Le pontificat du pape François n’introduit « aucune rupture révolutionnaire avec la tradition de l’Eglise », fait observer le prof. Guzmán M. Carriquiry Lecour, secrétaire de la Commission pontificale pour l’Amérique latine, dans une conférence donnée le 21 d’août dernier, lors du Meeting de Communion et Libération à Rimini (Italie), aux côtés du père Josè Maria “Pepe” Di Paola. C’est une « révolution évangélique ». Il souligne que déjà « Bergoglio entretenait dans son diocèse le dialogue avec tous », vivait cette « Eglise pauvre avec les pauvres » dont le pape parle si souvent.Nous publions notre traduction de son intervention, avec son aimable autorisation, à l’occasion des six premiers mois de pontificat.
Conférence du prof. Carriquiry (seconde partie)
Aujourd’hui, nous avons un seul pape, François, protagoniste d’une Église qui, par la grâce de Dieu, s’auto-réforme dans sa tête et dans ses membres. Le pontificat de Benoît XVI, qui a été pour cet homme saint, humble et sage, une sorte de chemin de croix, dans le climat tendu et dramatique de la vie ecclésiale, cède le pas à l’explosion de joie et d’espérance inattendue mais désirée, du pontificat du pape François, surprise de l’Esprit-Saint qui sait quand et comment provoquer un sursaut chrétien dans les âmes. L’extraordinaire renonciation du pape allemand « pour le bien de l’Église » acquiert une nouvelle lumière avec le pontificat du pape argentin. Si Benoît XVI est devenu dramatiquement conscient, dans son dialogue face à face avec Dieu, de son manque de forces pour affronter les devoirs et les décisions nécessaires, sa liberté et son humilité – la conscience que c’est Dieu, et non le pape, qui conduit son Église ! – prépare le chemin afin que le timon de la barque de Pierre soit pris par celui qui, par la grâce de Dieu, est capable de le faire dans des conditions meilleures et surprenantes. Après le saint maître, le saint pasteur, un père proche de son peuple. La plus grande théologie « ratzingerienne » qui est un magistère riche pour l’Église d’aujourd’hui et de demain, cède le pas à la prédication vécue d’un Évangile « sans glose » qui en est la source. La solide formation théologique et philosophique du pape jésuite se fait essentialité évangélique dans sa « grammaire de la simplicité », un élan renouvelé et une fraicheur apostolique dans sa façon d’être parmi les gens – jamais détaché, jamais réfugié dans la rhétorique des « principes » – avec des gestes plein d’affection, de consolation, de tendresse. Imprévu et imprévisible, comme l’écrit l’évêque et ami Massimo Camisasca – parce que toujours à la recherche, guidée par Dieu et par son expérience pastorale, de nouvelles voies pour rejoindre les hommes qui sont en face de lui. Et les personnes sont touchées parce qu’elles se sentent embrassées par une miséricorde mystérieuse et débordante. Le pape François préfère la médecine de la miséricorde à la rigueur d’un comportement sévère et qui juge. « Dieu pardonne toujours, il pardonne tout. C’est nous, répète-t-il, qui nous lassons de nous faire pardonner. D’où la nécessité de la prière, humble, forte, courageuse, pour que Jésus puisse faire le miracle du changement dans notre vie ».
C’est une révolution évangélique. Après les dévastations humaines auxquelles ont abouti les Révolutions, avec un « R » majuscule, selon la mythologie de l’athéisme messianique, seule l’Église peut recommencer à parler de révolution en vérité, disait mon maître Alberto Methol Ferré dans son livre-entretien rédigé avec son ami Alver Metalli. Il semble que le pape Benoît XVI l’ait écouté, lui qui a parlé ensuite d’une « révolution de l’amour », du christianisme comme de « la mutation la plus radicale de l’histoire. La « révolution de la grâce » dit maintenant le pape François, parce que c’est la seule qui change ontologiquement l’homme, le sujet de l’histoire. « Se mettre dans le courant de la révolution de la foi », a-t-il dit aux trois millions de jeunes à Copacabana, les invitant à être révolutionnaires parce que à contre-courant d’une culture qui génère la « confusion sur le sens de la vie, la désintégration personnelle, la perte de l’expérience d’appartenir à un « nid », l’absence de foyer et de liens profonds ».
Le pape François nous appelle à la conversion, en nous confiant à la grâce, pour être libérés des idoles et acquérir de nouveau la vraie liberté. Cette révolution de la grâce est le fruit de la rencontre avec le Christ, comme il ne cesse d’enseigner et d’y inviter, et non l’exaltation de la volonté (le pélagianisme !) ou la simple sagesse humaine (la gnose !). C’est la source de la mission : communiquer le don de la rencontre avec le Christ, « d’un débordement d’allégresse et de gratitude » (comme on le lit dans le document d’Aparecida). « Sortir » est le verbe le plus fréquemment utilisé par le nouveau pape : sortir de notre autosuffisance, sortir de l’auto-référentialité, sortir des « petites églises » où l’on se complait entre soi, sortir vers les périphéries existentielles où la vie des hommes est en jeu. Nous ne pouvons pas ne pas nous poser les questions que le pape François se posait à lui-même et qu’il adressait aux évêques brésiliens : « Le mystère difficile de ceux qui quittent l’Église ; des personnes qui, après s’être laissées illusionner par d’autres propositions, retiennent que désormais l’Église (…) ne peut plus offrir quelque chose de significatif et d’important. (…) Peut-être l’Église est-elle apparue trop faible, peut-être trop éloignée de leurs besoins, peut-être trop pauvre pour répondre à leurs inquiétudes, peut-être trop froide dans leurs contacts, peut-être trop autoréférentielle, peut-être prisonnière de ses langages rigides, peut-être le monde semble avoir fait de l’Église comme une survivance du passé, insuffisante pour les questions nouvelles ». Ces questions sont comme l’écho de celle, dévorante, d’Eliot dans le cœur de « La Rocca », souvent reprise par don Giussani : « C’est l’humanité qui a abandonné l’Église ? » ou « c’est l’Église qui a abandonné l’humanité ». « Il faut une Église, poursuivait le pape, qui n’a pas peur d’entrerdans leur nuit, (…) capable de les rencontrer surleur route, (…) en mesure de s’insérer dans leurs conversations, (…) de tenir compagnie (…), capable de réchauffer le cœur, de réaccompagner à la maison, (…) de réveiller l’enchantement » pour la beauté de la foi.
Mon cher ami Lucio Brunelli a raison lorsqu’il écrit que l’originalité du pontificat est d’être « le pape de ceux qui sont loin, le bon pasteur des quatre-vingt-dix-neuf brebis qui ont quitté l’enclos » et il n’y a pas d’action ou de parole du pape François qui n’ait cet horizon, ce cœur missionnaire ».
Voilà le véritable changement que l’Esprit est en train de susciter aujourd’hui dans la vie de l’Église, ouvrant d’immenses possibilités d’évangélisation. C’est une transformation qui ne passe pas d’abord par des changements dans l’équipe du gouvernement et des structures de l’Église, ni par les interventions au IOR (l’Institut pour les œuvres de religion, ndlr) ou d’autres initiatives de transparence et de nettoyage, ni par le démontage de l’appareil pompeux de représentation et de sécurité. Tout ceci est bien sûr indispensable pour que la liberté et l’exemplarité du pape se manifestent aussi comme une libération de ce qui alourdit la curie. Il est nécessaire de libérer la foi des incrustations mondaines pour la rendre à nouveau att
irante. Certes, comme l’écrit l’excellent Socci, déjà ses prédécesseurs « ont initié un démantèlement progressif de la pesanteur royale de la Curie. Jean-Paul II préférait rester sur les routes du monde plutôt qu’au Vatican. Et Benoît XVI a lancé des flèches contre le carriérisme, le cléricalisme, les mondanités, les divisions, les ambitions de pouvoir (…) qui salissent l’Église ». Maintenant le pape François réalise ce que son prédécesseur a si souvent demandé, et même plus… Tout cela fait partie de la « révolution évangélique » qui marque la profonde mutation « de la manière même d’être pape ».
Une dernière remarque : l’encyclique « Lumen fidei » est un geste d’une extraordinaire reconnaissance et humilité de la part du pape François. Bien que la majeure partie du texte soit de l’évêque émérite de Rome, le pape François l’a complétée, lui a donné son unité et l’a signée comme la première encyclique de son pontificat. Et c’est beau qu’il en soit ainsi parce que le Magistère de Benoît XVI mais aussi de tous ses prédécesseurs n’est pas d’« hier » mais il est contemporain à l’aujourd’hui de l’Église. Mais en même temps, il semble très important que la lecture de cette encyclique ne s’enferme pas dans des herméneutiques et des exégèses de la pensée « ratzingerienne », d’une façon un peu « rétro », mais qu’elle soit lue surtout à la lumière de l’avènement du pontificat du pape François, des perles de ses homélies quotidiennes, de ses catéchèses, de ce « sortir » missionnaire pour partager la lumière de la foi à tous les peuples. Aujourd’hui la lumière de la foi resplendit grâce au témoignage, aux paroles, aux silences et aux gestes du pape François et elle illumine ce temps de grâce et d’espérance que nous sommes en train de vivre.
Prions pour le pape François !
Traduction Hélène Ginabat