Ce que le pape François a voulu et a fait ce dimanche 13 octobre, place Saint-Pierre, au pied de la statue de la Vierge du sanctuaire de Fatima, au terme de la messe, apparaît bien comme une véritable consécration du monde au Cœur immaculé de Marie, pas une simple « prière de confiance », au sens le plus dilué. Petite mise au point de vocabulaire, et pas seulement.
Certains ont compris qu’il s’agissait d’une simple prière de confiance, entendant « atto di affidamento », au sens atténué d’ « acte de confiance ». Mais il faudrait aussi s’entendre sur le terme de spiritualité mariale que l’on appelle en français: « consécration ».
Le mot italien « affidamento » (remise totale de tout son être avec confiance) est l’équivalent français de « consécration » dans la mesure où le français n’a pas de substantif correspondant à « affidamento », mais l’italien réserve le terme « consécration » à l’eucharistie ou aux sacrements de l’Ordre (prêtres et évêques) ou à la consécration dans la vie religieuse selon les trois vœux des conseils évangéliques de pauvreté, chasteté et obéissance ou de personnes laïques consacrées dans la virginité et le célibat, pour éviter toute confusion. Le risque de confusion est levé en français lorsque l’on ajoute l’expression « au Coeur immaculé de Marie ». On comprend qu’il ne s’agit pas que le monde entier fasse les «trois vœux ». Nous verrons plus loin une autre objection à ce terme.
Les termes employés par les papes
Quels termes ses prédécesseurs ont-ils employés? Le 12 mai 2010, à Fatima, Benoît XVI s’était entouré de toutes les sécurités en consacrant les prêtres au Coeur immaculé de Marie, en disant en italien, à la fois et « affidamento » et « consacrazione »: et pour bien faire comprendre de quoi il s’agit, le Vatican publie la prière en titrant par un seul mot: « consécration » en français.
Mais, au-delà des mots, et de la formalité, c’est la volonté du pape qui compte. Et cette volonté est clairement exprimée par « affidamento », selon l’usage italien lorsqu’il s’agit de la Vierge Marie, et « consécration » selon l’usage en français.
Une confirmation de cet usage. Le 25 mars 1984, lors du jubilé des familles, place Saint-Pierre, le pape Jean-Paul II utilisait aussi ensemble deux verbes de la même racine « affidato » et « consacrato » pour caractériser la « consécration » faite par le pape Pie XII, du 31 octobre 1942. Or il parle (en italien) d’ un « acte» d’ « affidamento » « particulier » pour la consécration qu’il fait.
Soeur Lucie a bien confirmé que c’était cela que la Vierge Marie avait voulu. Elle écrit: « Sim, està feita, tal como Nossa Senhora a pediu, desde o dia 25 de Março de 1984 » – « Oui, cela a été fait, comme Notre-Dame l’avait demandé, le 25 mars 1984 » (Soeur Lucie, Lettre du 8 novembre 1989).
Pas une simple prière de confiance
C’est bien, dans ce sens, une « consécration » du monde au Coeur immaculé de Marie que le pape François a faite, très solennellement, ce dimanche matin, place Saint-Pierre en mondovision, pas une simple « prière de confiance » : la télévision italienne, la RAI a ainsi reconnu l’importance de l’événement. Les messes du pape place Saint-Pierre ne sont pas toutes transmises à la télévision en mondovision !
Le soin de la préparation a été hors du commun, avec une veillée place Saint-Pierre en présence du pape qui a tenu à accueillir personnellement la statue de la Vierge Marie, à l’honorer publiquement notamment par l’offrande d’un chapelet précieux. La veillée a été suivie par toute une nuit de prière en préparation, en communion avec les sanctuaires mariaux du monde entier, dans le cadre de l’Année de la foi, et d’un pèlerinage des diocèses des cinq continents sur deux jours.
Le pape a marqué l’importance de l’événement par pas moins de quatre textes : l’allocution de samedi, le message enregistré en vidéo pour la nuit de prière, l’homélie du jour et la prière de consécration elle-même, à la fin de la messe. Une simple « prière » n’aurait pas nécessité une telle mobilisation.
Quant au débat sur « atto di affidamento » traduit par le Vatican en 1984 (pour l’Acte de Jean-Paul II confirmé par soeur Lucie) par « consécration », et encore aujourd’hui par certaines éditions de Radio Vatican et différentes agences, ce n’est pas notre propos de journaliste d’entrer dans un débat de théologiens.
Nous nous contenterons de suggérer qu’il faudrait s’expliquer sur ce que l’on définit par « consécration » à Marie. On découvrirait peut-être qu’en français, et dans la tradition spirituelle mariale, c’est un vrai acte de remise de soi confiant à Marie pour qu’elle conduise à Jésus. Mais n’est-ce pas justement ce que dit l’italien: un « atto di affidamento »?
Le danger du mot « consécration »
Pourtant, diront certains, on ne peut se consacrer qu’au Christ par les mains de Marie, dans un sens baptismal et sacramentel. Il est bon de rappeler que, de fait, la prière que l’on appelle couramment « consécration à Marie » de saint Louis-Marie Grignion de Montfort est une consécration de soi même à Jésus-Christ, Sagesse éternelle, par les mains de Marie, avec une forme de renouvellement des promesses du baptême.
Toutefois il ne faudrait peut-être pas trop vite croire que les raccourcis d’expression reflètent une erreur spirituelle des fidèles: ceux qui la prient quotidiennement en l’appelant « consécration à Marie » savent bien cela, à l’école du bienheureux Jean-Paul II qui la disait « tout entière », comme il l’a confié un jour à des visiteurs français. Celui qui la prie se confie à la maternité et à la souveraineté de Marie: « Je te choisis (…) pour ma Mère et ma Reine (…) ».
Et lorsque Benoît XVI dit « consacrazione » des prêtres, à Fatima, en 2010, personne ne soupçonne le pape théologien d’approximation …
Une prière simple
En conclusion, pour ne pas donner au terme « affidamento » le sens faible de simple prière de confiance (comme d’aucuns l’avaient comprise), ce qui serait trahir le sens fort de l’italien, nous avons traduit par « consécration », suivant en cela des traductions utilisées par le Saint-Siège déjà en 1984.
Mais nous nous gardons bien de donner à ce terme le sens fort de consécration quasi sacramentelle au Christ.
Il s’agit du sens courant donné en français par la piété populaire à un acte de confiance dans la maternité de la Vierge Marie, que la Passion et Résurrection du Christ a dilatée aux dimensions de l’humanité, selon les paroles de Jésus en croix: « Jésus, voyant sa mère, et près d’elle le disciple qu’il aimait, dit à sa mère : « Femme, voici ton fils. » Puis il dit au disciple : « Voici ta mère » » (Jean 19, 26-27).
Comme Jean-Paul II l’écrit dans son message aux jeunes pour la JMJ de 2003 (un commentaire de sa devise Totus Tuus): « C’est Elle qui, pratiquant son ministère maternel, vous éduque et vous modèle jusqu’à ce que Christ soit formé en vous pleinement. »
Dans Mulieris Dignitatem, dont c’est l’anniversaire, Jean-Paul II utilise le même mot « affidamento », mais cette fois en parlant de la maternité humaine et spirituelle de la femme. Dans son discours, le pape François souligne le sens de cette maternité exprimée par le mot « affidamento »: cela éclaire certainement aussi la maternité de Marie indiquée par cet « affidamento » filial à Marie, si bien exprimé pa
r Grignion de Montfort.
Reste la réalité de l’acte fait ce dimanche de la remise du monde à l’intercession et à la protection maternelle de la Vierge Marie, dont le Coeur immaculé, au sens biblique, signifie toute sa personne.
Le style et le vocabulaire de chaque sensibilité spirituelle peut ainsi signifier au bout du compte la même réalité spirituelle qui ne change pas – et ce définitif de l’option fondamentale du chrétien dont par le pape François dans son homélie – et l’éclairer selon différentes facettes. La « consécration » de l’ « affidamento », n’est-ce pas, au fond, la reconnaissance de la maternité de Marie et la réponse à cette tendresse maternelle?
N’est-ce pas cela, la véritable consécration au Coeur immaculé de Marie: la réponse d’amour à sa maternité.
Dans la solennité de l’acte posé par le pape François, on reconnaît en même temps le style « de simplicité qui va à l’essentiel, intentionnellement cultivée par le pape », selon les termes du père Federico Lombardi.
Une fois la « consécration » (« affidamento ») faite par Jean-Paul II, il n’y a pas a revenir sur un acte définitif posé. Mais à raviver à chaque génération la joie de cette maternité de Marie. Les mots que nous mettons ensuite sur la réalité visent uniquement à cela. C’est avec cette simplicité que le pape François conduit à Marie, qui conduit au Christ.
La prière du pape François à Notre Dame de Fatima n’était pas une « simple prière », mais une prière simple qui indique le chemin de cette maternité de Marie.