Une Eglise arabe, en communion avec Rome, dans un monde musulman

L’Eglise melkite, une « Eglise en détresse » (texte intégral)

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Une Eglise « en pleine communion avec Rome », « arabe », « dans un monde à majorité musulmane »: ce sont les trois caractéristiques de l’Eglise melkite soulignées apr le patriarche Gregorios III Laham lors de sa rencontre avec le pape François, samedi dernier, 30 novembre, au Vatican, avant d’ajouter: « Cette Eglise que vous aimez est aujourd’hui une Eglise en détresse » (cf. Zenit du 2 décembre pour le discours du pape François)

« Notre Eglise, ajoute Gregorios III, est une Église de Communion et de Témoignage.. ; (qui) a une responsabilité toute spéciale envers ce monde, qui est notre monde. C’est là que nous vivons notre christianisme depuis près de deux mille ans, dont 1.434 années avec l’Islam. »

Discours du patriarche Gregorios III

Très Saint Père,
 
       “Ubi caritas et amor, ibi Deus est! Congregavit nos in unum Christi amor”.
       C’est l’antienne qui répond à la promesse de Jésus: « Là où deux ou trois se trouvent réunis en mon Nom, je suis présent au milieu d’eux » (Matthieu 18, 20).
       C’est aussi le beau titre donné à l’Eglise de Rome par Saint Ignace d’Antioche: l’Eglise « qui préside dans la charité. »
       Tout cela s’est réalisé d’une manière éclatante depuis la première heure de votre Pontificat. « Deus caritas est », a dit l’Evangéliste Saint Jean le Théologien (1 Jean 4, 8). On peut dire aussi, de Votre Sainteté, « Franciscus caritas est ». On lit dans les vêpres de la fête du trépas de Saint Jean le Théologien cette très belle phrase: « Merveille qui dépasse notre esprit, affaire concernant les sages: Celui qui était plein d’amour fut aussi comblé de théologie! »
       Je crois voir dans cette louange une expression éloquente et adéquate du ministère pétrinien de Votre Sainteté: vous êtes plein d’amour et pour cela un grand théologien!
       C’est pour notre Eglise patriarcale d’Antioche une très grande joie de saluer Votre Sainteté aujourd’hui. Nous vous portons le salut filial et dévoué de nos prêtres, religieux, religieuses, diacres et laïcs, hommes et femmes engagés à côté de leurs pasteurs dans les différentes formes d’apostolat et le service des pauvres, dans les universités, les écoles, les hôpitaux, les orphelinats, les confréries, les groupes de jeunes…
       Notre Eglise est fière d’être en pleine communion avec le Siège de Pierre et avec Votre Sainteté. Communion à laquelle nous avons été fidèles malgré les persécutions qui ont fait de nous, pendant des décennies, une Eglise des Catacombes.
       Trois aspects caractérisent notre Eglise:
       1) Nous sommes une Eglise en pleine communion avec l’Eglise de Rome, fidèle à notre tradition orientale, en très bonne relation avec l’Eglise-sœur, orthodoxe, dans les Patriarcats d’Antioche, d’Alexandrie et de Jérusalem.
       2) Nous sommes une Eglise arabe par ses origines et ses racines.
       3) Nous sommes une Eglise dans un monde à majorité musulmane.
       C’est ce qui m’a poussé à recourir à une terminologie, pour d’aucuns osée, car mal comprise. Nous sommes l’Eglise des Arabes (en plus d’être une Eglise arabe) et une Eglise de l’Islam, c’est-à-dire une Eglise dont l’histoire, le présent et l’avenir sont liés à l’Islam: une Eglise arabe, avec et pour les Arabes; une Eglise de l’Islam, avec et pour l’Islam. En tant qu’Eglise au Proche-Orient, nous avons donc une responsabilité toute spéciale envers ce monde, qui est notre monde. C’est là que nous vivons notre christianisme depuis près de deux mille ans, dont 1.434 années avec l’Islam. Notre Eglise est celle qui est définie par le Synode pour le Moyen-Orient et dans l’Exhortation Apostolique Post-Synodale Ecclesia in Medio Oriente, de votre cher prédécesseur, Sa Sainteté Benoît XVI, sur le thème: « Communion et témoignage. »
       Notre Eglise est répandue dans tous les pays du Proche-Orient et, dans des proportions différentes, dans les pays d’émigration. C’est ce qui explique les caractéristiques que je viens de mentionner.
       Vous avez rencontré notre Eglise de l’émigration en Amérique Latine, notamment dans votre pays, l’Argentine. J’ai eu le plaisir de vous faire une visite à Buenos Aires le 26 août 2010. Vous connaissez et vous aimez cette Eglise orientale, dans la richesse de l’Orientale Lumen, de ses rites, de sa spiritualité, de sa théologie et de toutes ses traditions.
       Cette Eglise que vous aimez est aujourd’hui une Eglise en détresse. Vous ne cessez d’en parler, et surtout de cette Syrie que vous appelez « bien-aimée », où se trouve le siège de notre Patriarcat antiochien.
       Pour cette Eglise qui est dans une situation inédite dans son histoire, vous êtes Simon le Cyrénéen, qui portez sa croix avec elle, et cela avec compassion et amitié. Pour cette Eglise orientale, surtout en Syrie, vous êtes comme le Christ  qui apaisa la tempête sur le lac de Tibériade.
       Comme le Bienheureux Pape Jean Paul II, qui fit tomber le mur de Berlin par sa prière et ses interventions courageuses, vous avez fait, Très Saint Père, un miracle en appelant les chrétiens et le monde entier au jeûne et à la prière, le 7 septembre dernier. Vous avez ainsi provoqué un tournant dans la crise syrienne, et même dans la vision de la politique mondiale. Le monde a changé, après le 7 septembre 2013!
       Nous pressentons que vous préparez des initiatives qui vont changer la vision du monde, surtout au Proche-Orient, et par là dans le monde entier.
       Oui! Nous attendons une initiative qui aboutisse à résoudre le conflit israëlo-arabo-palestinien, et établisse une paix juste, durable et totale au Proche-Orient, à partir de la Terre Sainte et de Jérusalem, cette Ville de la Paix qui est notre mère. C’est vous qui allez faire tomber le mur qui, malheureusement, ne sépare pas seulement Juifs et Palestiniens, mais aussi les pays arabes entre eux, ce qui menace la convivialité, le dialogue islamo-chrétien et les valeurs humaines.
       Résoudre ce conflit, qui dure depuis 65 ans, cela veut dire résoudre 50 pour cent des problèmes du Proche-Orient et garantir la présence chrétienne, une présence tellement importante, de communion et de témoignage.
 
Très Saint Père,
       Beaucoup de nos fidèles ont quitté le Proche-Orient. Beaucoup d’autres veulent partir. Nous déployons tous les efforts possibles pour les aider à rester. L’Eglise déploie une activité très intense pour assurer un minimum d’aide humanitaire. Nous remercions Votre Sainteté, la Congrégation pour les Eglises Orientales et les différents organismes qui nous assistent à cet effet.
       Nous vous assurons que, malgré les malheurs et la situation tout à fait tragique que nous vivons depuis bientôt trois ans, nous voulons rester et aider nos fidèles à rester.
       Vous nous avez interpelés en nous disant de ne pas laisser la flamme de l’espérance s’éteindre dans nos cœurs. Aidés et soutenus par vos prières, votre sollicitude et vos initiatives prophétiques, courageuses et évangéliques, nous voulons rester sur cette terre bénie, berceau du christianisme. Nous voulons être martyrs sur cette terre, martyrs par le sang, comme c’est le cas de certains de nos fidèles, dont trois hommes de Maaloula: Michel Thalab, Mtanios Thalab et Sarkis Zachem.
       Très Saint Père, ce sont de vrais martyrs, qui ont été sommés d’abjurer et ont fièrement refusé. Trois autres, cependant, ont cédé et ont été obligés de
professer l’Islam, mais ensuite ils sont revenus à la foi de leurs ancêtres.
 
Très Saint Père,
       Aidez-nous à rester au Proche-Orient: ex Oriente lux!
       J’ai récemment lancé, pour notre Eglise Grecque-Melkite Catholique, un triple slogan qui est comme un engagement, que j’aime répéter devant Votre Sainteté, en mon nom propre et au nom de toute notre Eglise:
       1) Nous devons rester ensemble, chrétiens et musulmans, pour être témoins de l’Evangile et construire ensemble, chrétiens et musulmans,  un monde et un avenir meilleurs pour nos jeunes générations.
      2) Nous pouvons rester ensemble, chrétiens et musulmans, pour être témoins de l’Evangile et construire ensemble, chrétiens et musulmans, un monde et un avenir meilleurs pour nos jeunes générations.
       3) Nous voulons rester ensemble, chrétiens et musulmans, pour être témoins de l’Evangile et construire ensemble, chrétiens et musulmans, un monde et un avenir meilleurs pour nos jeunes générations.
 
Très Saint Père,
 
       Nous voulons rester dans ce Proche-Orient pour répondre à l’appel de Jésus, qui nous répète continuellement (et vous ne cessez de nous le rappeler): “N’aie pas peur, petit troupeau” (Luc 12, 32), et  cela parce que nous avons une grande mission à accomplir pour le grand troupeau. N’ayez pas peur, nous dit le Christ, car “Je suis avec vous, pour toujours, jusqu’à la consommation des temps” (Matthieu 28, 20).
       Oui, nous voulons rester et être, comme Jésus nous l’a demandé, lumière, sel et levain (Matthieu 5, 13-14).
       Nous vous assurons de nos prières, et nous demandons les vôtres et votre bénédiction.
       Nous vous aimons, Pape François!

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