[Rite ambrosien : 5èmedimanche de l’Avent – Ml 5,1. Ml 3,1-5a.6-7b ; Gal. 3,23-28 ; Jn 1,6-8.15-18: Jean-Baptiste, témoin de la vérité et de l’amour]
1. La joie du don de charité
L’Avent a pour but de préparer les chrétiens à Noël parce que le Christ vient là où il est attendu, désiré et aimé.
Cette attente qu’il faut vivre avec « vigilance » et « discernement » (cf. les précédents dimanches de l’Avent) doit se faire « dans la « joie » parce que la venue du Dieu de la joie qui ne finit jamais, est imminente.
Alors que la fête de Noël approche, la liturgie de la messe de ce dimanche nous invite à la joie : dans la première lecture, les images et les descriptions entraînent toute chose et tout le monde – y compris nous-mêmes – dans l’attente de quelque chose de beau de la part du Seigneur qui en est le protagoniste et qui intervient dans l’histoire pour devenir lui-même la route que son peuple peut et doit parcourir pour rentrer à la maison.
Dieu ne nous laisse jamais seuls, il nous libère de nos peurs, de nos angoisses, de nos doutes, il entre dans notre histoire, il vient chez nous, en apportant la paix et en se faisant chemin sûr sous nos pas. Par lui, la vie des hommes est guérie : les aveugles voient, les sourds entendent, les muets parlent, le désert refleurit et ce chemin, « on l’appellera la voie sainte » (cf. Première lecture, Is. 35,8).
Nous avons là la clé de lecture de Noël : Noël est espérance et joie. Suivons l’exemple de nos enfants qui attendent les cadeaux dans une joyeuse espérance : ils sont le symbole de l’attente, qui est satisfaite, qui remplit de joie : c’est la joie qui vient de l’expérience d’être aimé parce que Jésus nous est donné.
Ce don de l’autre monde nous fait comprendre que la joie chrétienne n’est pas seulement humaine, terrestre : elle est spirituelle, comme nous le rappelle le début de l’antienne de l’Introït de ce dimanche : Gaudete in Domino (Réjouissez-vous dans le Seigneur). Si nous nous réjouissons dans le Seigneur, nous trouverons la vraie joie. Il existe donc une joie spirituelle qui a pour objet l’amour non pas des choses créées, mais de Dieu. Cette joie spirituelle ne vient pas de nous, mais de l’Esprit-Saint. À ce niveau, la joie est surnaturelle, profonde, durable. La joie spirituelle dépend de l’amour de Dieu, de la charité divine. Cette joie-là n’est pas fragile comme la joie humaine ; elle est forte, certaine, toujours fiable, inébranlable.
En ce troisième dimanche de l’Avent « romain », la liturgie nous offre la possibilité de faire l’expérience de la joie surnaturelle. En quel sens ? Saint Paul dit : « Réjouissez-vous dans le Seigneur car il est proche ». De même que nous éprouvons de la joie lorsque nous nous trouvons en présence de la personne aimée, ainsi nous avons de quoi nous réjouir, précisément parce que, dans deux semaines, « le bien-aimé de notre cœur » viendra, comme le dit l’épouse du Cantique des cantiques. Il sortira comme l’époux de son enclos, de la chambre nuptiale et viendra habiter au milieu de nous.
Il y a un autre motif à la joie spirituelle : c’est notre participation à la bonté de Dieu. Mais aucune participation en Dieu ne serait possible si Dieu lui-même n’en avait pris l’initiative en bâtissant un pont pour combler l’abîme qui sépare l’homme de Dieu. Dans l’Incarnation, le Fils de Dieu a pris sur lui notre nature humaine, précisément pour nous donner la possibilité de participer à sa vie de charité divine, maintenant et à jamais. Voilà le motif de la plus grande joie qui soit : le bien-aimé de notre cœur est proche : il vient pour rester avec nous pour toujours et nous permet de demeurer avec lui, maintenant et à jamais.
La joie humaine est vraiment très belle, mais très souvent elle est mêlée à de la tristesse. La joie dans le Seigneur, elle, ne diminue jamais.
2. Le précurseur et martyr de la joie
La joie vraie, celle du cœur, celle qui dure toujours, est la rencontre avec le Seigneur. Jean-Baptiste est parvenu à la rencontre pleine et définitive avec le Seigneur, à travers le grand amour du martyre. C’est pourquoi le troisième dimanche de l’Avent nous propose la figure et l’exemple du précurseur de l’amour.
Lorsque Jésus est allé sur les bords du Jourdain pour se faire baptiser, cet homme qui s’était retirévolontairementdans le désert, où il était la voix de la Parole, a reconnu Jésus et a dit de lui : « Voici l’Agneau de Dieu, qui enlève le péché du monde ». Et certainement il fut plein de joie parce que l’Ami était arrivé. Mais une fois en prison, ce désertinvolontaireoù il avait été mis, Jean veut savoir si Jésus est l’Ami tant attendu, et il demande à ses disciples d’interroger le Christ : « Es-tu celui qui doit venir ou devons-nous en attendre un autre ? » Jésus leur répondit : « Allez rapporter à Jean ce que vous entendez et voyez : les aveugles voient et les boiteux marchent, les lépreux sont purifiés et les sourds entendent, les morts ressuscitent et la Bonne nouvelle est annoncée aux pauvres ;et heureux celui qui ne trébuchera pas à cause de moi ! ». Et le Baptiste, lui qui, dans l’obscurité du sein de sa mère Elisabeth, avait tressailli de joie en présence de Jésus dans le sein de Marie, lui qui courait devant le Christ (Précurseur signifie « celui qui court en avant ») pour préparer la route à la Voie, ne s’est pas scandalisé, mais il a accepté le martyre en devenant le protomartyr (c’est-à-dire le premier témoin) de la charité du Sauveur. Comme Isaïe autrefois, dans la première lecture, Jésus dit que quelque chose est déjà en train de se produire ou est déjà arrivé : les aveugles qui retrouvent la vue, les muets qui parlent, les malades qui sont guéris sont le signe que le Royaume de Dieu est déjà présent au milieu de nous, que ce n’est pas quelque chose qui doit encore advenir. C’est un fait présent. Dans l’obscurité d’une prison, le Baptiste a entrevu la lumière et sa mort a été la fissure dramatique qui l’a fait entrer dans la lumière.
Et nous sommes appelés à participer à cet événement, avec la constance qui réconforte le cœur. La seconde lecture, de la Lettre de saint Jacques, est une invitation à se mettre dans l’état d’esprit de l’agriculteur, qui ne regarde pas ce qu’il est en train de faire, mais qui regarde la fin pour laquelle il travaille. Ce paysan a confiance que la semence qu’il a mise en terre et dont il s’occupe avec constance, donnera son fruit en temps voulu. Nous aussi, nous devons savoir attendre le bon moment, nous devons savoir attendre et prendre soin des choses dans la perspective d’un bien plus grand, mais non immédiat, auquel nous devons nous préparer.
Dans sa prison, Jean le Baptiste a eu une épreuve de foi qui l’a purifié et l’a rapproché davantage encore du cœur de Dieu. En effet, inspiré par Dieu, Jean avait annoncé la venue du Messie. Le Messie était réellement venu dans le monde. Mais comme toujours, Dieu s’était réservé un espace de nouveauté et de liberté que Jean ne connaissait pas : Le Messie, en effet n’était pas exactement comme Jean l’attendait. A cause de cela, Jean lui demande : « Est-ce que tu es celui qui doit venir ou devons-nous en attendre un autre ? » La réponse de Jésus créa un nouvel espace pour la foi de Jean : « la Bonne nouvelle est annoncée aux pauvres ;et heureux celui qui ne se scandalisera pas à cause de moi ! ». Jean ne s’est pas scandalisé, mais il a incliné la tête, il a renoncé à sa tête parce que les pensées de Dieu ne sont pas celles de l’homme (« Vos pensées ne sont pas mes pensées, et mes voies ne sont pas vos voies » (Is. 55,8), et il a cru.
Celui qui se met en chemin à la recherche de Dieu doit to
ujours s’attendre à quelque surprise : Dieu ne sera jamais comme nous nous y attendons ; c’est pourquoi on ne rencontre Dieu que dans l’humilité de la foi, en se laissant conduire par lui sur des voies que nous ne pouvons pas imaginer. Il en a été ainsi pour Jean, il en est de même pour chacun de nous. Il a été martyr. Il a vécu dans la joie parce qu’il était certain de la présence du Sauveur dans sa vie et dans celle de son peuple.
Les vierges consacrées sont appelées, à travers leur vocation à la virginité, à un martyre (c’est-à-dire un témoignage) analogue à celui du Précurseur qui a su diminuer pour laisser grandir le Christ (cf. Jn 3,30). Leur appartenance totale au Christ à travers un amour indivisé témoigne que la vie est joyeuse et féconde (cf. Rite de la consécration des vierges, n.36 : Renvoi), lorsque tout notre être, âme et corps, est au service de l’amour qui ne veut rien pour soi et qui donne tout dans la joie. Dans une attitude sponsale, elles restent chastement auprès du Christ et elles partagent avec lui la passion d’attirer à la vérité leurs frères et sœurs en humanité.
Lecture spirituelle. Saint Thomas d’Aquin. Somme théologique IIa-IIae.
Question 28. La joie.
Il faut maintenant étudier les effets qui découlent de l’acte principal de la charité, qui est la dilection : d’abord les effets intérieurs, qui sont la joie (Q. 28), la paix (Q. 29) et la miséricorde (Q. 30), ensuite les effets extérieurs (Q. 31-33)
ARTICLE 1: La joie est-elle un effet de la charité?
Objections:
1. Il ne semble pas, car l’absence de ce qu’on aime produit de la tristesse plutôt que de la joie. Mais Dieu, que nous aimons par la charité, est loin de nous, tant que nous sommes en cette vie. Comme dit S. Paul (2 Co 5, 6): » Aussi longtemps que nous sommes dans notre corps, nous sommes loin du Seigneur. » Donc la charité produit en nous de la tristesse plutôt que de la joie.
2. C’est surtout par la charité que nous méritons la béatitude. Mais parmi ce qui nous obtient ce résultat, on doit compter les larmes, selon cette parole en S. Matthieu (5, 5): Bienheureux ceux qui pleurent, car ils seront consolés. » Or les larmes expriment la tristesse. Celle-ci est donc plus que la joie un effet de la charité.
3. La charité, on l’a montré, est une vertu distincte de l’espérance. Or c’est de cette vertu que procède la joie selon S. Paul (Rm 12, 12): » Soyez joyeux dans l’espérance. » La joie n’est donc pas un effet de la charité.
En sens contraire, pour S. Paul (Rm 5, 5), » l’amour de Dieu a été répandu dans nos cœurs par l’Esprit Saint qui nous a été donné « . Or la joie est produite en nous par cet Esprit, selon une autre parole de l’Apôtre (Rm 14, 17): » Le règne de Dieu n’est pas affaire de nourriture et de boisson, il est justice, paix et joie dans l’Esprit. » Par conséquent la charité aussi est cause de joie.
Réponse:
Comme nous l’avons dit en traitant des passions, et la joie et la tristesse procèdent de l’amour, mais pour des motifs opposés. La joie est causée par l’amour, ou bien parce que celui que nous aimons est présent, ou bien encore parce que lui-même est en possession de son bien propre, et le conserve. Ce second motif concerne surtout l’amour de bienveillance qui nous rend joyeux du bien-être de notre ami, même en son absence. – A l’opposé, l’amour engendre la tristesse, soit parce que celui qu’on aime est absent, soit encore parce que celui à qui nous voulons du bien est privé de son bien ou accablé de quelque mal.
Or, par la charité, c’est Dieu qu’on aime, Dieu dont le bien est immuable, puisqu’il est en personne son propre bien. Et du seul fait qu’il est aimé, il est dans celui qu’il aime par le plus noble de ses effets, selon la parole de S. Jean (1 Jn 4, 16): » Celui qui demeure dans la charité, demeure en Dieu, et Dieu demeure en lui. » C’est pourquoi la joie spirituelle qui vient de Dieu est causée par la charité.
Solutions:
1. Aussi longtemps que nous habitons ce corps, on dit que nous sommes loin du Seigneur, si l’on nous compare à ceux qui sont en sa présence et jouissent ainsi de sa vision; car, déclare également S. Paul au même endroit, » nous cheminons dans la foi et non dans la claire vision « . Mais Dieu, même en cette vie, est présent à ceux qui l’aiment, par la grâce qui le fait habiter en eux.
2. Les larmes qui méritent la béatitude viennent de ce qui s’oppose à celle-ci. C’est donc pour la même raison que ces larmes et la joie spirituelle de Dieu proviennent de la charité; car c’est pour une même raison qu’on se réjouit d’un bien, et qu’on s’attriste de ce qui s’y oppose.
3. La joie spirituelle qui a Dieu pour objet peut avoir deux formes, suivant qu’on se réjouit du bien divin en lui-même, ou de ce même bien pour autant qu’on y participe. La première de ces joies est la meilleure et a sa source primordiale dans la charité; mais une seconde joie provient aussi de l’espérance, par laquelle nous attendons de jouir du bien divin. Toutefois, même cette jouissance parfaite ou imparfaite ne sera obtenue qu’à proportion de notre charité.