s’étaient unis, il y a 210 ans, malgré leurs différences, autour d’un objectif commun : la naissance d’une nation libre et indépendante.
14- Que la fête de l’Emmanuel qui donne aux familles la possibilité de se réunir soit pour nous Haïtiens, Haïtiennes, fils et filles d’une même terre, l’occasion d’un rassemblement fraternel pour sortir de nos nuits de peur, nos nuits de méfiance, nos nuits d’exclusion, nos nuits d’affrontement !
15- Qu’au cœur de toutes ces nuits, la parole d’amour et de vérité nous éclaire et nous inonde de joie ! « Car, la joie de l’Évangile remplit le cœur et toute la vie de ceux qui rencontrent Jésus. » (Evangelii Gaudium) !
16- Que « l’Esperance qui jamais ne déçoit » (Romains 8,5) continue vivement de nous habiter ! Que l’Étoile qui conduisait les mages nous oriente tous ve
rs Jésus, Notre Sauveur et Libérateur !
17- Que la Vierge Marie et Joseph son chaste époux veillent sur le pays, sur la famille haïtienne et les protègent de tout danger !
Joyeux Noël 2013 ! — Heureuse Année 2014 ! –
Bonne célébration de la 1re décennie du bicentenaire de l’indépendance !
Donné au siège de la CEH, le 30 novembre 2013, fête de Saint André, Apôtre et martyr.