« La peur, la colère, le découragement, l’angoisse m’ont accompagné… j’ai essayé de garder une liturgie du cœur, une messe sur le monde », écrit le P. Dall’Oglio, jésuite dont on en sans nouvelles, en Syrie, depuis le 27 juillet dernier (cf. Zenit du 6 août 2013).
Le bureau de presse de l’Edition Missionnaire Italienne (EMI) annonce la publication en octobre de son livre « La rage et la lumière : un prêtre dans la révolution syrienne ».
D’après l’EMI, le livre est « avant tout un cri, celui d’un homme, un jésuite consacré à l’amour de Jésus pour les musulmans, qui a dédié trente années de sa vie au dialogue islamo-chrétien, sans jamais cesser de construire des ponts et qui, en quelques mois, a vu tout cela s’écrouler dans une horreur indicible. »
Le Père Dall’Oglio, fin connaisseur du Proche Orient, continuent les éditions, « témoigne des espérances du peuple syrien qui lutte pour sa liberté, en dépit des silences hypocrites et des hésitations de l’Occident ; il formule des propositions à la communauté mondiale des hommes de bonne volonté afin qu’ils fassent tout pour stopper la guerre civile en Syrie, pays extrêmement central et symbolique dans lequel s’affrontent des questions d’une actualité urgente partout dans le monde. Un livre qui secoue les consciences ».
Publié en France en mai 2013 (aux Éditions de l’Atelier), le livre sera en librairie en Italie à partir du 1er octobre, avec une postface ajoutée mi-juillet, peu avant que le père jésuite ne retourne en Syrie pour une mission de « médiation ».
Dans ces pages, la voix de Paolo Dall’Oglio résonne, affligée : « La peur, la colère, le découragement, l’angoisse m’ont accompagné. J’ai éprouvé aussi, après ces journées difficiles, un besoin de méditer, de prendre une distance contemplative. J’ai dit la messe quand je le pouvais… j’ai essayé de garder une liturgie du cœur, une messe sur le monde, comme dirait Teillard de Chardin ».
Voici quelques extraits du livre, en commençant par un mail du Père Dall’Oglio expliquant le choix de la photo de couverture : « Cette photo que j’ai faite du bombardement de Saraqeb, fin février, est celle d’une maison où sont morts une maman et un petit enfant… quelques minutes avant le déclic… elle dit bien la banalité du mal… et que les victimes sont ici, les pauvres gens du prolétariat urbain… la fleur en plastique trop ouverte permet de nous introduire dans la maison détruite des pauvres et d’être les hôtes de leurs sentiments les plus intimes dévastés par la guerre ».
Le Père Dall’Oglio poursuit : « J’ai visité la Syrie des Assad (l’expression est consacrée par l’usage du régime) une première fois en 1973, peu avant la Guerre d’octobre ; j’en avais rapporté l’impression d’un peuple soumis à une machine de propagande nationaliste puissante, mobilisée au maximum dans le sens anti-israélien… J’étais solidaire pour de nombreuses raisons, comme je le suis aujourd’hui, avec les souffrances du peuple palestinien et des Arabes en général. Mais cette attitude de manipulation totalitaire de l’information me répugnait déjà. Je savais qu’il s’agissait d’une dictature et je n’entretenais pas d’illusions sur le respect des droits de l’homme dans ce pays.
« En 1978, j’étais à Beyrouth pendant la terrible attaque des quartiers chrétiens de Achrafieh par l’armée syrienne. En 1980-1981, j’étais à Damas pour mes études de l’arabe, des Églises orientales et de l’Islam et j’ai aimé infiniment ce bon voisinage syrien, dans le respect et dans le pluralisme qui n’a pas été créé par le régime mais que celui-ci a cherché à récupérer à son propre compte alors qu’il le corrompait sur le plan moral et idéologique.
« Je suis entré en contact et j’ai eu connaissance des méthodes de torture répressive systématique utilisées par le régime. Si je voulais rester dans le pays, je devais me soumettre comme tout le monde. Mais je n’étais pas obligé de me soumettre en conscience.
« Déjà alors, de très nombreux chrétiens quittaient le pays étant donné la situation d’incertitude dans la société locale et dans la région. Certains étaient pro régime, d’autres contre, mais tous cherchaient à partir pour l’avenir de leurs enfants. Il faut se rappeler qu’alors, la solidarité du régime avec le monde soviétique était évidente, même en ce qui concerne les libertés démocratiques qui étaient critiquées comme étant bourgeoises et asservies aux logiques néo-impérialistes.
« J’ai toujours cherché à avoir de bons rapports avec l’État en tant que propriété des citoyens, même lorsqu’il est soumis à un régime dictatorial. Je me suis aussi efforcé d’avoir des relations le plus ouvertes et franches possible avec les membres des services de sécurité qui m’interrogeaient fréquemment. J’étais pour une lutte légitime de libération contre l’occupant israélien mais j’évitais systématiquement de céder aux tons souvent explicitement antisémites de la propagande du régime et je m’efforçais de valoriser les aspects idéologiques qui pouvaient permettre de penser, de concevoir et de vouloir la paix et la réconciliation régionale.
« En 1982, j’étais étudiant de théologie à Rome lorsqu’a eu lieu le terrible massacre de la population civile de Hama lors de l’insurrection des Frères musulmans. J’en ai souffert au point de tomber malade. Il n’était pas possible d’en parler publiquement, sinon je risquais de me priver de la possibilité de rentrer en Syrie, où je me sentais appelé à servir l’harmonie islamo-chrétienne… Je répétais pendant des années sans me lasser qu’il fallait tout faire pour faciliter une évolution et un changement démocratique progressif et par réformes successives pour éviter d’autres bains de sang.
« Pourtant j’étais parfaitement conscient qu’un massacre continuel, silencieux, était perpétré dans les prisons, dans les camps, dans les goulags syriens. À diverses reprises, j’en avais reçu des témoignages directs. C’est dans cet esprit, avec ces sentiments contrastés, et pourtant avec beaucoup d’espérance et d’enthousiasme, que j’ai vécu dans la Syrie des Assad pendant plus de trente ans ».
(à suivre)
Traduction d’Hélène Ginabat