La liturgie nous invite à fêter trois naissances chaque année : à Noël, la naissance de Jésus ; celle de Jean Baptiste, le 24 juin ; et celle de la Vierge Marie, le 8 septembre. Ce sont trois fêtes joyeuses et il convient de noter ce simple fait, avant même de contempler le mystère de salut que célèbre chacune d’elles. Dans toute l’Ecriture, les naissances tiennent une grande place. Pour annoncer aux disciples la joie pascale, Jésus parle de la femme qui oublie les douleurs de l’enfantement « dans la joie qu’un homme soit venu au monde ». S’il y a une intention de prière qui pourrait être vraiment universelle, ce serait de demander à Dieu, et d’œuvrer nous-mêmes, pour que toute naissance soit une joie, pour les parents et pour le monde.
Quand nous fêtons Noël et la naissance de Jean Baptiste, nous avons des récits. Pour la naissance de la Vierge, rien dans les évangiles canoniques. Ils ne nous donnent même pas le nom de ses parents. Des traditions nous les fournissent : Joachim et Anne. Il n’y a pas de raison de refuser a priori ces traditions : elles sont anciennes et convergentes. Elles nous présentent Joachim et Anne comme un couple âgé et stérile, à la manière d’Elisabeth et de Zacharie. Est-ce pour renforcer le parallèle entre Marie et Jean Baptiste, la Mère du Christ et son Précurseur ? L’Eglise, sans canoniser ces récits, ne les a pas non plus rejetés : les portails des cathédrales les ont mis en images. Ainsi à Notre-Dame de Paris, au portail Sainte Anne.
C’est à Jérusalem que la Nativité de la Vierge fut d’abord célébrée. Cela est bien normal puisque Marie est la fine fleur d’Israël et qu’elle personnifie la Nouvelle Jérusalem, la Demeure de Dieu. Les pèlerins de Terre Sainte pourront évoquer ce double symbolisme en visitant l’église Sainte Anne, par ailleurs fort belle et – curiosité de l’Histoire – propriété de la République Française : elle est placée juste à côté de l’emplacement du Temple.
Apparemment, de Jérusalem, la fête s’est propagée en Orient et, de Constantinople, est passée à Rome, bien que ce soit une manière certainement trop sommaire de restituer le passé : l’histoire de la liturgie est une science délicate qui, pour le passé lointain, doit se contenter d’indices. En Gaule, l’évêque de Chartres, saint Fulbert, encouragea la célébration du 8 septembre : en 1020, le jour de la fête, la cathédrale existante reçut la foudre et brûla. Fulbert, immédiatement, décida de reconstruire : fête d’une naissance, prélude d’une renaissance, d’une résurrection.
L’origine plutôt orientale de la fête se vérifie dans le fait que les auteurs de là-bas ont été beaucoup plus prolixes que les Occidentaux : saint Ephrem, saint Epiphane, saint Jean Damascène, saint André de Crète. C’est à ce dernier qu’est empruntée la lecture patristique pour la Liturgie des Heures au 8 septembre. Jean Damascène a cette jolie formule : « O fille d’Adam et Mère de Dieu ! ». Il est difficile de faire plus court et plus dense. Saint Epiphane est encore plus hardi : parlant de Marie et de ses parents, il ose dire que « cette trinité terrestre rendait hommage ici-bas à la Trinité céleste. »
En France, au 17ème siècle, le cardinal de Bérulle ne se risque pas à un semblable parallèle, mais il nous invite à contempler, en silence, le mystère : « Elle naît à petit bruit, sans que le monde en parle et sans qu’Israël même y pense, bien qu’elle soit la fleur d’Israël et la plus éminente de la Terre ; mais si la Terre n’y pense pas, le ciel la regarde et la vénère. »
Les lectures bibliques, que ce soit pour la Messe ou pour l’Office, nous parlent des préparations, divines et humaines, qui conduisent à la naissance de Marie. L’Office remonte aux origines avec le chapitre 3 de la Genèse : la première annonce de la victoire sur le Mal, victoire à laquelle la descendance d’Eve prendra part. « Eve », ainsi nommée parce qu’elle est « la mère des vivants ». Et Marie, combien plus !
A la Messe, le prophète Michée entraperçoit, à Bethléem, « celle qui doit enfanter » le berger d’Israël : « Et lui-même, il sera la paix. ». Saint Paul (épître aux Romains) remonte jusqu’au dessein éternel de Dieu qui, par avance, fait tout contribuer au bien de ceux qui l’aiment. Les textes des prières eucharistiques propres à ce jour insistent tous sur ce point : « … la naissance de la Vierge Marie que tu avais choisie depuis toujours… »
Quant à l’Evangile, il nous récite la généalogie qui, d’Abraham, aboutit à Joseph : étrange, puisque nous fêtons la naissance de Marie. « … Joseph, l’époux de Marie, de laquelle fut engendré Jésus que l’on appelle Christ. » C’est, en effet, le refrain, de la fête du 8 septembre. Avec la naissance de Marie, comme disait Pierre Damien, « c’est le commencement du salut, c’est l’origine de toute fête ». « Voici l’aurore avant le jour », dit une des hymnes de l’Office.
C’est peut-être la prière après la communion qui exprime le mieux dans quelles dispositions nous sommes invités à vivre cette fête du 8 septembre : « Seigneur, donne à ton Eglise d’exulter de joie, heureuse de la nativité de la Vierge Marie qui fit lever sur le monde l’espérance et l’aurore du salut. »
« Tout ce qui commence a une vertu qui ne se retrouve jamais plus. Une force, une nouveauté, une fraîcheur comme l’aube » (Charles Péguy, Porche du mystère de la deuxième vertu).