"Bergoglio entretenait dans son diocèse le dialogue avec tous"

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Un témoin raconte et analyse six mois de pontificat

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Le pontificat du pape François n’introduit « aucune rupture révolutionnaire avec la tradition de l’Eglise », fait observer le prof. Guzmán M. Carriquiry Lecour, secrétaire de la Commission pontificale pour l’Amérique latine, dans une conférence donnée le 21 d’août dernier, lors du Meeting de Communion et Libération à Rimini(Italie), aux côtés du père Josè Maria “Pepe” Di Paola. Il souligne que déjà « Bergoglio entretenait dans son diocèse le dialogue avec tous », vivait cette « Eglise pauvre avec les pauvres » dont le pape parle si souvent.Nous publions notre traduction de son intervention, avec son aimable autorisation, à l’occasion des six premiers mois de pontificat.


Conférence du prof. Carriquiry (première partie)

Lorsqu’on entend le Père Pepe parler de son expérience, de l’expérience de l’archidiocèse de Buenos Aires dans les « Villas Miseria », on a envie de s’exclamer : c’est autre chose que le paupérisme idéologique, autre chose que le populisme de la paupérisation ! Il nous aide à imaginer l’évêque Jorge Mario Bergoglio en train de visiter les Villas Miseria, aux côtés de ses prêtres, entrant dans les maisons des plus pauvres, partageant le pain et célébrant avec eux l’Eucharistie. Au fond, c’est la même image que celle du pape François lavant les pieds des détenus de la prison pour mineurs de Rome, visitant Lampédouse, le bidonville de Varginha ou l’hôpital pour les personnes toxicodépendantes à Rio de Janeiro. Nul besoin d’une théologie de la libération pour faire cela. Il suffit de l’Évangile vécu, du baiser de la charité, du don ému de soi. Il suffit d’être disciple et témoin d’un Dieu qui, bien qu’il soit riche, se fait pauvre jusqu’à l’invraisemblable, nouvelle eucharistie en tous ceux qui souffrent encore, dans leur chair, ce qui manque à la passion du Christ. Nous serons jugés sur ce que nous aurons fait (ou que n’aurons pas fait) pour les petits et pour les plus démunis. Cela a peut-être été, et c’est encore, la contribution la plus importante de l’Église d’Amérique latine au monde catholique : s’être réapproprié l’Évangile et la tradition catholique en ce qui concerne une « Église pauvre et pour les pauvres ».

Si les Villas Miseria se sont beaucoup développées ces dernières années, Buenos Aires est certainement bien davantage que cela. On la juge à partir de celles-ci, mais elle est bien plus que cela. L’archidiocèse qui a été confié à l’évêque Bergoglio était, et est encore, une énorme ville cosmopolite, où subsiste encore un fond de catholicisme populaire bien enraciné, mais qui est aussi marquée par toutes les réalités, les stimulants et les plaies de la culture globale. À Buenos Aires, le « nord » et le « sud » du monde posent de grands défis à la pastorale : de l’idolâtrie de l’argent et du pouvoir aux Villas Miseria, de la vitalité de la religiosité populaire jusqu’à l’extrême sécularisation et au pullulement de toutes sortes d’idéologies. L’évêque Bergoglio ne faisait jamais de théorie sur la nouvelle évangélisation ; il partageait l’Évangile en première personne, au milieu de son peuple, avec un grand amour pour le troupeau qui lui avait été concrètement confié, poussant ses prêtres à sortir vers les carrefours et les périphéries de la vie citadine, avec la conviction joyeuse et reconnaissante, comme le dit maintenant le pape François, « que la vérité chrétienne est attirante et persuasive parce qu’elle répond aux besoins profonds de l’existence humaine ». En excellents termes avec les éparques orthodoxes de la région, rencontrant une fois par mois les pasteurs évangéliques pour prier ensemble, lié par une profonde amitié avec le grand rabbin de Buenos Aires, très respecté par l’imam de la ville, Bergoglio entretenait dans son diocèse le dialogue avec tous, « sans négocier son appartenance ». Hommes politiques, syndicalistes, entrepreneurs, journalistes et bien d’autres personnes ordinaires cherchaient à le rencontrer personnellement parce qu’il était reconnu comme la personne la plus influente et la plus affable de l’Argentine, gardien de la libertas ecclesiae et du bien de son peuple. En outre, le cardinal Bergoglio, qui a toujours été non seulement argentin mais aussi avec une forte conscience latino-américaine, a été l’acteur principal de cet événement qui a signé la maturité de l’Église en Amérique latine, à savoir la Conférence d’Aparecida. Il faut lire le « document d’Aparecida » pour en connaître la portée pastorale. Si l’on ajoute à cette longue expérience sacerdotale et pastorale son expérience « romaine » comme membre de divers dicastères du Saint-Siège et sa charge de « rapporteur » à l’Assemblée du Synode mondial des évêques qui avait justement pour thème la figure de l’évêque à l’aube du nouveau millénaire, on peut donc reconnaître que la providence de Dieu avait déjà bien préparé Jorge Mario Bergoglio à son pontificat. Enfin, la grâce qui assiste le Successeur de Pierre l’a rajeuni, en a fait un homme plus communicatif, plus expressif dans ses sentiments, plus libre, joyeux et déterminé dans le ministère qui lui a été confié, avec une paix, une sérénité et une énergie qui ne peuvent venir que de la profondeur de sa relation avec Dieu.

J’aime rappeler que c’est dans le vol vers Sao Paulo et Aparecida que le Saint-Père Benoît XVI a dit ces paroles prémonitoires au sujet de l’Amérique latine : « Je suis convaincu, a-t-il affirmé au cours d’une conférence de presse informelle, que c’est ici que se décide, au moins en partie – et une partie fondamentale – l’avenir de l’Église catholique : pour moi, ceci a toujours été une évidence ». Cela n’a pas échappé au pape Benoît qui allait rencontrer plus des 40% de catholiques du monde entier (qui, avec les communautés hispaniques des États-Unis et du Canada, en représentent presque la moitié !) et une Amérique latine qui n’était déjà plus une périphérie en retard, marginalisée et méprisée mais une région fortement émergente sur la scène internationale.

Avec le pape François, l’Amérique latine redonne à l’Église universelle le meilleur d’elle-même ; elle remet au centre du monde catholique le trésor de la tradition catholique, profondément inculturée dans l’histoire et dans la vie de nos peuples, et qui lui avait été apportée cinq siècles auparavant à travers la première évangélisation des missionnaires européens, surtout espagnols et portugais. Il est certain que, s’il y a aujourd’hui chez notre peuple une saine fierté pour le premier pape latino-américain, les Églises d’Amérique latine doivent cependant se montrer dignes de la position singulière où la Providence les a placées. Elles doivent assumer des exigences et des responsabilités accrues qui se déclinent, pourrait-on dire, à trois niveaux.

Le premier consiste à reprendre pour elle-même et à réassumer toute la grande tradition catholique à travers un saut de qualité dans la formation et la croissance chrétienne des fidèles et des ministres.

Au second niveau, un élan renouvelé de la « mission continentale » comme le partage du Mystère présent, capable d’émouvoir la vie de nos peuples et de leur ouvrir la voie vers un développement intégral.

Le troisième concerne la responsabilité accrue dans la sollicitude apostolique universelle, en collaboration avec le ministère universel du pape.

L’élection de Jorge Mario Bergoglio comme Successeur de Pierre a été un imprévu pour pratiquement tout le monde dans l’Église. En effet, il n’était pas retenu parmi les grands candidats susceptibles de devenir pape. Mais vous vous souvene
z bien de quelqu’un qui nous a parlé de l’imprévu comme de « quelque chose de nouveau qui entre dans notre vie, de non prévu, non défini auparavant », qui arrive par surprise, qui rompt avec nos schémas prédéfinis, qui secoue la cage bien tranquille dans laquelle nous sommes toujours tentés de nous réfugier, qui nous met face à une réalité que nous n’avions pas prise sérieusement en considération.

Aujourd’hui, François, Successeur de Pierre, est pour nous cet événement, la personne réelle, l’humanité singulièrement concrète qui rend la compagnie du Christ présente à l’homme et proche de lui, qui garde et montre le Mystère qui sauve. Je veux, ici et maintenant, être parmi les pauvres témoins de la joie et de la gratitude, de la « suite du Christ » pleine d’enthousiasme, de cette forme concrète d’obéissance à laquelle nous provoque le don de Dieu à travers le pape François. Comme le confesse aussi le Père Julián Carrón, je suis « content de pouvoir apprendre de lui et de pouvoir être en sa compagnie pour reconnaître, comme il nous y invite, le primat de la rencontre avec le Christ, qui nous déconcerte toujours ».

Laissons-nous étonner par les surprises de Dieu, disait le pape François à Rio de Janeiro. Laissons-nous étonner avec les foules qui lui ont manifesté un accueil surprenant, le cœur ouvert, joyeux, rempli d’attente, y compris tous ceux qui s’étaient éloignés de la foi ou qui pensaient en avoir définitivement fini avec l’Église. Qu’est-ce que la mission sinon un attrait, l’attrait pour une vérité, une beauté, qui réveille les « cœurs anesthésiés », qui rompt la carapace de l’indifférence, qui stimule les désirs, suscite un pressentiment de curiosité, une question chargée d’attente ? « Les gens simples ont toujours un espace pour loger le mystère (…). Dans la maison des pauvres, Dieu trouve toujours de la place », a dit le pape François dans son extraordinaire discours aux évêques brésiliens. C’est pourquoi il faut « une Église qui fasse de la place au mystère de Dieu, une Église qui accueille ce mystère en elle-même, pour pouvoir séduire les gens, les attirer. Seule la beauté de Dieu peut attirer. La voie de  Dieu est la fascination qui attire (…). Dieu réveille en l’homme le désir de le garder dans sa vie, dans sa maison, dans son cœur. Il réveille en nous le désir d’appeler nos proches pour leur faire connaître sa beauté. La mission nait justement de cette fascination divine, de cet étonnement de la rencontre ». Si l’on veut attirer les gens à Dieu, on ne peut pas partir des « non », ni même de ces « non » considérés comme acquis dans une Église qui sait qu’elle ne peut rien négocier de ce qui est essentiel dans sa doctrine.

En cet extraordinaire premier semestre de 2013, nous sommes particulièrement appelés à percevoir, d’une part, la solide continuité de la grande tradition catholique, du patrimoine de foi qui nous vient du témoignage apostolique, par l’intermédiaire des Successeurs de Pierre et en particulier de Benoît XVI et du pape François. Je veux parler de cette continuité qui s’est manifestée dans l’obéissance inconditionnelle assurée par le pape Benoît au moment de sa renonciation, à celui qui allait devenir son successeur. Elle s’exprime dans les liens d’affection entre les papes Benoît et François, dans les images où on les voit prier ensemble, dans l’encyclique « Lumen fidei », écrite à quatre mains, dans les paroles du pape argentin aux jeunes, à Rio de Janeiro, rappelant toujours ses deux prédécesseurs Jean-Paul II et Benoît XVI et saluées par des applaudissements retentissants. En même temps, comment ne pas admirer le fait que se succèdent des papes dont les biographies sont aussi différentes, qui sont issus de contextes culturels aussi divers, de tempéraments, de formation, de sensibilités et de styles aussi différents au point que chacun d’eux semble avoir été destiné et défini comme la personne adéquate pour répondre à un moment précis aux exigences de la mission de l’Église, en fonction de la conjoncture historique. C’est pourquoi c’est l’œuvre du démon, le prince du mensonge et de la division, lorsqu’on s’obstine de manière obsessionnelle à comparer l’évêque émérite et son successeur, soit pour rester attaché avec nostalgie au pape précédent – et ceci est une mauvaise nostalgie qui dégénère en jugements pharisiens sur le pape actuel – soit pour exalter le pape actuel au point de dénigrer ses prédécesseurs, considérant toute nouveauté et toute réforme qu’il apporte comme une rupture révolutionnaire avec la tradition de l’Église, dans l’histoire ininterrompue d’amour qui est celle de l’Église.

(à suivre)

Traduction Hélène Ginabat

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ZENIT Staff

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