Le travail veut dire dignité, veut dire rapporter pain à la maison, savoir aimer : le pape François s’est fait l’avocat des travailleurs, des entrepreneurs qui se battent, dans la crise économique, pour un travail digne et animés par le service du bien commun et l’espérance chrétienne. Il a fustigé la recherche du profit et le travail précaire ou au noir. Il a dénoncé l’idolâtrie de l’argent qui laisse de côté les personnes âgées et les jeunes, et met au centre l’argent, qui « commande » et non pas l’homme, la femme, la famille: un système économique globalisé « sans éthique ». Il a invité à lutter avec astuce et ensemble contre ce système. Il a invité à affronter ce qu’il appelle un « défi historique » avec solidarité et intelligence.
Le pape parlait lentement au monde du travail, ce dimanche 22 septembre, à Cagliari (Sardaigne), sur un ton grave. Il a prié pour le don du travail sûr l’île.
En italique, nous avons transcrit les passages ajoutés par le pape François d’abondance du cœur : à un moment, le pape a même définitivement abandonné son texte, confiant le discours préparé à l’évêque. Un discours scandé par des très nombreux applaudissements et des larmes d’émotion. Le courant passait cinq sur cinq entre le pape et les travailleurs. C’était, depuis son élection, la première grande rencontre du pape argentin avec la réalité sociale du travail et du chômage, des syndicats et des entreprises. Et il y était à l’aise.
Le pape François est parti ce dimanche matin, 22 septembre pour Cagliari à 7 h, en voiture, de la Maison Sainte-Marthe du Vatican pour l’aéroport romain de Ciampino. A 7 h 30 son avion s’est envolé pour l’aéroport “Mario Mameli” de Cagliari-Elmas.
Le pape y a été accueilli par l’archevêque de Cagliari, Mgr Arrigo Miglio, par la ministre de la justice, Mme Anna Maria Cancellieri, qui représentait le gouvernement italien, par le président de la Région Sardaigne, M. Ugo Cappellacci, par l’ambassadeur d’Italie près le Saint-Siège, M. Francesco Maria Greco, et par le nonce apostolique en Italie, Mgr Adriano Bernardini, par le préfet de Cagliari, M. Alessio Giuffrida, par le maire d’Elmas, M. Valter Piscedda, par le maire de Cagliari, M. Massimo Zedda, par le commissaire extraordinaire pour la province de Cagliari, M. Pietro Cadau, et par le lieutenant-colonel Gianmarco Solinas, commandant de l’aéroport militaire.
Le pape s’est ensuite rendu en voiture à Cagliari, et, à 8 h 45, il y a rencontré le « monde du travail », au Largo Carlo Felice.
Un ouvrier, une entrepreneuse, et un syndicaliste ont accueilli le pape qui a ensuite prononcé un discours et prié avec tous les travailleurs présents, avant de saluer personnellement une dizaine d’entre eux.
Discours du pape François
Chers frères et sœurs, bonjour !
Je vous salue cordialement : travailleurs, entrepreneurs, autorités, familles présentes, en particulier l’archevêque de Cagliari, Mgr Arrigo Miglio, et les trois d’entre vous qui ont manifesté vos problèmes, vos attentes, vos espérances aussi.
Comme vous le disiez, ma visite commence justement avec vous, qui formez le monde du travail. Par cette rencontre, je désire surtout vous exprimer ma proximité, spécialement aux situations de souffrance : aux nombreux jeunes chômeurs, aux personnes au chômage technique ou en précarité, aux entrepreneurs et aux commerçants qui ont du mal à aller de l’avant. C’est une réalité que je connais bien du fait de mon expérience en Argentine.
Je ne l’ai pas connue, mais ma famille oui. Mon papa, jeune, est allé en Argentine, plein d’espérance, pour « faire l’Amérique », et il a souffert la terrible crise de 1930. Ils ont tout perdu : il n’y avait pas de travail. Et dans mon enfance j’ai entendu parler de cette époque à la maison. Je ne l’ai pas vue, je n’étais pas encore né. Mais j’ai entendu parler à la maison de cette souffrance. Je connais bien cela.
Mais je dois vous dire : courage !
Mais je suis aussi conscient que je dois faire tout mon possible pour que cette parole « courage ! » ne soit pas une belle parole de passage. Ne soit pas seulement un sourire d’employé cordial. Un employé de l’Eglise qui vient et qui vous dit « courage ! » Non, cela je n’en veux pas. Je voudrais que ce courage vienne de l’intérieur et me pousse à tout faire, en tant que pasteur, en tant qu’homme.
Nous devons affronter avec solidarité – entre vous, aussi entre nous, tous, avec solidarité – et intelligence ce défi historique.
Cette ville est la deuxième que je visite en Italie, c’est curieux : toutes les deux, la première et celle-ci, sont des îles. Dans la première, j’ai vu la souffrance de tant de personnes qui cherchent, en risquant leur vie, dignité, pain, santé : le monde des réfugiés. Et j’ai vu la réponse de cette ville, qui, tout en étant une île, n’a pas voulu s’isoler, et accueille celui-là, le fait sien, et nous donne un exemple d’accueil : souffrance et réponse positive. Ici, dans cette deuxième ville-île que je visite, je trouve aussi de la souffrance ; une souffrance dont l’un de vous a dit qu’elle t’affaiblit et finit par te voler l’espérance. Une souffrance, le manque de travail, qui te conduit – excusez-moi si je suis un peu fort, mais je dis la vérité -, qui te conduit à te sentir sans dignité. Et là où il n’y a pas de travail, manque la dignité. Et ceci n’est pas un problème de la Sardaigne seulement – même s’il est fort ici – ce n’est pas un problème de l’Italie ou de certains pays d’Europe, c’est le résultat du choix mondial, d’un système économique qui conduit à cette tragédie : un système économique qui a au centre une idole qui s’appelle l’argent. Et Dieu a voulu qu’au centre du monde il n’y ait pas une idole, mais l’homme, l’homme et la femme, qui fassent avancer le monde par leur travail.
Mais maintenant, au centre de ce système sans éthique, il y a une idole, et le monde est devenu idolâtre de ce dieu argent, c’est l’argent qui commande, et toutes les choses qui servent à cette idole. Et qu’est-ce qui se passe ? Pour défendre cette idole, tous se rassemblent au centre et les extrémités tombent: les personnes âgées tombent parce qu’il n’y a pas de place pour eux dans ce monde. Certains parlent de cette habitude d’euthanasie cachée, qui est de ne pas s’en soucier, de ne pas les prendre en compte, de les laisser tomber. Et tombent les jeunes qui ne trouvent pas de travail, leur dignité. Mais pensez-y : dans un monde dans lequel les jeunes, des générations (deux) de jeunes, ne trouvent pas de travail, n’a pas d’avenir. Pourquoi ? Parce qu’ils n’ont pas de dignité. Ou c’est difficile d’avoir une dignité sans travail. Voilà votre souffrance, ici. Voilà la prière que vous avez criée : travail ! Travail ! Travail ! C’est une prière ! Une prière nécessaire. Le travail veut dire dignité, veut dire rapporter du pain à la maison, le travail veut dire aimer. Et pour défendre ce système économique idolâtre, on instaure la culture du rebut, on rejette les jeunes et on rejette les anciens. Et nous devons dire non à cette culture du rebut, nous devons dire que nous voulons un système juste qui nous fasse aller de l’avant. Nous devons dire que nous ne voulons pas de ce système économique globalisé qui nous fait tant de mal. Au centre il doit y avoir l’homme et la femme, comme Dieu le veut, et non pas l’argent.
J’avais écrit différentes choses pour vous, mais en vous regardant ces paroles me sont venues. Je remettrai à l’évêque ces paroles écrites comme si elles avaient été dites. Mais j’ai préféré vous dire ce qui me venait du cœur en vous regardant en ce moment. Reg
ardez. C’est facile de dire : « ne perdez pas l’espérance ». Mais à tous, à vous tous qui avez du travail et à vous qui n’avez pas de travail, je dis : ne vous laissez pas voler l’espérance. Ne vous laissez pas voler l’espérance ! Peut-être l’espérance est-elle comme les braises sous la cendre. Aidons-nous par la solidarité, en soufflant sur les cendres pour que le feu vienne à nouveau. Mais l’espérance nous fait avancer. Ce n’est pas de l’optimisme, c’est une autre chose. Mais l’espérance n’est pas d’un seul. L’espérance, nous la faisons tous. L’espérance, nous devons la soutenir tous, vous tous, et nous tous qui sommes loin. L’espérance est une chose qui est vôtre et nôtre. Elle est à tous. C’est pourquoi je vous dis : ne vous laissez pas voler l’espérance !
Mais soyons malins, parce que le Seigneur nous dit que les idoles sont plus malines que nous. Le Seigneur nous invite à avoir l’astuce du serpent en même temps que la bonté de la colombe. Ayons cette astuce. Et appelons les choses par leur nom. En ce moment, au centre de notre système économique, de notre système globalisé qu’on nous propose pour notre vie, au centre il y a une idole. Et cela ne peut pas se faire. On ne peut pas le faire. Luttons tous ensemble pour qu’au centre au moins de notre vie il y ait l’homme et la femme, la famille, nous tous, afin que l’espérance puisse aller de l’avant que qu’on ne se laisse pas voler l’espérance.
Maintenant je voudrais finir en priant pour vous tous en silence, en priant avec vous tous, en silence, et je dirai tout ce qui vient dans le cœur.
Seigneur Dieu, regarde-nous, regarde cette ville cette île, regarde nos familles. Seigneur, à toi le travail n’a pas manqué. Tu as été charpentier. Tu étais heureux. Seigneur, le travail nous manque. Les idoles veulent nous voler la dignité, les systèmes injustes veulent nous voler l’espérance. Seigneur, ne nous laisse pas seuls, aide-nous à nous aider les uns les autres, que nous oubliions un peu l’égoïsme, et sentions dans le cœur le « nous », nous, le peuple qui veut aller de l’avant. Seigneur Jésus, que le travail ne nous manque pas. Donne-nous du travail. Et enseigne-nous à lutter pour le travail. Et bénis-nous tous. Au Nom du Père, du Fils et du Saint Esprit.
Merci beaucoup et priez pour moi.
(Suite du texte écrit non prononcé)
Mais je vous le dis : ne vous laissez pas voler votre espérance. Et Je voudrais partager avec vous trois points simples mais décisifs.
Le premier : remettre au centre la personne et le travail. La crise économique a une dimension européenne et globale ; mais la crise n’est pas seulement économique, elle est aussi éthique, spirituelle et humaine. A la racine il y a une trahison du bien commun, de la part des individus et de la part des groupes de pouvoir. Il est donc nécessaire de retirer son caractère central à la loi du profit et du revenu et de remettre au centre la personne et le bien commun. Un facteur très important pour la dignité de la personne est justement le travail ; pour qu’il y ait une authentique promotion de la personne, il faut que le travail soit garanti. C’est une tâche qui est cette de toute la société, c’est pourquoi il faut reconnaître un grand mérite aux entrepreneurs qui, malgré tout, n’ont pas cessé de s’engager, d’investir et de prendre des risques pour garantir l’emploi. La culture du travail, contrairement à celle de « l’assistance », implique l’éducation au travail dès la jeunesse, accompagnement au travail, dignité de toute activité de travail, partage du travail, élimination du travail au noir. En ce moment, toute la société, dans toutes ses composantes, doit faire tous les efforts possibles pour que le travail, qui est source de dignité, soit la préoccupation centrale ! Votre situation insulaire rend encore plus urgent cet engagement de la part de tous, surtout des instances politiques et économiques.
Second élément : l’Evangile de l’espérance ; La Sardaigne est une terre bénie de Dieu, par tant de ressources humaines et environnementales, mais, comme dans le reste de l’Italie, il faut un nouvel élan pur repartir. Et les chrétiens peuvent et doivent faire leur part, en apportant leur contribution spécifique : la vision évangélique de la vie ; Je me souviens des paroles du pape Benoît XVI lors de sa visite à Cagliari en 2008 : « il faut « évangéliser le monde du travail, de l’économie, de la politique, qui a besoin d’une nouvelle génération de laïcs chrétiens engagés, capables de chercher avec compétence et rigueur morale des solutions de développement durable » (Homélie, 7 septembre 2008).
Les évêques de Sardaigne sont particulièrement sensibles à ces réalités, spécialement à celle du travail. Vous, chers évêques, indiquez la nécessité d’un discernement sérieux, réaliste, mais orientez aussi vers un chemin d’espérance, comme vous l’avez écrit dans le Message en préparation à cette visite. C’est important, c’est la bonne réponse ! Regarder la réalité en face, bien la connaître, la comprendre, et chercher ensemble les voies, avec la méthode de la collaboration et du dialogue, en vivant la proximité pour apporter l’espérance. Ne jamais étouffer l’espérance ! Ne pas la confondre avec l’optimisme – qui exprime simplement une attitude psychologique – ni avec d’autres choses. L’espérance est créative, elle est capable de créer l’avenir.
Troisième point. Un travail digne pour tous. Une société ouverte à l’espérance ne s’enferme pas en elle-même, dans la défense des intérêts d’un petit nombre, mais elle regarde en avant, dans la perspective du bien commun.
Et cela requiert de la part de tous un fort sens des responsabilités. Il n’y a pas d’espérance sociale sans un travail digne pour tous. C’est pourquoi il faut « rechercher comme priorité l’objectif de l’accès au travail ou de son maintien pour tous » (Benoît XVI, Enc. Caritas in veritate, 32).
J’ai dit travail « digne », et je le souligne, parce que, hélas, spécialement il y a une crise, et que le besoin est fort, le travail inhumain augmente, le travail-esclave, le travail sans la juste sécurité, ou bien sans respect de la création, o sans respect du repos, de la fête et de la famille, le travail el dimanche quand ce n’est pas nécessaire.
Le travail doit être allié à la préservation de la Création, afin qu’elle soit préservée avec responsabilité pour les générations à venir. La Création n’est pas une marchandise à exploiter, mais un don à préserver. L’engagement écologique lui-même est l’occasion d’un empli nouveau dans les secteurs qui lui sont liés, comme l’énergie, la prévention et la suppression des différentes formes de pollution, la vigilance contre les incendies dans le patrimoine forestier, et ainsi de suite. Que préserver la Création, préserver l’homme avec un travail digne soient l’engagement de tous ! L’écologie … et aussi une « écologie humaine » !
Cher amis, je vous suis particulièrement proche, en mettant entre les mains du Seigneur et de Notre Dame de Bonaria toutes vos angoisses et vos préoccupations.
Le bienheureux Jean-Paul II soulignait que Jésus « a travaillé de ses mains. Et même, son travail, qui a été un vrai travail physique, a occupé la majeure partie de sa vie sur cette terre, et c’est ainsi que l’œuvre de la rédemption de l’homme est entrée dans le monde » (Discours au travailleurs, Terni, 19 mars 1981).
Il est important de se dédier à son travail avec assiduité, dévouement et compétence, il est important d’avoir l’habitude du travail. Je souhaite que, dans la logique de la gratuité et de la solidarité, on puisse sortir ensemble de cette phase négative, afin qu’un travail sûr, d
igne et stable soit assuré.
Apportez ma salutation à vos familles, aux enfants, aux jeunes, aux anciens. Moi aussi, je vous emporte avec moi, spécialement dans ma prière. Et je vous accorde de tout cœur la Bénédiction sur vous, sur votre travail et sur votre engagement social.
Transcription et traduction de Zenit, Anita Bourdin