L’enlèvement lundi soir, 22 avril, de deux évêques orthodoxes par des rebelles armés dans la province d'Alep (nord), Yohanna Ibrahim, évêque syriaque orthodoxe, et Paul Yazigi, évêque de l'Eglise orthodoxe grecque, fait monter d’un cran la tension et la peur parmi les chrétiens de Syrie.
Une situation de peur et de souffrance dont un prêtre, attaché à une paroisse sur place, témoigne en gardant l’anonymat par mesure de sécurité pour sa famille, pour sa communauté et pour lui. Il a dit lui-même « peu importe mon identité : l’important est que je témoigne, que la voix, la souffrance et l’espérance des chrétiens soient entendues ».
Dans un entretien exclusif, celui-ci raconte aux lecteurs de Zenit une vie de tous les jours vécue dans l’ombre de l’inconnu, l’ombre de ce qu’il a appelé « un désordre organisé » et systématique.
Or, relève-t-il aussi avec étonnement, malgré ce nuage sombre au-dessus de la Syrie, une lueur d’espérance continue de briller, soutenue par un regard de foi enraciné dans les paroles – devenues expérience – de saint Paul: « Qui pourra nous séparer de l'amour du Christ ? La détresse ? L’angoisse ? La persécution ? La faim ? Le dénuement ? Le danger ? Le supplice ? L'Écriture dit en effet : C'est pour toi qu'on nous massacre sans arrêt, on nous prend pour des moutons d'abattoir. Oui, en tout cela nous sommes les grands vainqueurs grâce à celui qui nous a aimés. ».
Ce cri d’espérance est la réalité de tous les jours qui se traduit en un choix conscient : rester, non pour la terre, mais pour le peuple de Dieu qui, comme dit saint Augustin, poursuit son pèlerinage historique « au milieu des persécutions du monde et les consolations de Dieu ».
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La guerre a imposé un « calendrier d’urgence ». Quel est votre programme quotidien en tant que prêtre ?
Dans la situation actuelle, le travail pastoral comme nous l’avons toujours vécu est suspendu. Il s’est transformé en un service humanitaire. Les visites pastorales et les autres activités ont pris une autre forme pour pouvoir répondre à la situation d’urgence actuelle.
Avec la collaboration du comité syrien pour le développement, nous avons par exemple transformé deux écoles en lieu d’accueil pour les réfugiés musulmans, pour montrer justement que l’Eglise est au service de tout homme, indépendamment de son appartenance ethnique ou religieuse.
Pour ce qui est des œuvres de charité et de réconfort pour soulager les souffrances, notre paroisse collabore étroitement avec la Croix-Rouge et avec le Secours catholique.
Nous continuons à célébrer la messe tous les jours dans les secteurs encore habités et nous notons une augmentation de la fréquentation quotidienne des fidèles. Les chrétiens ont commencé à puiser leur espérance dans le Christ ressuscité d’entre les morts!
Je tiens aussi à souligner que de très nombreux prêtres sont engagés de manière stable aux côtés des laïcs pour soutenir matériellement paroisses et diocèses.
Votre paroisse a-t-elle été menacée ?
Tout le monde sait malheureusement que tant d’églises, voire des églises très anciennes qui sont patrimoine de l’humanité, ont été bombardées. Grâce à Dieu, la nôtre n’a pas encore subi de menaces directes, mais, tant de nos paroissiens ont été menacés et ont dû soit quitter le pays, soit partir vers des zones moins tourmentées.
Cela dit, et surtout à l’approche des grandes fêtes, des voitures piégées ont été trouvées à proximité des églises. La Providence divine a permis que nos concitoyens s’aperçoivent du danger et les bombes ont été désamorcées avant leur explosion.
Qu’est-ce que les chrétiens d’Alep attendent de l’Eglise?
Les personnes nous questionnent tous les jours, mais que je crois que tous se demandent : devons-nous quitter le pays ou rester et entretenir la présence chrétienne en Orient ? – Moi, et je le dis sincèrement, je conseille à ceux qui le peuvent de s’éloigner au moins pour quelque temps.
Certes, nous devons témoigner du Christ devant la situation de chaos quotidien que nous vivons. Mais cette réponse, je ne veux pas qu’elle soit idéaliste et abstraite. La réalité quotidienne est dramatique et nous vivons un grand désordre. Nous ignorons si en sortant de chez nous le matin nous pourrons rentrer le soir. C’est pourquoi je réponds aux gens: chacun doit se placer devant sa propre conscience et faire ses propres choix, évaluer la situation de sa famille, et faire un choix dicté par le discernement de la volonté de Dieu.
Regardons les choses de façon réaliste : que peut offrir l’Eglise concrètement aux Syriens aujourd’hui ? Nous sommes plus que reconnaissants à tous les chrétiens et en particulier au pape François, pour tous ses appels en faveur de « la bien-aimée Syrie ». Nous avons aussi beaucoup de reconnaissance pour toutes les aides qui nous arrivent. Mais la vérité reste qu’un panier d’aides alimentaires n’est pas suffisant. Les chrétiens d’Alep et de Syrie recherchent la sécurité, des perspectives, l’espérance. Avec ces aides, si nous ne sommes pas tués avant, nous pouvons durer une semaine, un mois, peut-être même une année … et après ? C’est pour cela que chacun doit trouver sa réponse tout seul selon sa propre conscience et ses propres possibilités.
Et vous, pourquoi ne quittez-vous pas la Syrie ?
D’abord parce que la Syrie est mon pays. Et comme comme chrétien j’appartiens à cette nation. Deuxièmement, et c’est le plus important, parce que c’est ma mission en tant que prêtre. Malgré toutes les certitudes et possibilités que j’ai de pourvoir quitter le pays - permis de séjour d’un Etat étranger, et la possibilité d’avoir un visa -, pour moi, prêtre, l’appel du Christ est d’offrir un sourire d’espérance : pas le mien, ni même celui de l’institution ecclésiastique, mais celui du Christ en personne!
Seulement lorsqu’il n’y aura plus de chrétiens ici, je serai prêt à quitter le pays. Ce que je ressens au fond de moi est en effet ceci : si je dois quitter le pays, mon cœur éprouverait un remords plus amer que la mort, celui d’avoir quitté des amis et des fils avec qui j’ai vécu de bons moments et que j’aurais maintenant abandonnés, en pleine tourmente.
L’enlèvement de deux évêques lundi à Alep et les enlèvements en général restent une grave question : quel poids cela a-t-il dans votre esprit et dans ceux de vos paroissiens ?
Cela fut un choc énorme qui nous a jetés dans le désarroi et l’angoisse. La question que nous nous posons est celle-ci : s’ils ont violé ce qui est sacré, quelle sera l’étape suivante ? Et puis cette grave question: quel sens cet enlèvement a-t-il ? Pourquoi enlever deux évêques qui, comme tout le monde sait, n’ont pas lésiné pour chercher à amener les parties en conflit à la table des négociations? Pourquoi enlever deux personnes qui ont pour seuls objectifs l’entente et la paix ? Quel sens tout cela a-t-il ?
Leur enlèvement est un attentat contre le dialogue et la paix. Voilà le contresens. Voilà le drame. C’est un geste idiot et arrogant qui n’incarne aucune sagesse, ni politique, ni sociale ni religieuse.
Devant ce mélange d’horreur, de peur, de courage, de résistance et capitulation, quel est le mot qui résonne le plus fort?
Le mot le plus fort et auquel je donne une réponse est : demeurer en Jésus-Christ. Un « demeurer » dans le Christ qui n’est pas « faiblesse » devant l’agresseur mais « construction » en s’appuyant sur la messe quotidienne qui nous conforme au Christ crucifié dans l’espérance de la résurrection. Jésus est notre pain quotidien et notre rempart dans cette tempête. Devant ce dé
sespoir, nous crions : le Christ est notre espérance !
Traduction d'Océane Le Gall